Un mois s'était écoulé depuis mon installation à Seikusu. Ma mère avait insisté pour m'accompagner la première semaine, étant présente lorsque j'entrais pour la première fois dans la chambre qui m'avait été assignée au lycée. C'était avec un soupir que je l'avais regardée poser une multitude de question à la jeune femme qui guidait les nouveaux arrivants, alors qu'elle jouait son rôle de mère poule craignant que sa fille succombe à la tristesse d'une vie solitaire. J'aimais profondément ma mère et la respectais, et sans doute allait-elle me manquer; et n'osais pas lui dire qu'à vrai dire, la perspective d'une vie un peu plus autonome m'excitait. Certes, je ne voulais pas qu'ils m'envoient dans une ville trop éloignée, car je ne pouvais toujours pas me défaire de ce solide lien familial que notre famille bien soudée et aimante avait tissé durant ces longues années de tranquillité au sein de Tokyo; mais il est évident qu'à mon âge, les désirs d'enfin se prendre en main soi-même, seule, dépassait l'envie de rester dans un cocon familial bien chaud où rien ne pouvait m'arriver. Sans doute il y a un an, je n'aurais pas pensé de même. Mais ma dernière année, qui avait suivit notre déménagement, m'avait offert la possibilité de découvrir une partie de moi qui ne demandait qu'à se rebeller. C'est ainsi que j'avais découvert cette agréable et jouissive sensation qu'on a, dans notre jeunesse, à enfreindre tout ce qui nous est interdit, à jouer avec les limites, à tanguer sur un fil au-dessus du vide. Prendre des risques; et, lorsque celui ci a été bravé, cette vague victorieuse de plaisir qui nous monte aux joues et les chauffe de fierté. Ce sont des sensations que l'on ne peut vivre si l'on ne décide pas d'un jour s'envoler du nid; et voler était sans aucun doute mon rêve le plus cher.
Littéralement voler, certes, mais avant cela, je me devais bien de voler de mes propres ailes à même le sol, et cette nouvelle vie que j'allais mener à Seikusu, était une charmante occasion de découvrir un peu plus de ma personne, qui allait sûrement se dévoiler alors que je me retrouverais totalement seule - excepté pendant une demi-heure chaque jour où ma mère m'appellerait pour me poser les mêmes questions à propos de ma bonne alimentation, de mes bonnes heures de sommeil, et de mes devoirs faits. Ce avec quoi, bien sûr, je n'avais aucun problème; puisque entendre quotidiennement la voix rassurante et apaisante de ma mère était quelque peu un moyen de recharger mes batteries de courage lorsque la solitude se faisait ressentir le soir. C'était une chose à laquelle je ne m'imaginais pas être si durement confrontée; la solitude. Oh ! ce que la solitude pouvait être effrayante. On est seul, dans sa chambre, dans le silence; alors qu'auparavant, il y avait toujours une pensée pour nos parents dans une pièce à quelques mètres, et seule l'idée de leur présence était suffisante pour se rassurer lorsque le sommeil nous manque. Et puis, l'année dernière, si je ne dormais pas, je n'étais pas seule non plus; je ne comptais pas le nombre de nuit où j'étais passée par la fenêtre pour rejoindre une bande de jeunes motards pour qui je m'étais prise d'une vive amitié. Ils avaient d'ailleurs promis de venir me rendre visite de temps en temps, et chaque fois que mon portable vibrait, le rythme des battements de mon coeur s'accélérait, alors que j'espérais que ce fussent quelques nouvelles de mes amis que j'avais dû quitter avec beaucoup de tristesse.
Quoi qu'il en soit, je me contentais de la présence des oiseaux lors de mes premiers jours à Seikusu, pour ne pas me sentir seule. Et encore ! ceux-ci ne me connaissaient pas, encore une barrière à un peu de compagnie pour égayer ma solitude quotidienne. J'avais du parlementer et aguicher avec du pain à plusieurs reprises quelques pigeons du lycée pour qu'ils puissent se laisser convaincre que je ne leur voulait pas de mal. Et puis, il me semble bien que je fus la première humaine qui s'adressât à eux... Je mis trois jours ainsi à pouvoir me trouver une compagnie animale, bien qu'elle fut quelque peu trop stupide à mon goût. Croyez-moi, les pigeons ne sont pas tous de grandes lumières, et ce n'est pas pour rien qu'on utilise cette expression là pour parler de personnes trop naïves et stupides; il arrive d'en trouver quelques uns malins, mais ceux qui se trouvaient dans mon nouveau lycée m'ennuyaient quelque peu profondément. C'est alors que j'ai dû me faire quelques connaissances humaines, puisque je finissais par me trouver assez profondément pathétique à regarder sans cesse autour de moi si personne ne me regardait alors que je m'accroupissais pour parler à un pauvre pigeon en l'attirant avec quelques miettes.
Il arrivât cependant un jour où une bonne nouvelle devait m'arriver par le ciel, et elle me vint de paire au lieu de me venir seule. Elle me vint sous une forme noire qui se découpait dans le bleu du ciel, tôt dans la matinée d'un samedi. Cette forme avait des ailes, et coassât quelque chose que personne qui avait sa fenêtre ouverte ne put comprendre; personne, sauf moi. Un large sourire se dessina sur mes lèvres alors que je me précipitais au bord de ma fenêtre, et tendais ma main pour que s'y pose en délicatesse une corneille que j'accueillis avec une immense joie. Elle venait de mon quartier, où mes parents résidaient; c'était l'oiseau avec lequel je m'étais le plus familiarisée, même dirais-je attachée. D'habitude, corbeaux et corneilles sont considérés de mauvaise augure; je les avais toujours aimé, étant une des rares personnes à être consciente de leur intelligence. Cela me fit du bien d'enfin pouvoir communiquer avec quelqu'un que je connaissais, bien que ce fut un animal; mais après s'être tous deux salués avec joie, elle ébouriffa ses plumes avant de s'empresser de me dire qu'elle avait vu quelque chose d'extraordinaire dont il fallait absolument que je sois au courant. Je fronçais les sourcils, l'écoutant attentivement, alors qu'elle s'emmêlait quelque peu les pinceaux, ne sachant pas par ou commencer. Une friandise donnée, et ses idées furent plus claires.
Corneille avait entrepris le chemin jusqu'à Seikusu afin de m'informer que mes amis motards avait l'intention de passer me voir, avec l'intention de participer à une course de moto illégale qui pouvait rapporter une bonne petite somme. Une course de moto ! Mes yeux brillèrent. Si, dans mon ancienne ville, je montais souvent à l'arrière, ils n'avaient pas manqué de me m'apprendre à conduire de moi-même, et ils s'était avéré que j'y étais très douée. Je ne pouvais pas me permettre de m'acheter une moto avec l'argent que me laissaient mes parents pour mes études, étant donné qu'ils ignoraient totalement le fait que je sache conduire illégalement, et qu'ils géraient encore mes comptes. En tout cas, aucun de mes amis ne m'avais encore prévenu qu'ils y participeraient; une idée commença à germer en moi, et un sourire amusé se dessina sur mes lèvres. Oh oui.. j'allais les surprendre.
Mais dans mes rêvasseries je n'écoutais plus vraiment Corneille, et je dus répéter bêtement "Quoi ?!" à trois reprises, après avoir entendu ces trois mots; homme qui vole. Je crus qu'il avait dit ça simplement pour attirer mon attention alors que je ne l'écoutais plus, mais mes yeux s'écarquillèrent lorsqu'il répéta son histoire. Apparemment, il aurait croisé sur le chemin un oiseau énorme, qu'il avait vu voler de loin, sans vraiment y prêter attention.. jusqu'à ce qu'il réalise que ce n'était pas un oiseau. Mais un humain. UN HUMAIN. UN HUMAIN !!! Corneille avait croisé un humain qui volait. Je me mis à rire nerveusement. D'où sortait-il cette folle histoire ? Il fut vexé que je ne le croie pas, et me dis qu'il l'avait même suivi jusque chez lui. Je me moquais gentiment.
Eh bien, tu n'as qu'à m'amener à lui ?
Déterminé, Corneille s'envola par la fenêtre, et vola en stagnant, me disant qu'on allait partir pour une petite balade. Je soupirais. Cette histoire me semblait rocambolesque, mais Corneille ne m'avait jamais menti et il n'avait pas l'air de s'être cogné quelque part un peu trop fort pour me raconter de telles choses. Mais je n'étais pas sotte, et j'eus cette réflexion, qui me fit décider d'essayer de le croire; un oiseau venait de me raconter une histoire. Et je venais de lui répondre. Et celui-ci allait me servir de GPS vivant pour m'amener à quelqu'un. Alors pourquoi pas un homme qui vole ? Il y a de nombreux mystères qui pèsent sur les capacités de lévitation et de télékinésie. Si moi je parle aux oiseaux, peut-être bien que quelque part, quelqu'un peut voler avec eux.
Ce samedi était plutôt ensoleillé, et je ne fus pas mécontente que Corneille soit arrivé ce jour là. Il était une bonne raison pour que je mette un pied dehors, et que je m'aventure un peu dans la ville. Je n'étais pas allée bien loin depuis que j'étais installée à Seikusu, me contentant du quartier entourant le Lycée. La semaine j'étais en cours, et le weekend je rejoignais mes parents. Ce weekend, j'avais préféré rester au Lycée, mes parents n'étant pas chez moi, je n'avais pas vraiment envie de rentrer pour être seule dans ma maison. J'aurais pu voir mes amis, mais apparemment eux n'étaient pas là non plus. Ah ! si j'avais su que c'était simplement parce qu'ils voulaient me faire la surprise de débarquer dans la semaine...
Corneille volait dans le ciel, coassant de temps en temps pour m'indiquer de bifurquer à droite ou à gauche. Je suivais ses indications, distraitement, en regardant autour de moi les gens qui s'affairaient dans la rue. C'était le matin et il avait déjà une assez grande circulation, et je me sentis étrangement bien dans ce bain de foule. C'était une chose qui m'avait beaucoup manqué quand j'avais quitté l'agitation de Tokyo. Peut-être était-ce pour cela que je détestais être seule; j'avais été habituée à vivre dans une ville vivante, où jamais le silence ne règne. Mes parents avaient raison; Seikusu me ferait du bien.
Je me perdais dans mes pensées et mes souvenirs de Tokyo, n'entendant qu'à moitié Corneille qui coassait vivement d'une façon aiguë. Ah, merde, il voulait me dire quelque chose. Je levais la tête, et levais un sourcil. Quoiiii, mais quoiii, pourquoi tu t'agites comme ça ? Hein quoi ? Juste devant m..
ET BAM.
Vous vous êtes déjà pris le dos de quelqu'un d'assez costaud dans la gueule ? Bah moi, si. Et ça fait pas beaucoup de bien à la tête. J'avais bêtement levé le visage au ciel pour comprendre Corneille qui s'évertuait à me hurler qu'il était juste devant moi et que je marchais derrière lui. J'avais continué à avancer sans regarder devant moi... et venais juste de percuter le dos de celui que je devais trouver.
Bah. Au moins, je l'avais trouvé.