Le manoir était rempli de courants d'air, ce jour-là.
On aurait bien été incapable de déterminer quel en était l'origine. Les fenêtres étaient fermées, les portes également. Les mouvements des personnes présentes n'étaient pas suffisants pour provoquer un tel phénomène. On avait bien changé le papier de riz des parois - car ce curieux évènement se produisait depuis plusieurs jours - mais rien n'y faisait.
Bien sûr, ce n'était qu'une anecdote dont on parlait entre serviteurs, pas assez intéressante pour retentir aux oreilles des supérieurs du lieu.
Pourtant, cette petite anecdote était le début d'une longue suite de catastrophes qui arrivèrent peu après, dans la même semaine.
Quand la nuit tombait sur Seikusu, le grabuge commençait. Au petit matin, on retrouvait régulièrement des vases cassés, des chaises renversées avec leur table, des tableaux décrochés ou renversés à leur place, mettant la tête en bas des personnages qui vivaient dedans et leur donnant un air grotesque. Fallait-il avoir un humour douteux, pour trouver drôle de mettre la tête sérieuse de Hirohito dans une telle situation.
En même temps, Kasei détestait ce gros con d'ancien empereur. C'était en partie de sa faute si le Soleil lui était tombé sur la tête. Mais hé ! C'était du passé, tout ça. Et puis, après tout, sans lui, elle ne serait pas là en train de s'amuser comme une petite folle.
Car c'était bel et bien la petite Poltergeist qui mettait la pagaille dans la luxueuse habitation. Et elle s'en donnait à cœur joie, accompagnée de son fidèle parapluie qui s'amusait autant qu'elle de la situation. Tout deux vagabondaient entre les murs depuis des jours et des jours, et ils vagabonderaient tant que la pluie ne réapparaitrait pas. Car sans la pluie, pas d'arc-en-ciel, et sans arc-en-ciel, pas de moyens de rentrer divaguer entre les nuages et flâner avec autant de paresse qu'un mort peut se permettre... c'est-à-dire, une paresse infinie.
Sous sa forme fantômatique, personne ne pouvait voir l'esprit frappeur. On distinguait à peine un léger trouble là où se formait sa silhouette. Mais Nasu, le parapluie, possédait encore son enveloppe matérielle. Ce qui signifiait que tout ce que l'on pouvait voir, c'était un parapluie voletant seul dans les airs et doté d'une gigantesque langue, ce qui suffisait à terrifier les pauvres servantes qui se prenaient en ce moment-même de la porcelaine sur la tête. Le mobilier volait dans les airs, les bougies se rallumaient et s'éteignait, et plusieurs serviteurs se comportaient de façon étrange - le plus étrange étant celui qui dansait en caleçon sur un secrétaire, possédé par la fantôme comme tous les autres.
« Hahaha, arrête un peu Nasu... aa-ah-ah, j'ai mal au ventre~ » finit par dire la demoiselle, se tenant les côtes dans son fou rire.
Le parapluie jeta une dernière assiette sur le dos d'une ultime servante, qui courut en direction inverse, hurlant de terreur.
« Je me demande si elle va oser sonner l'alerte... » annonça-il d'un ton songeur.
Sa grosse voix rauque résonnait dans toute l'entrée, et fut suivi par celle de Kasei, bien plus aiguë et enfantine :
« Oooh, on n'est pas allé voir par là, dis donc ! »
Son index pointait une porte placée en haut d'un des escaliers, et effectivement sauve de toute trace de griffures, chocs, et même morsures... bref, de tout ce qui aurait pu signifier que cet étrange couple serait passé par là. Ils avaient pourtant visité tout le manoir de fond en comble, semant autant de désordre que possible... c'était décidément très grand, ici ! Le terrain de jeu idéal !
Ni une ni deux, ils voletèrent ensemble vers ce mystérieux lieu. La porte fermée à clé n'empêcha pas Kasei de passer, mais elle dût laisser son amie toujours aussi matériel de l'autre côté. Celui-ci émit évidemment un point d'objection.
« Tu vas encore m'abandonner, dis-moi ? »
« Oh, tu ne peux donc pas te passer de moi une seule seconde ? ♥ »
« Ça serait plutôt le contraire... Mais je vais aller m'amuser tout seul, il y a pleins de petites servantes dans les bains au troisième étage. »
C'est sur ces sages paroles d'un mari à sa femme que l'ombrelle fut expulsée par sa propriétaire avec humeur, voletant entre les escaliers pour aller s'occuper de ses futures proies...
Entre-temps, l'esprit frappeur traversa la porte et y trouva une simple chambre. Certes luxueuse, mais qui aurait été d'un intérêt limité, s'il n'y avait eu cette jeune fille endormie entre les draps.
« Oooouuuuuuh, mais qu'est-ce que qu'on a là ? ♪ » chantonna doucement la défunte, en se rapprochant de l'assoupie.
Elle n'était toujours pas matérielle, et ce serait le cas tant qu'elle flotterait dans les airs comme elle le faisait actuellement. Cela dit, on pouvait entendre sa voix même dans cette situation-là.
Avec de la suite dans les idées, la sournoise envoya valser les draps du lit sans réveiller leur propriétaire - elle en avait l'habitude, après tout. Vêtue d'une petite nuisette de soie, c'était un joli spectacle que ce corps bien vivant, bien chaud, et surtout avec pas grand-chose pour se défendre dans l'immédiat.
Kasei posa une de ses épaisse geta par terre, pour se rendre matérielle et pouvoir toucher cette peau fraîche qui s'offrait à ses dix petits doigts curieux. Elle s'allongea sur le matelas en moins de deux, aussi légère que les courants d'air qu'elle provoquait depuis une semaine dans le manoir. Les cuisses de la blonde s'écartèrent avec douceur, et sa compagne pouffa un peu à l'idée de la suite des évènements, comme si elle était sur le point de faire une bonne blague.Puis, elle se lécha le lèvres en voyant ce qui l'attendait. Des lèvres qui ne tardèrent pas à aller se poser sur l'endroit stratégique, découvrant cette zone.
Il n'y avait bien qu'un esprit pour accomplir tout ces gestes avec autant d’absence. Non pas qu'elle ne comptait pas y mettre du cœur, mais tout en elle était allégé par sa mort, et même son semblant d'enveloppe corporelle ne pesait pas plus qu'une plume. On ne pouvait presque pas sentir son toucher, mais les sensations, elles, étaient bien là, et la jeune victime ne tarderait pas à les ressentir.