Nous nous rendîmes bien vite compte de la difficulté que nous imposait la salle, et c'est ensemble que nous nous étions arrêtées, elle la première. Je coupais le contact de ma moto et posais le pied au sol, et relevais légèrement l'écran de mon casque, prenant une profonde inspiration, sans pour autant immédiatement retirer mon casque. A vrai dire, si elle n'avait pas retiré le sien, avant moi, j'aurais retiré le mien sans hésiter. Le seul problème, c'est que justement, elle avait dénudé sa tête quelques secondes avant que je prenne l'initiative de retirer le mien.
Elle tourna son joli visage vers moi, après avoir secoué une chevelure argentée si atypique. Si je n'avais pas reconnu les traits de ce visage, j'aurais pu me poser des question sur le trouble que son large sourire provoqua en moi. Je dus me mordre la lèvre pour ne pas laisser échapper un "holly shit !" tonitruant lorsqu'elle m'avait sourit; j'avais pris cette mauvaise habitude de ma mère, de jurer en anglais lorsque la surprise m'envahissait. Et quelle surprise me faisait donc cette nuit si atypique, quelle plus étrange coïncidence... Que de me retrouver face à mon professeur de sport !
Elle me dit quelque chose, d'assez drôle d'ailleurs, puisque je lâchais par réflexe un petite rire, mais mon esprit était bien trop ailleurs pour que je puis vous dire exactement ce sur quoi elle avait plaisanté. Je ne me demandais pas non plus si mon silence pouvait paraître étrange; et, pire, le fait que je me sois tout à coup décidée à garder mon casque. Car dès que j'avais reconnu Hardy-sensei, j'avais arrêté net mon geste, n'osant que garder mon écran relevé à moitié, priant pour qu'elle ne croise pas mon regard d'azur qu'elle aurait pu peut-être un jour recroiser en cours, et faire le lien, qui sait. Mais sans doute ma paranoïa de me faire reconnaître allait quelque peu loin, vu le peu de luminosité qu'il y avait dans la salle de machines; jamais elle n'aurait pu reconnaître simplement mon regard, parmi tous ceux des élèves qu'elle avait pu croiser. Mais je gardais mes précautions, gardant ma tête au chaud dans mon casque.
Bien que les sons étaient étouffés, je pouvais entendre l'agitation faire écho dans les canalisations que nous avions emprunté. Je levais la tête au plafond, écoutant attentivement, avant de reporter mon attention sur mon professeur de sport, qui s'adressa à moi.
« Il faut trouver un accès aux égouts. De là, on pourra s’en sortir... »
J’acquiesçais en hochant la tête, sans élever ma voix, alors qu'elle partit en quête d'un échappatoire, d'une démarche chaloupée, que je qualifierais même de féline, dans tous les sens du terme, alors que ses hanches se balançaient nonchalamment, à la manière dont un chat se déplacerait avec lenteur. Pour ma part, je la regardais s'éloigner, et ne m'autorisais à respirer que lorsqu'elle fut hors de ma vue.
Poussant un long soupir, je descendais de ma moto, et explorais la salle en quête d'un plan. A entendre le boucan que les policiers faisaient, bien qu'ils furent éloignés, l'inquiétude me piqua au vif, et je cherchais un peu plus efficacement. Finalement, le fait que mon propre professeur puisse me reconnaître devint le cadet de mes soucis. Il fallait d'abord que nous sortions de là. Nous étions toutes les deux dans l'illégalité; si, en tant que professeur, elle avait les pouvoirs au lycée de me faire le reproche sur ma conduite dangereuse, dans cette usine, elle ne le pouvait pas se le permettre, étant autant en tort que moi. Cette pensée me rassura, alors qu'elle revenait chevaucher sa moto à nouveau, me faisant signe de la suivre.
Une fois à califourchon sur la mienne, je suivais la moto noire qui fila prudemment en face de moi dans un couloir. Nous dûmes passer par quelques marches, et je grimaçais en serrant les dents, n'appréciant que peu les cascades dans des escaliers. Heureusement, nous arrivions rapidement, au bout du dernier escalier, à une vaste salle où se dressaient de grandes cuves... et quelques ouvriers qui s'exclamaient. Par réflexe, je ralentissais brusquement, tandis que devant moi, la motarde aux cheveux argentés avait au contraire pris les devant, bondissant de sa moto. Je m'arrêtais net et restais bouche bée, sans pouvoir rien faire devant le spectacle que me donnait mon propre professeur de sport, son pied heurtant à une vitesse incroyable et avec une superbe agilité les hommes qui se trouvaient dans la pièce... pour tous les laisser au sol. D'accord, elle était prof de sport, et son corps ne disait sûrement pas le contraire, et le tout était encore plus flagrant dans sa combinaison noire, bien moulante, en accord avec le minois provocateur de la motarde. Mais de là à ce qu'elle excelle en combat ? Je ne m'y serais pas attendue, du moins pas dans ces circonstances là. Sur un tatami, peut-être que je n'aurais pas été étonnée qu'elle puisse dominer un homme, dans les règles de quelque art du combat nippon; mais dans une station d'épuration, en sautant d'une moto, dans une situation qui n'était pas forcément en notre faveur, non, jamais je n'aurais pu l'imaginer une seule seconde. Je restais donc là, immobile, la regardant s'éloigner vers la salle de contrôle, déterminée. Mon regard passa d'un homme à terre à l'autre. Je déglutis. Quelle surprise me réserverait encore mon professeur ?
Elle revint et j'obtempérais à nouveau, la suivant docilement comme je l'avais fait tout le long de notre fuite. Nous nous rendions dans une de ces grandes cuves, passant par une plateforme dont les rouages nous permirent d'atteindre le fond de la dite cuve; Bien sûr, les canalisations de déversement; nous atteindrions les égouts tranquillement et pourrions rentrer sans encombre. Ce n'était pas un échappatoire au décor très agréable, mais c'était un échappatoire quand même. Sortir de la station n'était plus qu'un jeu d'enfant; quelques dizaines de mètres à rouler, et le charmant cadre des égouts de Seikusu apparut autour de nous. Nous nous arrêtâmes près d'une porte, qui nous mènerait sans doute rapidement à la surface; il n'y aurait qu'une grille dont il faudrait crocheter la serrure, et nous serions libres de rentrer chez nous. Enfin, chez nous, je ne sais pas. Pour ma part, je pense que je filerais directement au garage de Kagari, là où mes amis logeaient sans doute le temps de cette nuit, pour la course. Je voulais m'assurer que tous allaient bien et que la police ne leur était pas tombée dessus. Y compris sur Aizen, que j'avais vu filer par un entrepôt lorsque nous avions dû nous échapper du port.
« Bon... Nos chemins vont se séparer là, ma belle. Mais, avant que tu ne partes... »
J'eus à peine le temps de froncer les sourcils qu'un éclair sombre fila vers moi, des doigts fins glissant mon casque vers le haut, découvrant mes lèvres... sur lesquelles se posèrent celle de mon professeur. Je restais immobile alors qu'elle recula son visage afin de m'adresser un clin d'oeil.
Mon professeur, qui était une femme, venait de m'embrasser ?!
« Tu te débrouilles pas mal. Suivre les fesses de la Chatte Noire, ce n’est pas donné à tout le monde. »
Je dus réfléchir vite. La solution la plus sage aurait été de me taire et de la remercier rapidement avant de m'enfuir, et jamais elle n'en saurait rien. Mais le problème, c'est que moi, j'en avais bien trop vu et entendu ce soir pour fermer ma gueule, ou même aller sereinement au lycée. Je pense que j'aurais passé mes prochains jours à me poser une multitude de questions à son sujet, et n'aurais jamais pu la regarder dans les yeux en cours. Elle se serait tôt ou tard posée des questions sur mon comportement en cours et j'aurais été grillée. Non, il valait mieux que je porte ma fierté, mon sale caractère. Aussi, je finis par laisser échapper un rire après être restée quelques temps muette par le baiser inattendu. J'élevais ma voix, commençant à saisir le bas de mon casque.
« Vous me flattez... dame Chatte Noire ? Alors c'est comme ça qu'on vous surnomme la nuit... »
Je marquais une pause pour retirer complètement mon casque, adressant un sourire à mon professeur, tandis que ma chevelure ébène coula dans mon dos.
« ... Hardy-Sensei ? »
Je posais mes yeux bleus en amande sur son visage, devinant qu'elle m'avait reconnue. Tout à coup, je lâchais à nouveau un rire clair, bien plus relaxé, sincère.
« Qui aurait cru qu'un jour je fuirais, en moto, les flics de Seikusu avec mon prof de sport... qui me quitterait sur un baiser. Sur les lèvres ! Ce n'est pas très sage avec une de ses élèves, sensei. D'ailleurs, je dois dire que vous avez de bons goûts vestimentaires. »
Finis-je par dire, faisant allusion à sa combinaison, qui était plus moulante que la mienne, ce qui était pas mal, il fallait dire. J'avais voulu jouer oser et me faire remarquer pour ma première course, je me demandais si Aizen avait eu l'occasion de lorgner un peu lorsque nous étions côtes à côtes sur la route. En tout cas, je n'avais pas manqué quelques regards au point de départ. Mettez une femme bien roulée en combi sur une moto, et beaucoup d'hommes perdent la tête. Mais je n'étais qu'un modèle inférieur à celui de Hardy-sensei, qui avait des formes plus généreuse, et faisait plus femme. Je faisais mature; mais j'étais encore jeune et mon charme n'égalait pas celui de cette étrange chevelure argentée, en harmonie avec la noirceur luisante de sa combinaison.
Je me calmais, redevenant un peu plus sérieuse, me demandant si je n'avais pas pris un peu trop d'aise dans les derniers mots que je lui avais lancé. Après tout, elle avait l'air bien plus joueuse que moi.
« Plus sérieusement, je ne sais pas comment je vais pouvoir vous remercier sensei. »
En effet, c'était d'un sale pétrin qu'elle m'avait tiré de là.
Mais maintenant que ma langue s'était déliée, une multitude de questions affluaient dans mon esprit, et menaçaient de jaillir de ma gorge, tout de suite, ici, mais nous n'avions sans doute pas le temps; nous avions semé la police, mais il se pourrait que les troupes décident d'arpenter les égouts en quête de nos traces.