L’homme courait à toute allure, la peur au ventre. On disait que la peur donne des ailes, et, pour ces faibles humains, c’était particulièrement vrai. Depuis le toit de l’immeuble, savourant la fraîcheur de la nuit, Sylvie pouvait sentir sa fille poursuivre l’homme. Il n’avait aucune chance de survie.
Abby restait la plus joueuse de ses filles, et lui laissait donc croire qu’il pouvait lui échapper. Cet homme était un simple dealer, qui avait tenté d’aborder Abby pour lui proposer de la coke. Il avait choisi la mauvaise cliente, et, maintenant, tout ce qu’il pouvait faire, c’était fuir dans des immeubles désuets et sinistres, dans les bas-fonds de la Toussaint. Personne ne lui ouvrirait. Cet endroit était leur terrain de jeu.
Sylvie agissait en bonne mère. Grâce à l’aide de Zero*, elle avait pu avoir des filles. D’innocentes femmes, soigneusement triées, afin que leurs esprits acceptent sans rechigner la faculté de porter un symbiote. Abby était la dernière en date, et, comme une mère digne de ce nom, Sylvie les éduquait. Les symbiotes avaient besoin de chair pour se nourrir, et, dans ce domaine, rien ne valait la chair humaine. Abby chassait donc, tandis que Sylvie espérait secrètement que cette chasse finisse par attirer son ancien époux, Nathan Joyce. Elle lui en voulait. Elle aurait du copuler avec lui pour féconder de nouveaux symbiotes, mais Nathan, pour d’inexplicables raisons, refusait le don qu’on lui avait offert, et s’accrochait avec l’âme d’un désespéré à sa ridicule humanité, refusant la puissance que le symbiote offrait. C’était une attitude que Sylvie ne pouvait comprendre. La vie se définissait par l’évolution. Un symbiote était naturellement plus évolué qu’un être humain. Elle n’arrivait pas à comprendre la logique de son mari, ce qui l’énervait, et l’avait pendant longtemps énormément frustré, car elle était dans l’incapacité de faire la seule chose que son symbiote désirait absolument : se reproduire.
Elle avait laissé dans son sillage, depuis plusieurs semaines, des personnes infectées. Mis à part quelques symbiotes rares, un symbiote ne pouvait se reproduire seul. Si on essayait de le faire sur un humain, son organisme luttait contre le virus. C’était ce qui était en train de se passer avec tous ces gens à l’hôpital. Bien entendu, les docteurs ne pouvaient pas faire grand-chose contre un virus formien extraterrestre, mais Sylvie espérait que Nathan finirait par réagir. Elle lui laissait des messages, afin qu’il la retrouve, et qu’il voit ce qu’il avait raté : une famille. Sylvie ne l’avouait pas facilement, mais elle rêvait toujours de fonder avec son ancien mari une famille. Et, comme Nathan s’y refusait, en tant que femme à l’amour blessé, elle voulait se venger.
Le dealer, lui, continuait à courir, dévalant les escaliers, manquant trébucher, renversant un individu qui remontait tranquillement chez lui.
«
Nan mais vous êtes cinglés ou quoi ?! »
Abby jouait, profitant des ombres. Sa cible était l’homme. Ce dernier n’avait qu’une idée en tête : rejoindre sa voiture, et quitter cette ville de cinglés. Il confessait sans peine avoir eu envie de plus qu’une simple transaction en voyant le joli minois de cette
gaijin, qui s’était présentée à lui comme une simple étudiante voulant se détendre un peu avant sa semaine d’examens. Lui n’avait jamais réussi les examens d’admission à la fac’, il savait ce que c’était. Il lui faisait l’amour contre le mur quand son corps, magnifique, avait commencé à se recouvrir de noir. Il était en train de la sodomiser, joyeusement, conformément à ce qu’elle demandait, quand ses doigts étaient devenus des griffes, et qu’elle avait défoncé son mur, formant de longues entailles. Il avait décampé hors de son studio quand elle avait balancé le lit sr la table à manger, la brisant en mille morceaux.
Le dealer, dont le nom était sans importance, vu la destinée funeste qui l’attendait, essayait de rejoindre la rue, où il y avait du monde. Il sauta les dernières marches, évitant par un incroyable miracle de s’affaler lourdement, et voyait les lumières d’une rue assez animée du quartier. Mais elle tomba du plafond, un sourire terrifiant sur les lèvres. Une interminable langue rouge jaillit de ses belles lèvres.
«
Je ne te plais pas comme ça, mon chéri ? » avait-elle alors lancé.
Sylvie, de son côté, assistait à tout. Abby était moins prudente qu’elle, mais elle était la fille de Zero, après tout. Et il n’était guère prudent.
«
Laisse-moi !! » hurla le dealer.
Il fila vers la porte arrière, exactement là où Abby voulait qu’il se rende. Il dévala rapidement un couloir, et ouvrit la porte, débarquant dans une petite cour silencieuse. Une ruelle sur la gauche filait en angle pour rejoindre la rue. Il allait la rejoindre quand Abby lui tomba dessus... Et le mangea. Abby n’avait jamais vu la spectatrice qui observait la scène, mais Sylvie, elle, l’avait vu. Le dealer n’hurla pas longtemps, car Abby ne voulait pas qu’on la dérange. Elle se mit à califourchon sur elle, son symbiote la recouvrant alors entièrement, et s’empala sur sa verge. Un morceau visqueux de son symbiote lui recouvrit les lèvres, et elle pressa ses griffes contre son torse, déchirant sa peau, arrachant des lambeaux de peau qu’elle avala avec plaisir, tout en se tortillant sur son sexe. Il était en érection, un réflexe naturel. Abby souriait, s’éclatant follement, et se pencha ensuite, léchant ses plaies, avant de manger.
Encore une fois, ses filles avaient l’habitude de manger salement, comme leur père. Sylvie, elle, était plus raffinée, mais elle était plus expérimentée. Elle enveloppait tout le corps dans son symbiote, et l’ingérait progressivement, faisant tout disparaître. C’était plus propre, mais probablement moins jouissif, moins sensationnel. Toute à son excitation, et à l’orgasme qu’elle eut en le dévorant, Abby ne vit pas la jeune femme qui l’observait sans rien dire... Et Sylvie décida de la lisser en vie.
*
Elle pourra peut-être t’aider, mon pauvre Nathan... Tu es comme un chien essayant d’attraper sa queue, de l’aide ne te fera pas de mal pour remonter à moi...*
Après une petite dizaine de minutes, Abby entreprit de se redresser, laissant un cadavre exsangue à ses pieds. Elle l’avait ouvert en deux, et termina en léchant son sexe mort, enroulant la verge dans sa longue queue, avant de l’arracher, et de l’avaler goulument. Ce n’était pas un spectacle très beau, le corps était comme fracassé en deux, avec la moitié des organes en moins, et des projections de sang sur le sol. Abby grimpa alors sur le mur, montant comme une araignée, afin de rejoindre sa mère.
Il était en feu. L’alcool ne servait plus à rien. La Bête hurlait en lui, alors que, partout autour de lui, il sentait sa présence. Sylvie était déchainée, une véritable hyène. Incontrôlable. Les blessés s’entassaient à l’hôpital, parlant d’une «
créature noirâtre ». On ignorait ce que c’était. Virus ? Maladie ? Épidémie ? Les théories foisonnaient sur le Net, mais Nathan savait ce qui se passait. La Bête en lui le lui disait. Elle était liée à Sylvie, et rugissait, sentant son empreinte. Sylvie s’excitait, et Nathan était condamné à suivre les points, en espérant la rattraper. Il ignorait ce qu’elle voulait, pourquoi elle agissait ainsi, mais ça le démangeait. À chaque fois qu’elle agissait, la Bête rugissait, furieuse. Les deux symbiotes s’attiraient inexorablement.
Nathan était en train de dormir quand la Bête avait rugi.
*
Sylvie ! Je la sens !!* hurlait la Bête en lui.
Nathan s’était affalé sur le sol, se tenant le ventre, en proie à une terrifiante douleur intestinale. Sa vision s’était brouillée, alors qu’il sentait le symbiote lutter, cherchant à reprendre le contrôle. Son corps s’était strié de lignes noirâtres, des sortes de tentacules se mettant à grossir pour tenter de le contrôler. Le policier avait réussi à se relever, se ruant dans la salle de bains, et s’était ruée dans la douche, déclenchant une eau glaciale. L’eau avait jailli avec force, glaçant son corps, faisant silencieusement hurler le symbiote, apaisant la rage de la Bête. Nathan s’était écroulé dans la douche, en sueur, avant de s’habiller rapidement, et de sortir.
Il avait pris sa voiture, et roulé à vive allure, allumant la sirène, sans savoir précisément où il allait. La Bête le guidait. Nathan manqua à plusieurs reprises de s’écraser à un carrefour. Se prenant pour un pilote de course, il faisait des virages dangereux, frôlant les voitures stationnées, s’attirant quelques sifflets de la part de piétons qu’il emmerdait joyeusement.
*
Revenez me voir quand vous aurez un symbiote dans le ventre, bande d’enculés !* pensait-il.
Pied au plancher, Nathan rejoignit le quartier de la Toussaint, et s’arrêta devant un immeuble sinistre, dans un coin de la ville tout aussi sinistre. S’arrêter ici avec le gyrophare était particulièrement dangereux, mais c’était bien ici que la Bête le guidait.
*
Elle nous a laissés un message, Nathan... Si tu me faisais plus confiance, nous aurions pu être là à temps...*
Une proposition intéressante, mais que Nathan rejeta sans même y penser. Il ne tenait pas à perdre la raison. Il s’avança rapidement, sans tenir compte des gens assis à des perrons, qui fumaient en le regardant avec suspicion. Sa main se saisit de son Glock, et il s‘avança dans la ruelle, allumant la lampe-torche de son pistolet.
Poubelles, petites portes en coin, quelques tuyaux décorant les immeubles. Il s’avança rapidement, débarquant dans l’arrière-cour d’un pâté d’immeubles. Personne aux balcons. Les gens de la Toussaint savaient y faire. Un cadavre sur le sol. Et salement amoché. Nathan pesta, et se rapprocha, rangeant son arme. Sylvie n’était plus là. Le corps avait été dévoré, et on lui avait enlevé sa verge.
*
Ce n’est pas ton style, Sylvie...*
Nathan s’abaissa devant le cadavre en pestant. Le corps dégageait une odeur effroyable. Il connaissait la procédure, et attrapa son téléphone portable en se relevant.
«
Central ? Nathan Joyce, j’appelle pour... »
Il s’arrêta subitement.
*
Derrière toi, un aveugle les verrait !*
Sans tenir compte de l’opératrice, qui lui demandait de poursuivre, Nathan s’empara de son arme de service, et se retourna, la pointant.
«
Police ! clama-t-il, sur un ton calme et déterminé.
Qui est là ? Identifiez-vous immédiatement ! »
Un témoin ? Sylvie ne l’aurait jamais laissé en vie... Mais elle n’aurait jamais laissé de traces aussi évidentes.
À quoi était-elle en train de jouer ?