Il était rare que Virgile sorte. Depuis quelques temps, il ne quittait ses appartements que pour aller à l'hôpital suivre quelques patients, ou pour en accueillir de nouveau dans son cabinet, au rez-de-chaussée de sa demeure. Plus le temps s'écoulait, plus Virgile devenait solitaire ... Ce matin-là, pourtant, il reçut une invitation, dans une enveloppe soigneusement pliée. Il était 9h tapantes, et le psychiatre sortait tout juste de sa douche. Une serviette nouée à sa taille, ses tatouages dévoilés au grand jour, il ouvrit soigneusement l'enveloppe. Il déplia la lettre, tout en s'allumant avec soin une cigarette à la menthe. Sa gouvernante laissait souvent trainer ses paquets, aussi se servait-il dedans, à l'occasion ... " Cher confrére, ce serait un plaisir de vous compter parmi les invités du prochain colloque : Hybridation, corps et personnalités multiples. Votre dernier ouvrage porte sur ce point, aussi vous ais-je réservé une plage horaire, afin que vous puissiez donner une conférence et nous faire partager votre avis sur ce point. De nombreux scientifiques, médecins, psychologues, étudiants, et autres gens de ce métier seraient ravis de faire votre rencontre. En espérant vous croiser, donc, d'ici une semaine, dans la grande Halle de Seikusu. Salutations." Le nom qui signait la lettre était si mal écrit, et Virgile si mal réveillé, qu'il ne prit même pas le temps de le lire. Un post-scriptum le priait de répondre à cette lettre sur une adresse mail d'ici deux jours, ce qu'il fit aussitôt. Une affirmation. Ce serait un plaisir pour lui, que de sortir enfin de cet endroit qu'il finissait par connaitre par coeur. Grands dieux, il n'avait pas quitté Londres et sa monotomie pour venir s'ennuyer ferme au Japon ! Ainsi, il inscrivit sur son mail à quel point il serait heureux de participer, puis retourna à ses occupations.
Dire que Virgile était connu pour ses ouvrages serait mentir. Les quelques essais qu'il écrivait étaient publiés grâce à un de ses amis en librairie, et parfois dans un magazine scientifique connu dans le milieu de la psychothérapie, et étaient bien vendus. Récemment, il avait appris que les étudiants en médecine de la faculté d'Hokkaido étudiaient sa dernière publication, autour de la skizophrénie et des différentes manières de la soigner. Bref, si Virgile avait une certaine renommée, c'était surtout parce qu'il était un excellent praticien, et qu'il cotoyait ceux de la haute-société de Seikusu. L'idée même que lui, vampire, puisse être respecté grâce à autre chose que ses canines acérées, lui plaisait.
Toujours est-il que la semaine s'écoula vite, et qu'il lui fallut rapidement se préparer pour ce colloque. Il interviendrait à deux reprises : lors du premier jour, pour parler de son travail autour des personnalités multiples, et lors de la deuxiéme journée, pour un débat avec d'autres praticiens, venus des quatres coins de la Terre. On l'avait désigné pour représenter le Japon, et l'idée l'enchantait assez. Ce matin-là, il se leva donc sans efforts, enfila un costume noir assez chic - chemise blanche aux manches un peu bouffantes, veste cintrée, cravate et veston noirs, pantalon d'encre et chaussures vernies du même goût, sans oublier sa chère et tendre montre à gousset et ses bagues argentées - laissa ses cheveux tomber sur ses épaules et prit ses lunettes, comme à son habitude. Le jeune vampire était astygmate, aussi devait-il porter ce genre d'attributs lorsqu'il lisait. Le journal du jour sous le bras, et un parapluie dans la main, il se dirigea vers la Halle. Il pleuvait des cordes sur Seikusu, ce jour-là, aussi devait-il prendre des précautions. Arriver trempé à une conférence ne sied pas à un gentleman, songea t'il en souriant, et en dépliant le parapluie noir au-dessus de sa tête.
La Halle était une sorte de salle immense, vitrée à la manière du Crystal Palace. Virgile appréciait beaucoup cet endroit, habituellement vide. Mais là, de nombreux stands se dressaient, des portes conduisaient ici et là à des buffets, des conférences, des librairies éphéméres. On lui offrit un badge, le programme et on le salua avec respect. Virgile salua quelques confréres, et s'installa dans un fumoir improvisé, une tasse de café à la main. Le psychiatre remonta ses manches, laissant voir sans le vouloir son " So it goes " tatoué au poignet droit, tout en regardant par une fenêtre la météo qui déclinait à vue d'oeil. Il poussa un long soupir, tirant une bouffée sur sa pipe.
- Cette journée commence à merveille ...
Souffla t'il, plein d'ironie. Ses yeux se baladérent sur le programme, et il vit qu'il parlerait d'ici une heure ... Le temps de fumer calmement, donc. Il déposa ses notes sur la table, près de lui, les yeux dans le vague.