Un ciel gris et opaque surplombait les contrées du Chaos, mais pas de signe de vent, ou de pluie. Juste un ciel gris platonique d'une douce journée d'automne. Sur cette partie des contrées il n'y avait pas de vie, pas de bruit, juste une large plaine vide et hostile. Pourtant, malgré le danger qui pouvait roder en ces lieux, cette journée là semblait marquer par un calme surprenant et réconfortant. Pourtant en quelques secondes à peine, les nuages se mirent à enfler et s'assombrir. La plaine jusque là si tranquille commença par être secouée par une brise fraîche qui se transforma en un puissante rafale. Le peu de végétation dans les environs se courba, comme se prosternant sous la force de Dame Nature. Puis un grondement sourd et puissant secoua la contrée, les nuages noircirent si bien que l'on eut l'impression de se retrouver à l'approche de la nuit. Puis un éclair puissant traversa le ciel, déchirant les nuages en deux. A cet instant, une puissante pluie tomba obliquement sur la terre sous l'effet des vents puissants. L'éclair s'éloigna à l'horizon et lentement, cette partie là des contrées retrouva sa quiétude. La pluie cessa, le vent se tu, les nuages retrouvèrent leur morne couleur grise. Très loin, une autre région semblait subir la puissance de cette éclair traversant le ciel en ligne droite.
Mais ce n'était pas un éclair, juste un être vivant et tout puissant, Thenros le Dieu du Vent et de la Foudre. Il se déplaçait ainsi à travers les contrées à la vitesse fulgurante des éclairs elle même. Sous l'effet de sa puissance, chaque région qu'il traversait était alors secouée par une courte mais puissante tempête. Il déchirait le ciel, s'étant lui même transformé en cet éclair fulgurant. A son sens, c'était le plus rapide moyen qu'il avait de voyager. Si au début il ne lui fut pas simple de transformer son enveloppe humaine, il y arriva sans trop de peine. Le corps humain était capricieux et complexe, bien plus difficile à maîtriser que sa simple forme spirituelle. Mais en tant que Dieu, peu de choses lui était impossible. Cela ne faisait que quelques jours à peine qu'il avait volé ce corps, et déjà il maîtrisait une large gamme de ses capacités sous cette apparence. Et après un court voyage, il arriva à destination, l'Empire de Vapeur.
Soudainement, l'éclair qui l'englobait se stoppa net au beau milieu du ciel. Lentement, la foudre pris forme, se transforma en une vague silhouette à taille humaine. Puis la lumière s'estompa pour enfin laisser apparaître le Dieu lui même. Haut dans le ciel, se tenant debout dans le vide aussi bien qu'il l'aurait fait dans le sol, il regardait autour de lui. Il réajusta ses lunettes de soleil sur son nez et s'alluma une cigarette. Sous ses pieds, il n'y avait rien, juste une grande lande immense, déserte, hostile et rocailleuse. Mais là, plus loin devant lui, se dressait, comme une muraille, un épais voile de brouillard stagnant. Il vola doucement en direction de ce nuage assez mystérieux au beau milieu de ce désert. Il était aussi effrayant, car immense et impénétrable...tout bon voyageur éviterait de s'aventurer là par peur de s'égarer. Mais Thenros savait exactement où il allait.
Il posa enfin pied au sol à une petite centaine de mètres du halo de brouillard. Tout en fumant, il mit un pied devant l'autre, s'avançant sans peur vers le nuage. A peine le temps de finir sa cigarette qu'il était entré dans cette épaisse purée de poids. Mais il ne fallait pas s'y tromper, le moindre imbécile avec un minimum d'odorat ne pourrait s'y tromper. Ce nuage n'était pas né du brouillard, mais de la fumée. Et quelle fumée, celle des puissantes et magnifique usines de l'Empire de Vapeur. Les vapeurs émanant de chaque tuyaux, machine et véhicules. Les fumées émanant des mines, des fourneaux, des locomotives. Bref, ces fumées étaient la plus grande et meilleure représentation de la puissance de l'ingénierie de l'Empire de Vapeur. Au fur et à mesure qu'il avançait, l'horizon s'éclaircissait, des formes se clarifiaient. Finalement, il arriva exactement là où il le souhaitait. Un individu passant par là aurait put le prendre pour un demeuré, car en effet, Thenros semblait bloqué. Il faisait face à une haute et solide muraille sans issue et semblait se demander comment passer. Il n'y avait dans ce mur alliant parfaitement le fer, la pierre et le bois, aucune imperfection. En haut, des canons étaient postés sur des tourelles et des hommes vadrouillaient le long des créneaux, tous lourdement armés. Idiot serait celui voulant assiéger cette ville, et plus imbécile encore celui qui l'attaquerait par les cieux. L'Empire de Vapeur méritait sa réputation bien que n'étant un Empire secondaire sur Terra.
Thenros s'alluma une autre cigarette et fit simplement un saut, franchissant alors toute la hauteur de la muraille et atterrit sur le chemin de ronde de celle ci. Il avait bien choisi son moment, celui où les deux gardes les plus proches de lui tournaient le dos. Ce n'était que quelques secondes mais c'était suffisant. Il sauta de nouveau et retomba de l'autre coté de la muraille. Thenros était enfin arrivé à l'Usine, véritable monument car formant plus un immense complexe qu'une simple manufacture. L'Usine englobait des quartiers d'habitations, de plaisir et de loisirs, des mines, des quartiers militaires et enfin des sites de fabrications. L'endroit était immense et splendide. Le Dieu s'avança tranquillement dans la première ruelle qui se présenta à lui, se laissant guider par sa curiosité. L'endroit où il atterrit n'était autre qu'un simple quartier de débauche, bardé de tripots, de commerces douteux et de bordels. Thenros regarda ceci, haut lieu de décadence d'un air totalement neutre. Après tout, il n'avait que peu d'intérêt pour toutes ces choses et ce n'est pas non plus par plaisir qu'il voulait les découvrir. Simplement par curiosité.
Jugeant que c'était l'endroit parfait pour commencer, il s'avança vers le premier bouge qui se présentait. Levant les yeux il regarda la pancarte. Il allait entrer dans le "Repos des Gueules Noires", un nom charmant pensa-t-il. Il s'avança donc vers la porte d'entrée à double battants qui s'ouvrit soudainement. Un homme trapu, le nez en sang, fut purement projeté par la porte et Thenros était sur sa trajectoire. D'une main il stoppa ce malpropre qui était sur son chemin et l'envoya aussi facilement qu'un simple caillou s'écraser sur le devanture du magasin d'en face. Mort sur le coup et la foule attirée par les cris du commerçant, ou plutôt dealer, vint dépouiller le cadavre du pauvre homme. Thenros entra enfin. Une forte odeur de suie et de sueur vint frapper son nez à peine eut-il mit pied dans le troquet. Mais il sentit aussi de puissantes effluves d'alcool et de tabac.
La pièce était emplie d'ouvriers, et l'auberge tenait bien son nom. La plus grande partie de la clientèle était masculine et avait le visage sale, recouvert de poussière de charbon, d'huile et autres substances. Certainement la plupart d'entre eux venait juste de quitter le travail et venait engloutir leur paye de la journée dans une boisson et une paire de cuisse écartée. Le bruit était surprenant, chaque bourru ici y allant de sa blague, de son ragot, de son insulte envers les castes supérieures, tous cherchant à parler plus fort que l'autre pour se faire entendre. Le lieu était à l'image de la clientèle, sale et grossière. Même le tavernier semblait avoir utilisé ses verres pour creuser dans le charbon tellement ils étaient sales. Rares étaient les femmes ouvrières ici, mais celle qui étaient là étaient encore plus grossières que les hommes, certainement pour ne pas se faire emmerder. D'autres avaient déjà succombé à l'appel d'appétits charnels et embrassaient goulûment le pochtron à leur coté. Quelques serveuses se baladaient tant bien que mal entre les loubards, supportant les dragues grossières, les pinçages de tétons et les grandes claques sur les fesses. Elles étaient certainement esclaves et si un homme posait de l'argent sur le comptoir, il pouvait attraper une serveuse par la main et l'entraîner à l'arrière de la pièce pour y faire ce que vous savez. Toutes personnes bien intentionnées aurait vu ce lieu comme insultant et méprisable, montrant ce qu'il y avait de plus grossier et dégoûtant chez les deux sexes, mais Thenros n'en avait cure. Il laissait les mœurs humaines aux humains et gardait les siennes. Il approcha simplement le comptoir et passa commande.
"Qu'est-ce que vous avez de fort ici ?"
Bien entendu le tavernier regarda étrangement Thenros. Il était propre contrairement aux autres, il avait des manières et en aucun cas ne semblait avoir mis la main dans le cambouis. D'ailleurs depuis son arrivée, beaucoup de regards s'étaient tournés vers lui en raison du contraste de son apparence avec celles des autres. Mais il ne l'avait simplement pas remarquer. Il posa simplement sa main sur le comptoir, dévoilant un peu de monnaie, et le tavernier ne chercha pas plus loin. C'était un commerçant après tout, et peu importe avec qui il faisait son beurre, l'important c'était de pouvoir en mettre dans les épinards à la fin du mois.
"Je vais vous servir un verre de Stungsen l'étranger, c'est un produit du quartier, on distille des pommes de terres et on fait bouillir le tout dans des charbons ardents. Juste avant de le mettre en bouteille, on y verse une goutte d'huile de moteur. C'est la boisson de tout bon ouvrier, et ça vous fait même démarrer quelques machines."
Thenros regarda le tavernier lui remplir son verre. Le liquide avait une étrange teinte olivâtre et sentait fort. Il ne fit pas attention aux très nombreux regards qui s'étaient tournés vers lui alors qu'il empoignait le verre. A croire que chacun ici voulait savoir si ce jeune homme à l'allure un peu chétive allait supporter la boisson. Le Dieu trempa ses lèvre, et but le verre en deux longues gorgées. Ses lèvres le brûlèrent, sa langue le piqua, son palais s'enflamma, sa gorge s’irrita et son estomac fut retournée. Une forte sensation à la fois chaude et frissonnante parcourut son corps. Mais pour un Dieu tous ces signes physiques n'étaient que très secondaires. Il reposa le verre très calmement, sans remarquer que l'audience était soudain devenue très calme.
"En effet, si jamais les machines de l'Empire viennent à manquer de carburant, vous pouvez toujours compter sur cette boisson."
La réplique ironique sur la puissance en bouche du breuvage et ses prétendues vertus de carburant fit rire un bon nombre des convives de l'assemblée. Le tavernier afficha une certaine bonhomie. Tout en finesse, Thenros s'était fait une place au milieu de ce groupe de grossiers personnages. Il commanda un autre verre et se mit à converser avec le patron.
"Vous n'êtes pas d'ici mon petit ? Alors vous êtes quoi, un artisan, un négociant, peut-être même un fils de noble sans fortune ?
- Non, simplement un voyageur venant découvrir cet Empire.
- On ne vient pas ici par hasard, surtout pas dans l'Usine. Vous êtes sûr de pas vouloir vendre quelque chose.
- Je suis surtout curieux de voir comment les gens d'ici ont réussi à maîtriser le vent et le ciel grâce à leur technologie.
- Vous êtes pas là pour piquer des inventions ou des plans, l'armée vous poursuivrait, voir la Platinum Guard.
- Je ne fais que regarder, rassurez vous."
Thenros engloutit son deuxième verre plus lentement. Il sentit alors une présence derrière lui et se retourna. Un homme grand et massif se tenait là, la gueule couverte de traces, une grosse ceinture pleine d'outils dont une immense clé à molette. Le rustre posa sa main graisseuse sur l'épaule de Thenros.
"Dit moi mon mignon, tu tiens bien ton alcool, mais est-ce que tu tiens aussi bien ton cul..."
Lentement, l'ouvrier fit descendre sa main de l'épaule de Thenros dans son dos et lui posa sur une fesse, la malaxant ouvertement. Le Dieu, posa alors son verre, posa sa main sur celle du rustre. Il n'eut qu'à serrer un petit peu pour sentir chaque os de la main de son "agresseur" se briser. Il leva alors le bras de l'homme et lui arracha sans aucune forme de procès. Puis, de son autre main, il posa son index sur le torse de sa victime, beuglant de douleur et pour sa survie. Une onde de choc éclata alors contre la poitrine de l'homme et l'envoya valser à l'autre bout de la salle, traversant la porte et allant s'écraser dans la rue. Le géant, un bras en moins, gisait mort au sol le thorax complètement enfoncé. Thenros jeta le bras par terre, se tourna, et reprit son verre.
Encore une fois c'est à peine si il remarqua le silence pesant de la salle. Il ne remarqua pas non plus que tous quittèrent presque aussitôt la taverne en criant. Il ne remarqua pas que même le tavernier s'en était allé. Il releva les yeux, amusé par tout ceci. Thenros attrapa alors lui même la bouteille de Stungsen et s'en servit un troisième verre. Même si il ne pouvait se saouler, il pouvait malgré tout apprécier la saveur. Toujours absorbé, il ne remarqua pas qu'au dehors, la plupart des ex clients du bar ainsi que le tavernier beuglaient pour qu'on appelle l'armée et qu'un monstre se trouvait actuellement au "Repos des Gueules Noires".