Harbor Ashnard… Cahir voyait les côtes ashnardiennes se rapprocher, avec une succession de forts militaires, de tours, de phares… Et Harbor. Harbor était une immense cité ashnardienne, qui était l’un des principaux ports d’entrée menant à l’Empire d’Ashnard. Une ville immense, reconnaissable au loin par les hautes tours se dressant à son sommet. Les Tours d’Harbor constituaient le fort de la ville, une structure massive sur lesquelles flottaient les emblèmes de l’Empire, le drapeau ashnardien. La ville s’étalait au sol, sur de grandes falaises, et était le début d’une importante route terrestre menant dans les profondeurs de l’Empire, à la capitale ashnardienne. Lentement, Cahir serrait les dents en voyant la «
Princesse des Mers » se rapprocher des quais et des docks d’Harbor. La ville se trouvait sur un estuaire, et semblait presque flotter sur la mer, offrant un spectacle irréel.
Cahir s’était jadis rendu dans cette ville, afin de participer à une campagne militaire contre un seigneur de guerre, un pirate qui attaquait les navires de la région. Il avait assiégé l’un de ses bastions, sur une île sauvage à des centaines de milles. Il s’était battu dans des grottes, puis des jungles équatoriales, tuant les multiples pirates et les monstres qu’ils avaient apprivoisé. Des années après, la sécurité n’était toujours pas instaurée dans la région, où les attaques de pirates continuaient à se multiplier. C’est à ce titre que, depuis Nexus, Cahir avait pu se faire embaucher par la compagnie maritime. La «
Princesse des Mers » était un vaste galion marchand, convoyant des biens sur une longue trajectoire, allant de Nexus jusqu’à Ashnard, ce qui nécessitait d’avoir, à bord, une escorte armée. Bien que les deux nations soient en guerre, des personnes privées pouvaient toujours commercer, dès lors que les marchandises ne comprenaient pas d’armes ou d’équipements militaires, ou que les voies maritimes n’étaient pas bloquées par un blocus commercial. Le navire transportait moult victuailles, et, d’un point de vue géopolitique, l’idée était d’encourager à la paix en continuant à favoriser les relations commerciales. La même stratégie qui, il y a quelques siècles, avait mis fin à la guerre entre Tekhos et Nexus. L’apatride avait accepté cette mission, et retournait donc à Ashnard, à cet Empire qui l’avait rejeté, et où la simple présence équivaudrait, soit à sa mise à mort, soit à son asservissement à vie. Il avait été déchu de sa nationalité par le Conseil Impérial dans le cadre de sordides tractations politiques, sacrifié sur l’échiquier, et n’avait réussi à éviter la mort que grâce à son père, qui avait usé de son influence pour le secourir et le protéger.
*
Et maintenant, m’y revoilà…*
L’apatride avait été pensif pendant tout le trajet, relativement distant du reste de l’équipage… Distant, mais pas totalement. Au bout de plusieurs jours, il avait ainsi, de loin, assisté aux danses de cette mystérieuse femme, une invitée exceptionnelle. Ils l’avaient ramassé en rejoignant Ashnard, à Antia, au sud-ouest de l’Empire. C’était la dernière escale avant Harbor, où la mer s’arrêtait. Il avait vu cette femme danser, et avait trouvé sa danse magnifique, pleine d’érotisme. Il avait entendu parler d’Antia, une cité libre décadente, où certains hommes se rendaient parfois en permission. Cahir avait reconnu en elle, par le biais de sa cape, son appartenance : une Érotiste. Une femme qui servait Aphrodite et Apollon, et dont on vantait leurs mérites dans tout Ashnard. En d’autres circonstances, Cahir aurait pu aller la voir plus intimement, mais il était plongé dans ses propres pensées, tumultueuses et troubles. Il allait revenir à Ashnard… Qui sait ce qui allait se passer ?
*
Je n’aurais jamais dû accepter cette mission…*
Malheureusement, Nexus commençait à devenir routinière pour lui, et il y avait aussi autre chose… Autre chose qui l’amenait à revenir dans l’Empire. Même si l’Empire l’avait banni, Ashnard restait toujours sa nation de prédilection, et il savait que de sombres évènements risquaient de s’y passer, des évènements qui faisaient écho à d’autres ayant lieu à Nexus, des évènements dont il avait entendu parler par le biais de Vincente Valentyne, cette voleuse à son service depuis que Cahir l’avait sauvé*. Il avait donc pris congé de ses fonctions au sein du Jardin Secret**, le temps d’accomplir ce voyage, et de revenir. En tout, il était parti de Nexus depuis plusieurs semaines, et voyait maintenant la fin de son périple approcher.
Le navire s’arrêta le long des quais, et Cahir resta dans sa cabine pendant quelques secondes, vérifiant son épée en verredragon, puis entreprit de descendre du bateau. Il remonta sur le pont principal, et entendit alors des bruits, voyant un attroupement.
*
Qu’est-ce que… ?!*
Étonné, l’apatride se rapprocha du bastingage, et vit la mystérieuse Érotiste, en train de se battre contre une femme.
«
Mais qui est cette femme ? -
On devrait peut-être lui venir en aide… -
Euh… Venir en aide à qui ? »
Non contente d’être belle, et d’être une magnifique danseuse, l’Érotiste se battait également à la perfection. Il y avait dans ses mouvements quelque chose de profondément grâcieux et beau. Une sorte d’envoûtement magique s’empara du corps de l’apatride en la voyant ainsi se déplacer, ses courtes dagues répliquant aux attaques de son mystérieux agresseur, jusqu’à ce qu’un coup finisse par faire mouche. Le sang de la femme jaillit de son ventre, et l’attaquante, en grognant, se recula prudemment.
«
Améthyste ! Ma dame ! »
Un jeune mousse poussa un hurlement en se rapprochant d’elle, et Cahir serra les dents. La femme venait de filer parmi la foule, rapidement, et il s’empressa de descendre à son tour.
«
Vous allez bien ? s’enquit l’apatride, tandis que d’autres marins murmuraient entre eux, cherchant à s’approcher.
-
Halte ! Reculez ! Que se passe-t-il ici, hein ?! -
Place, faites place ! Retournez travailler ! »
Cahir serra les dents. La Garde venait déjà d’arriver. Sa main se posa sur l’épaule de la femme.
«
Vous devriez filer… -
Filer ?! s’étrangla le jeune matelot.
Elle n’a rien fait de mal, nous devrions porter plainte, oui ! Comment cette femme a-t-elle bien pu oser t'attaquer ?! »
L’apatride ne dit rien. Il s’écarta un peu, méfiant. Les gardes approchaient rapidement, bousculant volontiers les matelots qui les gênaient. Antia était une cité qui était autant appréciée que dédaignée des Ashnardiens. On appréciait sa liberté et sa joie de vivre, mais la décadence et la corruption qui y régnaient étaient aux antipodes de la doctrine ashnardienne, reposant sur l’ordre et la sécurité. Autrement dit, il doutait que les Gardes impériaux réservent un accueil favorable à cette plainte… Mais, après tout, Cahir avait un point de vue très subjectif sur la question.
* :
Cf. RP « Ça t’ennuie si je “t’emprunte” ça ? » ;
** :
Cf. RP « Bodyguard ».