L’hiver approche. La litanie des mestres et des hommes âgés de Sylvandell quand ils levaient la tête, et voyaient qu’il faisait beau depuis des semaines, comme c’était le cas en ce moment. L’hiver approchait maintenant à grands pas, et on le sentait dans les chutes de température brutales. Dans les hauteurs de Sylvandell, dans les profondeurs des montagnes, les hivers étaient rudes, froids, glaciaux, mortels, même pour des Commandeurs. Dehors, lors des longues nuits d’hiver, il arrivait parfois, en certains points, que la température chute jusqu’à -40° Celsius. Et les tempêtes de neige, quand elles avaient lieu, s’étalaient sur toute la région. Aujourd’hui, il faisait beau, mais, plus la journée déclinait, et plus on voyait les nuages se former, recouvrant la chaîne de montagnes, tandis qu’un froid polaire commençait à se répandre sur le royaume. Chaque période de froid amenait toujours le royaume à devoir réagir. Il faisait parfois si froid au Château royal qu’il était même arrivé, il y a quelques siècles, qu’on dût provisoirement le quitter pour s’implanter dans les baronnies.
Alice avait senti le froid et la tempête arriver, et, dès qu’elle s’était levée, Lõara, sa fidèle servante, lui avait confirmé ce que tout le monde pensait. L’hiver approche, et il allait faire froid cette nuit. hasard ou coup du sort, c’est vers le milieu de la journée, peu après le déjeuner, que des éclaireurs vinrent les informer qu’une armée marchait sur eux. En temps normal, attaquer Sylvandell était généralement courir à sa perte. Avec l’approche d’une tempête de neige, c’était tout simplement de la folie. Sous le froid, les dragons devenaient encore plus voraces, se battant pour que le sang bouillonne dans leurs veines, et ainsi avoir moins froid. Son père prit la chose avec un grand éclat de rire, mais, quand on lui confirma que l’armée ne venait pas de ces « blancs-becs de Nexus qui se dorlotaient le cul dans des manoirs », Tywill se demanda qui donc venait. On parla d’un « contingent de femmes », avec des chiffres variant. Pour un éclaireur, elles n’étaient « pas plus d’une ou deux centaines, et en très mauvaise condition physique pour la plupart ». Pour un autre, elles constituaient, au contraire, « une légion de femmes sanguinolentes, des milliers de guerrières qui poussaient des rugissements, comme si elles voulaient impressionner les dragons eux-mêmes ». Il renchérissait, évoquant des « diablesses maléfiques », sortes de démones modernes. Agacé, Tywill s’entretint avec les quelques Commandeurs qui se trouvaient à Sylvandell, notamment Oberyn, un Commandeur pour qui Alice éprouvait beaucoup d’affection, qui expliqua qu’il devait s’agir des Amazones. Oberyn ne connaissait en effet qu’une seule horde féminine braillarde et indisciplinée, celle des Amazones. Alice, nerveuse, suivait l’échange. Oberyn expliqua à Tywill qu’une Amazone était une fière combattante, mais qu’elles n’étaient pas en guerre contre Ashnard, ni contre Nexus. Elles étaient en guerre « contre tout le monde, et en paix avec tout le monde », pour reprendre sa formule. Pourquoi venaient-elles là ? Mystère… Quelques Amazones étaient mises à prix, mais ce n’était pas Sylvandell qui les avait mises à prix, n’ayant rencontré aucun problème avec les Amazones, mais Ashnard. Les Amazones aimaient enlever des femmes belles, fortes et vigoureuses, afin de les enfanter, et d’avoir des enfants, restituant ensuite les otages, mais sans vraiment demander initialement leurs avis. Immédiatement, le regard de Tywill s’était porté sur sa fille. Venaient-elles pour capturer sa fille ? Il ordonna qu’on retrouve Hodor, qui se prélassait dans les forêts des baronnies, et qu’on l’assigne à la protection permanente d’Alice.
Pour accéder à Sylvandell, il existait bien des passages. On pouvait passer par les ponts principaux, mais aussi par les montagnes, et, si les Amazones étaient d’aussi fières guerrières que ce qu’on disait, prêtes à attaquer n’importe quelle place forte, Tywill gardait à l’esprit qu’elles pouvaient très bien choisir d’envoyer un groupe passer par la montagne pour s’infiltrer dans le Château royal, et capturer sa fille, ce qui était une hypothèse inacceptable. Avec Hodor veillant constamment sur elle, Alice était assurée qu’on ne puisse que difficilement la capturer. Le demi-géant, même s’il était d’un naturel doux et calme, était une véritable masse, l’homme le plus grand qu’Alice eut jamais vu. Même son Père, un colosse, était moins grand et moins imposant qu’Hodor. Une épée ne l’effrayait pas, pas plus que les balles, et, quand Hodor était énervé contre quelqu’un, la fuite restait la seule solution envisageable. Alice se retrouva ainsi avec Hodor toute la journée, et fut consignée dans le Château royal, tandis que Tywill prenait les choses en mains.
Lorsque la Horde des Amazones finit par approcher, le château qui servait d’accès à l’un des plus grands ponts de Sylvandell comprenait une garde massive. Des centaines d’archers et d’arbalétriers se pressaient le long des murs et des miradors, pointant leurs armes sur les femmes. Dans la cour, et le long des créneaux, on avait mis en place des armes de siège : canons, balistes balançant des projectiles enflammés suffisamment épais et rapides pour renverser comme des quilles toute une ligne de soldats. Néanmoins, plus la Horde avançait, et plus les soldats sylvandiens comprenaient qu’elles étaient effectivement très nombreuses. On les entendit bien avant de les voir, leur tintamarre résonnant dans toute la région, et deux femmes ne tardèrent pas à se détacher du lot.
Dans l’enceinte du château, Alice était également là, sur son cheval, à côte d’Hodor. La meilleure protection au monde restait son père, et, si les Amazones entendaient les attaquer, elle était sûre qu’ils ne pourraient que gagner. Les dragons seraient avec eux, et elle conservait aussi en elle une confiance inébranlable envers son Père. Deux Amazones s’avancèrent donc, et Oberyn parla à l’attention de Tywill. Ils se tenaient dans une pièce d’une tour, observant la scène depuis des fenêtres.
« Andromaque, la Reine des Amazones, annonça Oberyn.
- M’a tout l’air d’une chieuse, celle-là, grommela Tywill. Le genre à vous mordre les couilles sans jamais les lâcher, même si on devait lui arracher la moitié de son foutu corps.
- L’autre, c’est sa fille, Sélène.
- M’a tout l’air d’être une autre chieuse. Putain de bordel de merde, jura-t-il alors, mais pourquoi est-ce qu’on doit toujours venir nous faire chier ? »
Le corps de garde du château s’ouvrit dans un grincement, et trois soldats montés sur des chevaux s’avancèrent, s’approchant des deux femmes. Andromaque parla naturellement. Alice voyait en elle une femme forte, au caractère inébranlable, assez proche, dans le fond, de Tywill, son Père. Quant à Sélène… Elle avait l’air aussi hargneuse que sa mère. Rien à voir avec elle.
*Est-ce qu’elles viennent vraiment pour me capturer ? Brrr…*
Elle voyait un véritable troupeau assez désorganisé, et l’idée de se retrouver à l’intérieur la rebutait… Tout en l’excitant paradoxalement. Les Amazones devaient être libres comme l’air, allant où bon leur semble. Et Alice avait toujours rêvé de voir le monde. Certes, ce n’était qu’un rêve d’enfant, mais un rêve reste un rêve, après tout, et les rêves ont parfois du mal à se refermer.
Andromaque parla aux soldats, exigeant d’une voix impérieuse un entretien avec son Père « sur-le-champ ». Les soldats ne répondirent rien, et se retournèrent, retournant au château. Derrière le château, les nuages continuaient à se former, à s’accumuler, chassant cette belle journée. Alice ne put avoir que pitié pour les Amazones. Elle lisait de la détermination dans leurs regards, mais, si elles comptaient dormir à la belle étoile cette nuit, leur regard assuré ne pèserait pas long feu face à la neige et à la température hivernale.
« M’semble qu’on me requiert… nota Tywill. Oberyn, remue-toi un peu le cul. Londruc, fit-il en parlant au commandant, prépare-toi à faire feu si jamais ces dames nous attaquent. Au moindre mouvement dangereux, j’veux qu’on puisse faire du bowling avec la tête d’Andromaque.
- Est-ce… Est-ce bien prudent, Monseigneur ?
- La prudence voudrait que je zigouille sur-le-champ ces dames ! Fort heureusement, je suis du genre galant, alors, puisque la dame veut me parler, je ne vais pas lui refuser cela. Mais je ne vais pas y aller seule. Oberyn m’accompagnera, ainsi qu’Hodor, et ainsi que toi, ma fille.
- Moi ? s’exclama cette dernière. Mais… prostesta-t-elle, ou tenta-t-elle de protester.
- J’ignore ce que ces dames veulent, mais l’hypothèse qu’on a, pour le moment, c’est qu’elles veulent te capturer. En mettant ton minois sous leur nez, on sera fixé sur les prétentions.
- Et si elles m’attaquent ?
- Cette Andromaque a pas l’air d’une illuminée, objecta Tywill.
- Si leurs motivations sont bel et bien de vous capturer, elles n’essaieront pas d’attaquer. Ce serait prendre un trop grand risque. De plus, rajouta Oberyn, nous affronter serait trop douloureux pour elles. »
Alice fit la moue, guère convaincue, mais on ne refusait pas un ordre direct de Père. Avec Hodor, Oberyn, et Tywill, ils sortirent donc, sous l’œil vigilant des archers et des arbalétriers. Tywill en tête, Alice à côté d’Hodor, qui marchait sur le sol, parvenant à être à hauteur de tête d’Alice, Oberyn à côté, l’air serein et insouciant, mais très attentif au moindre mouvement suspect. Alice, elle, était complètement terrorisée, mais essaya de ne rien en montrer. N’était-elle pas la Princesse de Sylvandell, après tout ?
*Du nerf !* se sermonna-t-elle.
Sa main serrait fréquemment le manche de sa dague en verredragon, comme pour se rassurer, même si elle savait qu’elle ne pèserait pas long dans un combat. Ces femmes semblaient tellement hautaines, tellement fortes ! Tywill finit par s’approcher d’Andromaque, dominant cette dernière d’une bonne tête. Il portait sa lourde armure, et on pouvait voir, accrochée à cette dernière, pendue, son énorme marteau de guerre. Il ne portait pas son casuq,e et ses cheveux volaient au vent.
« Andromaque, Reine des Amazones, vous avez sollicité une putain d’audience, alors me voici, lança Tywill. Tywill Korvander, Héritier d’Erwan Korvander le « Maudit », Souverain de Sylvandell, et toutes ces conneries. »
Tywill n’était pas un diplomate dans l’âme, et son regard oscilla entre Andromaque et Sélène. Elle savait qu’il était inquiet pour elle, mais il n’en laissait rien paraître, donnant à nouveau le sentiment à Alice de n’être rien de plus qu’une petite fille paniquée.
« Alors, Mesdames, quel bon vent vous amène à Sylvandell, vous et votre troupeau ? J’espère que vous envisagez pas de pique-niquer ; une tempête va frapper cette nuit, et vos jolis culs risquent de plus être très doux au toucher s’ils sont gelés. »
La Princesse soupira. Il ne restait plus qu’à espérer que son Père ne déclencherait pas un accident diplomatique par son franc parler et ses remarques proches de la grivoiserie.