~ Thème ~ Dix-neuf heures... L'avantage du changement de saison, c'est que la nuit vient plus tôt et reste plus longtemps certaines fois. Les humains étaient tous vêtus de lourds manteaux, sans doute la nuit devait-elle être fraîche. Je ne pouvais décemment pas me promener en simple robe, trop repérable. Rentrant rapidement dans ma cachette, j'attrapais une longue veste de laine noire que je jetais sur mes épaules, ajustais autour de mon cou une capeline au col de fourrure. On distinguait ma robe rouge sous la laine épaisse, et, fendue jusqu'au dessus du genou, on devinait dessous, une peau blanche, superbe. Je jetais un œil au grand miroir qui siégeait au centre de la pièce. Je souris. Tino n'avait vraiment pas fait les choses à moitié. Inutile de se maquiller ou de se parfumer lorsque vous êtes vampires,votre odeur seule, votre vue seule enivrent les sens...
Je sortis finalement. Il avait beau être tôt, la nuit était déjà bien sombre. Les humains pullulaient encore. Je me faufilais parmi eux, gracieuse, élevée.
Beaucoup sentaient la bière, des femmes riaient au bras de leur époux, de leur amant, d'un frère peut-être, à leur odeur, ils n'avaient pas mangé, ils devaient se rendre au restaurant.
Au restaurant... Je tapais de la langue contre mon palais et la faisait glisser contre mes canines de vampires... Non, cela aurait été gourmandise de m'offrir une femme ce soir, les deux de la veille me pesaient encore sur l'estomac.
Il faut dire que la première... Quoi que meilleure qu'un homme, n'avait guère un goût des plus raffinés, elle devait sortir d'une boîte de nuit, d'un bar, ou d'une nuit torride car son sang même empestait la sueur. Pourtant, un sang gorgé d'hormones sexuelles... Oh, mes aïeux !
Et la seconde, en revanche... Rien qu'au souvenir, j'en salive. Une vierge ! J'avais réussi à trouver une vierge... Si délicieuse, si frêle, fragile... Le sang qui dégouline dans la gorge, clair comme de l'eau de roche, qui irise dans tout le corps, qui illumine les sens, la nuit, le monde ! Boire à une vierge c'est, en quelque sorte, comme revoir le soleil sans en brûler...
Le soleil...
Tout en laissant mes pensées vagabonder, je déambulais dans les rues. Mes pas me menèrent jusqu'à la place centrale. En cette période de l'année, cela grouille de monde. Agaçant – car bien trop bruyant – mais idéal pour faire un raid discret sur la population. Mais vampire ou humain, une même chose est valable pour tous : la mesure, la tempérance, l'équilibre.
Tino le lui avait appris, dans les premiers temps de sa vie, il est important d'avoir une vie saine, sinon, bien que notre organisme soit mort, il peut dégénérer. Il lui avait fait rencontrer un vampire qui avait fait trop d'excès de sang. Le sien était devenu trop épais, il ne coulait plus comme un flot ininterrompu, il bouchait, s'agglutinait. Apparemment la fin serait une sorte d'explosion du corps, et les organes exposés à l'air ambiant brûleraient. Les humains avaient appelé ça la « combustion instantanée » sans savoir qu'en fait il s'agissait juste de vampires trop gourmands.
J'eus un petit rire discret avant de commencer à traverser lentement la place. Ce soir, je cherchais une proie. Pas n'importe laquelle. Un homme. Un homme beau, qui sache me combler, assez jeune pour que je puisse y boire si jamais l'envie me prenait (et le sang qui a tourné, il n'y a rien de pire!), robuste... Un homme un vrai, en somme. Mais, le plus important de tout, il fallait qu'il soit seul quand je le trouverais. Cela complique toujours les choses les bandes. Sauf si la bande passe la nuit avec moi bien sûr, mais, lorsque ce n'est pas le cas et qu'il y a des... accidents, la bande peut toujours raconter que leur ami s'est absenté pour une nuit avec une demoiselle désespérément belle mais inconnue.
Tout vampire que nous sommes, plus nous pouvons éviter les ennuis avec la police, mieux nous nous portons.
Oh, lui... Un magnifique noir, grand, musclé, une mâchoire carrée... Je lui lançais un sourire, auquel il répondit par un clin d’œil mais il fut rejoint par trois hommes et deux femmes... Pas de bande. Passe ton chemin, imbécile.
Ah, c'est sûr, chasser sur Terre avait ses avantages comme ses inconvénients : les humains sont des proies faciles et naïves mais se braquent dès que quelque chose perturbe leur univers. Sur Terra, il n'est pas si difficile de faire un massacre d'êtres humains et d'échapper à la justice. Enfin d'être humains, de créatures...
Oh. C'était bon. Je l'avais.
Souriant, je me retournais brusquement. Il était dans mon dos, à une vingtaine de pas. Un grand, roux, musculature fine mais efficace à n'en pas douter, jeune, des yeux sombres donc certainement pas un grand niais (oui, la couleur des yeux ne trompent jamais sur la personne.)Un, deux, trois, quatre, cinq... Il se rapproche, il est tout près...
Je prends ma figure de femme esseulée, de celle que l'on a envie de choyer, celle auprès de qui on a envie de se sentir fort. Ce visage qui fonctionne sur tous les hommes, de tous les âges, c'était si facile...
Dix, onze, douze, treize...
Je relève les yeux l'espace d'un moment, croise les siens, détourne le regard presqu'aussitôt avec un sourire gêné, et poursuit ma route...
C'est dans la poche.