Tout ça, c'était la faute du renard. Parfaitement. Du moins James Withmore ne cessait-il pas de le répéter, des fois qu'il réussirait à s'en convaincre. Parfois, les petits riens amélioraient la plus sans issue des situations catastrophiques. Non pas que la situation présente soit à ce point catastrophique, au fond. Il avait connu pire. Il avait erré dans les quartiers malfamés de Bogotá, s'était perdu à Détroit et avait sans faire exprès bousculé un membre ses services secrets russe en mission. Il ne se rappelait plus exactement de quel service il s'agissait exactement, mais il devait sûrement être secret pour une bonne raison. Toujours est-il que même si aujourd'hui ne s'en sortait pas trop mal en comparaison, et bien il se trouvait quand même plus mal que hier. Pour résumer : il était dans la panade. Et pas une bonne faite maison, avec l'odeur de l’œuf et sucre venant chatouiller vos narines gourmandes mais celle, bien gluante et industrielle, qui vous collait aux dents, aux semelles et parfois même dans les cheveux (James, dînant souvent le net dans un bouquin, était un mangeur du genre distrait).
Et donc, c'était la faute de ce maudit renard. Quand il avait aperçu la bestiole traverser la rue peu fréquentée comme un éclair roux, il avait ordonné au chauffeur de taxi de s'arrêter nez. James avait sauté dans un véhicule dès son arrivée à l'aéroport, avec l'idée d'en tête de se rendre le plus vite possible à ce fameux lycée. Il avait une promesse à y tenir... Mais la vue du renard avait ravivé en lui un autre souvenir, lointain mais incroyablement vivace. Il se revit cette nuit lorsque, gamin, il s'était réveillé sans réussir à se rendormir... Il avait alors sauté en bas du lit et ses pieds nus avaient parcouru les pierres froides du manoir ancestral pour le guider à l'extérieur. La nuit était douce, les étoiles nombreuses dans ce coin loin de tout et là, dans la cour, à quelques pas de lui : un renard. Ils étaient restés de longues minutes à se contempler, puis le rouquin avait filé dans la lande. James l'avait suivi, s'était perdu et couvert de rosée, et avait attrapé froid. Son père lui-même le retrouva lors de la battue du lendemain, et l'avait porté en personne jusqu'à sa chambre. Aussi loin que remonte la mémoire de James, c'était la seule foi que sir Withmore l'avait pris dans ses bras... Et plutôt que la correction sévère attendue, le petit James n'avait eu droit qu'à un silence inquiet. Et l'inquiétude, ce n'était pas quelque chose qu'il se serait jamais attendu à voir dans les yeux de son père. Là aussi, ce fut la seule et unique fois. James ne sut pas pourquoi la vision de ce renard ici, alors qu'il venait d'arriver au Japon, lui importait à ce point. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n'était que le deuxième qu'il voyait de toute sa vie ; il ne comptait pas les apparitions nombreuses de renards qui peuplaient régulièrement ses rêves depuis cette fameuse nuit, gamin...
Son sac en bandoulière sur le dos, il se précipita à la poursuite de la bestiole, bousculant maladroitement les quelques passants encore présents malgré l'heure avancée de la nuit, mais peine perdue : sa cible avait disparu après avoir tourné le bloc. L'écossais resta un instant planté là, une main dans les cheveux, se demandant ce que tout cela pouvait bien signifier. Il avait l'impression qu'on voulait lui faire passer un message, mais de là à savoir lequel... Peut-être que son subconscient lui jouait des tours. Bah, il n'avait plus qu'à retourner au taxi. Qui n'était plus là à son retour. Tout d'abord, James se dit que c'était assez normal : il s'était bien barré en courant et sans payer, même s'il avait l'attention de revenir régler après. Ensuite, il se dit que ce qui était moins normal, c'était que le chauffeur s'était barré, lui, avec le sac de voyage et la veste de James sur la banquette arrière. Une chouette veste en plus. Pour le reste, il n'avait rien de particulièrement précieux ou important dans son bagage, mais tout de même... Une si chouette veste ! A ce moment là, il se rappela qu'il y avait laissé son porte-monnaie, dans la chouette veste. Qui ne lui parut plus chouette du tout. Il se surprit même à la traiter de salope de veste, ouais, parfaitement, il ne l'avait jamais aimée en plus ! A leurrer l'innocent pour s'emparer de son argent !
La colère de James laissa vite place à un certain abattement. Le jeune homme se laissa tomber pour s'asseoir sur le rebord du trottoir, son sac en bandoulière serré contre lui. Il sentit à l'intérieur la présence rassurante des livres qu'il y avait mis, dont celui qui était plus important que tout. Le taxi pouvait garder le reste, à moins qu'il ne se rende à la bibliothèque : mais quelque part, James en doutait... Bon, comme dit plus, ce n'était pas la pire situation dans laquelle il avait réussi à se mettre. Certes il était dans une ville inconnue, dans un pays qui l'était presque tout autant, mais il se débrouillait plutôt bien en japonais. Il avait sa sacoche, avec ses livres en cours, plus le fameux livre très important. Et son téléphone ! Qui était déchargé. Évidemment. Bah. James Withmore n'était pas homme à se laisser abattre longtemps ! La nuit était douce, il y avait un banc non loin sur lequel il put s'asseoir pour réfléchir, et un lampadaire diffusait assez de lumière pour qu'il puisse lire ! Cela l'aidait toujours, ça ! Prendre un bouquin au hasard, avancer de quelques pages... Une bonne lecture remettait toujours les idées en place ! Il sortir un roman de son sac, chercha sa page, et l'ouvrit avec le sourire : voilà qui était déjà mieux ! Après tout, ça aurait largement pu être pire...
C'est alors qu'il commença à pleuvoir.