Une salade ? Non, dégueulasse. Des fruits, et des légumes ? Beurk... Des hamburgers ?... Hm. Est-ce que j’ai assez de fric pour aller acheter des hamburgers ? Quelle galère, tiens. Je sais même pas encore ce que je vais manger ce soir, et pourtant, il fait presque nuit. Des hamburgers. Je vais être obligé d’aller les acheter tout fait. J’ai pas assez pour acheter le pain, les steaks, le fromage et les légumes à part. Et en plus, j’ai rien pour faire cuire la viande. Je vais quand même pas aller squatter un tonneau enflammé avec des SFDs pour pouvoir manger de la nourriture chaude, hein. Faut pas pousser. Je vis peut-être dans la rue, mais ça veut pas dire que j’ai envie de me mêler à un tas de déchets. J’observe un instant les quelques pièces dans ma main, avant de soupirer.
Ou alors, je vais me prendre des sushis dans un fast-food. Dilemme intense. Hamburger ou sushi ? Bon dieu. Je verrais ça plus tard. J’ai autre chose à faire.
Je secoue la tête pour m’ôter cette idée de l’esprit, avant de continuer ma marche vers le quartier de la Toussaint. C’est incroyable, que je me retrouve toujours à me pointer là-bas. On dit que tous les chemins mènent à Rome, mais je pensais pas que Rome puait autant la pisse. En même temps, je cherche un peu la merde. Quelle idée d’essayer de trouver de la drogue. C’est forcément dans ce quartier qu’on en trouve. Je veux dire, vu la gueule de l’endroit, ça m’étonnerait même pas qu’on y trouve encore pire que de la drogue. Déjà, j’y ai croisé des bandes de mecs peu recommandables, des tarés, des putes. Et je suis sûr qu’il y a un tas d’autres personnes encore moins fréquentables qui traînent dans le coin.
Tiens, en parlant de putes, William, mate-moi l’horreur qui s’approche. J’écarquille les yeux au maximum de ma capacité à le faire, pour observer la personne qui s’approche de moi. Enfin, la personne... Je crois que j’ai jamais vu une femme aussi grosse et aussi massive de toute ma vie. Sa manière de réduire la distance entre nous... J’ai l’impression de regarder un documentaire animalier de feu le Commandant Cousteau quand il parlait des baleines échouées sur les plages. Et ses vêtements... Un rôti est mieux empaqueté que cette chose affreuse. À chacun de ses pas, j’ai l’impression de vivre un tremblement de terre de niveau 16 sur l’échelle de Richter. Et en plus, elle me sourit. Et ça me donne bien plus envie de m’enfuir en courant, à cause de sa rangée de dents plus asymétriques que jamais, que de m’approcher pour lui dire bonsoir. Elle est maquillée d’une manière, en plus. Le Joker dans Batman, à côté, c’est Casimir. J’ai l’impression de revivre en direct un concert de Kiss, sans le son, avec juste l’image. Et une image déformée, en plus. Ses jambes ressemblent à deux piliers de l’Acropole, et lorsque j’ai le malheur de baisser les yeux vers son décolleté et vers sa paire de loches proéminentes, elle me fait l’impression d’une paire de mamelles de gorille femelle. Avec les poils, en plus.
Elle finit par s’arrêter juste devant moi, et un nouveau tremblement de terre manque de me faire trébucher. Je sens mes yeux qui me piquent quand elle m’invective d’un « bonsoir mon mignon ! » porté par une haleine fétide digne du Leviathan de Pirates des Caraïbes, la bave en moins.
Je remonte mes lunettes noires sur mon nez, histoire de me donner une contenance. Et d’une répartie qui ferait pâlir de jalousie le champion du monde de théâtre d’improvisation, je lui réplique, spirituel jusqu’au bout des ongles :
« Salut, ma grosse. »
Avant de la bousculer pour me barrer vite fait, bien fait, avant que ne lui vienne l’idée saugrenue de me dévorer vivant pour l’affront.
Je l’entends hurler des insultes dans mon dos, et, pendant un instant, je ressens ce que j’imagine être la même chose que les héros du film Godzilla au moment où ils sont coursés par la bestiole haute de dix mètres. En plus, on est au Japon, alors je suis dans l’ambiance.
Je finis par déboucher devant une grande bâtisse délabrée, l’endroit où mon contact m’a demandé de le retrouver. Une chambre au deuxième. Ce ne me surprend même pas de voir un bâtiment de ce genre. C’est tellement cliché. Le dealer planqué dans une piaule de merde dégueulasse. Je m’avance et pousse la porte. Et je soupire. L’entrée est tellement vétuste et mal éclairée que j’ai presque l’impression de voir des torches accrochés aux murs, comme dans les donjons du moyen-âge. À chacun de mes pas, le bois du plancher craque sous mes pieds, et je sens que tout va s’écrouler si je crie trop fort. Tout ça me rappelle une question qui me trotte dans la tête depuis de très longues minutes maintenant, et je ne peux m’empêcher d’exprimer cette interrogation à haute-voix, dans l’espoir que ça m’apporte une réponse :
« Hamburger ou sushis ?... »
Bon, et bien, ça n’a pas fonctionné. J’ai toujours ce doute qui m’habite - et pas « ma bite ». Ma bite n’a aucun doute. - et c’est avec cette idée en tête que je commence à gravir l’escalier, tout en espérant également que les marches ne cèdent pas sous mon poids. Même si je suis mince. Et séduisant. Et trop classe. Arrête les digressions, William.
Je finis par parvenir sur le pallier de l’étage susnommé - il y a de ces mots, quand même. Comme faire plus tendancieux que ça ?... - et j’avance jusqu’à la seule porte qui me paraît viable. Parce que les autres sont ouvertes, ou défoncées. Elle, elle a l’air d’être, sinon propre, tout du moins relativement entretenue.
Je toque, doucement, et lorsque la voix du dealer me demande qui va là, je réponds du code que nous avions convenu à notre première rencontre. Il me dit d’entrer, et je m’exécute - au sens figuré, ce serait idiot de me tirer une balle maintenant, j’ai encore trop de choses à vivre - en poussant le battant de bois. Et j’arrive dans une pièce qui n’a rien à envier au reste de l’immeuble, même si elle est mieux éclairée, malgré le côté un peu tamisé, et qu’on s’aperçoit bien si on y regarde de plus près qu’elle est habitée régulièrement.
Je vois l’homme, et il me fait signe de m’asseoir avant de me demander ce que je veux.
« D'la Marie-Jeanne. Tout ce que t’as. »
Il me fixe quelques secondes, l’air surpris et sincèrement étonné, avant de secouer la tête.
« T’as déjà fumé, visiblement. Je peux pas tout te filer, j’attends quelqu’un d’autre.
- Rien à foutre. Si je paie, j’y ai droit, nan ?
- Oui, mais ça n’empêche que je peux pas me permettre de perdre des clients parce que d’autres se prennent pour les rois.
- Rien à foutre, je te dis. Je lui sors une liasse de billet, et la jette sur la table. J’ai dis, tu vas tout me filer. J’ai pas envie de revenir avant un moment. Et si t’es pas trop con, comme mec, tu devrais pouvoir en récupérer facilement. »
Je le vois observer les billets. Avant de relever la tête, ouvrant les lèvres pour reprendre la parole.
« Pourq...
- Dis-moi, dis-je en lui coupant la parole, j’ai besoin d’un avis. Toi, tu choisirais quoi ? Hamburger, ou sushis ? »
Il me fixe, encore. Longuement, avant d’étirer ses lèvres et de partir d’un fou rire. Je l’accompagne, ayant l’impression de me retrouver dans un film de gangster avec Al Pacino ou Sean Penn. Et, finalement, il met une main dans son dos, sort un flingue, le pose en évidence sur la table. Encore un cliché de film, ça. Et il me regarde.
« Tu te fous de ma gueule, mec ? »
Je hausse un sourcil, avant de répondre sur le même ton.
« Pourquoi est-ce que je me foutrais de ta gueule ? J’ai déjà assez à faire avec la mienne. Alors, ton avis pour les hamburgers ?... »
Il reste immobile quelques secondes, et se jette finalement en avant. Mais je suis prêt. Je dégaine mon flingue aussi rapidement qu’il attrape le sien, et on finit par se mettre en joue tout les deux. Yeux dans les yeux, j’ai un sourire aux lèvres, tandis qu’il a l’air un peu énervé. Et c’est un euphémisme. Nous restons ainsi une longue minute, et je sens que les coups vont pleuvoir dans peu de temps. Et juste au moment où j’allais plonger de côté parce que son doigt me paraissait se crisper sur sa gâchette, le bruit retentit dans la pièce.
Quelqu’un toque à la porte.