Le spectacle était un curieux mélange d’opéra baroque et de
kabuki, se voulant visiblement un mélange entre le style oriental et occidental. Ce fut ce que Barbara nota rapidement, et le thème de Dante, ce pèlerinage en Enfer puis au Paradis, s’y prêtait plutôt bien. Les démons que Dante et Virgil croisaient présentaient des visages grimaçants, ressemblant à d’horribles
yōkaiqui représentaient chacun des sept Cercles. Barbara, comme toujours très cultivée, analysait tout cela, se laissant aller dans ce spectacle, même si on pouvait parfois noter que certains visages rappelaient en elle de douloureux souvenirs. Ces visages grimaçants... Le
kabukicomprenait beaucoup de maquillage, souvent du blanc, avec des
sourires difformes et grotesques, aux lèvres rouges... Ces
maquillages lui rappelaient parfois un autre sourire, un autre visage, plus hideux, avec une chemise hawaïenne et un chapeau de paille sur la tête.
Le spectacle s’accompagnait de musiques d’ambiance, annonçant l’
arrivée des démons, et le spectacle proposait sa propre interprétation du poème. Chacun des Chants du poème comprenait une scène avec un thème musical et chorégraphique précis. Approchant ainsi de Dité, ville de la Malice, Dante se retrouva embarqué dans une danse loufoque, au milieu de démons grimaçants et riants, le spectacle virant alors au baroque, provoquant les rires du public quand, sous les coups de percussions, et
d’une musique plus endiablée, Dante se retrouva aux prises avec les démons, cherchant à le tenter, tandis que lui recherchait Virgile.
Stéphanie sourit à son tour, en comprenant que le spectacle se voulait beaucoup plus désopilant que la vision classique, et très sombre, qu’on se faisait de «
La Divine Comédie[/u] ». Mais, après tout, l’œuvre de Dante Alighieri ne portait-elle pas, en titre, le mot «
comédie » ? Stéphanie reconnaissait volontiers qu’elle avait davantage eu en tête la vision sombre et gore du jeu vidéo «
Dante’s Inferno » en pensant à l’Enfer, et voir Dante se dépatouiller contre des démons farceurs et moqueurs avait de quoi faire sourire.
Dante arriva finalement dans les profondeurs de l’Enfer, au cercle des Traîtres. Les tonalités devenaient plus sombres, glaçantes, le registre changeant pour aller dans un ton nettement plus sombre. L’affrontement entre Dante et Lucifer se fit dans une ambiance très sombre, teintée de rouge sang,
sur une musique dramatique exprimant le Mal absolu des lieux. Des marionnettes dansaient dans l’air, évoquant comme des fantômes, tandis que le combat se poursuivait, jusqu’à ce que Lucifer ne triomphe de Dante, l’écrasant sous tous ses péchés.
Atterré, vaincu, et affaibli, Dante, tel Dimas, le voleur pénitent, en vint à faire une prière. Alors, la lumière se fit dans un flash éclatant, et Dante et Virgil purent enfin, comme dans le poème, «
voir les étoiles ». Le spectacle se termina ainsi, dans une salve d’applaudissements, et Annabelle demanda ensuite aux deux femmes si elles avaient apprécié. Barbara se fendit d’un léger sourire.
«
Oui... Même si je n’aime pas trop le kabuki pour des raisons personnelles. »
Le regard d’Annabelle croisa ensuite celui de Stéphanie, qui fronça légèrement les sourcils. L’instinct de la jeune blonde lui soufflait de se méfier de cette nana, sans qu’elle ne puisse trop se l’expliquer. Elle avait juste... Un mauvais
feeling la concernant.
«
J’ai trouvé ça... Cool. Moins flippant et moins sombre que ce à quoi je m’attendais. -
Il y a de nombreuses façons d’interpréter la Comédie, tant les thèmes abordés sont vastes », acquiesça Barbara.
La jeune femme, néanmoins, avait grimacé un peu en imaginant revoir le visage sournois et atroce du Joker, son vieux cauchemar.
«
En tout cas, je vous remercie de nous avoir proposés de vous suivre, Madame Dunkel. Nous avions une vue imprenable sur toute la scène, et il faut bien admettre que c’était sympathique. -
Oui, en effet... »
Barbara laissa passer quelques secondes, et, tandis que le théâtre commençait à se vider, elle se retourna vers la femme, et s’empressa de tenter de satisfaire sa curiosité :
«
Alors, dites-moi... Pourquoi avoir tenu à ce que nous vous accompagnions ? Y avait-il une raison particulière à cela ? »