Ses yeux n'avaient pas besoin de le voir pour qu'elle sache qu'il était là. Que ça soit la perception de son aura ou encore... Tout simplement l'écho assourdi de ses pas sur le sol marbré du temple qui lui était consacré, bien que perpétuellement vide, Eris ne pouvait être tenue dans l'ignorance de l'approche de ce sombre individu, qui, elle le sentait, n'avait absolument rien d'humain. Elle n'en fit pas cas cependant, puisque cette créature saurait peut-être la sortir de son ennui, ennui qu'elle comblait à l'instant en torturant à distance une pauvre créature humanoïde, via un miroir à visions. Ce miroir était du même genre que celui des douze Dieux de l'Olympe... Panthéon dont elle ne faisait, à son grand dam, pas partie... Pourquoi? Parce que ces sots d'humains préféraient honorer son frère plutôt qu'elle, alors que sans son concours, il n'était tout simplement bon à rien... Lui, il lui servait pour sa propre renommée. Elle, elle lui servait de faire valoir... Situation intolérable et Ô combien désagréable... Mais là n'est pas la question.
La vraie question, c'est de savoir pourquoi la déesse de la discorde avait choisi une reproduction en ruine de l'un de ses temples, aux statues étêtées ou encore démembrées, pour faire venir cette créature jusqu'à elle, puisqu'assurément, elle avait perçu l'envie de l'approcher d'Adramelech à son passage du portail des enfers. En l'occurrence, ils n'étaient plus en enfer. Non, plus du tout. Il y avait même fort à parier que Hadès pourrait aisément passer pour un enfant de cœur à côté de sa nièce, dont le domaine n'était que fluctuations chaotiques, monts sableux et dunes engloutissant armées perdues et citées en ruines au gré des caprices de la femme divine. Elle avait cependant ouvert un passage à ce démon, par curiosité, et choisi de le mettre en confiance en lui présentant un décor relativement commun. Elle ne pouvait décemment le choquer, prenant la taille imposante qu'elle affectionnait tant pour dominer toutes ces créatures inférieures, et lui présenter Cetus ainsi que Scorpius alors qu'il avait à peine posé le pied en Tartare... C'eut été très impoli.
Quoiqu'il en soit, elle commença par achever sa petite séance de torture, qui se solda par le suicide de sa pauvre victime, qui sauta d'une falaise, avant de consentir à lever ses yeux vides d'orbites sur le démon qui lui témoignait ses hommages, oh avec une classe certaine, sans aucun doute. La classe était-elle de mise avec une déesse qui n'arborait en tout et pour tout qu'un corset de cuir qui ne laissait que peu de place à l'imagination, qu'une cape, des bottes de cuir et une longue épée? C'est à lui d'en juger. Quoiqu'il en soit, la déesse qui lui fait la faveur de délaisser son corps éthéré pour un tangible et palpable, apprécie sa déférence.
D'un mouvement désinvolte, elle renvoya quelques mèches de ses cheveux diaphanes dans son dos, tout en s'avançant vers le démon, un petit sourire aux lèvres. Elle s'approcha suffisamment pour qu'il puisse voir le bout de ses bottes de cuir à talon, avant de s'accroupir devant lui et de glisser un doigt sous son menton pour l'inciter à relever la tête et à la regarder. Tout ce qu'il pouvait voir était le visage d'une belle femme sans âge, respirant l'assurance et la sensualité, avec un petit quelque chose de dangereux. L'absence d'iris, peut-être.
- Voyons… Avant de réclamer, la moindre des choses est de se présenter, tu ne crois pas?
Invitation piège, car se serait-il présenté, ça n'aurait toujours pas été à la capricieuse déesse qui savait déjà bon nombre de choses de par l'omniscience dont jouissait les Dieux. Mais comme le lui avait très justement fait remarquer Apollon, il était bien plus amusant de feindre l'ignorance, hors mis en cas d'ennui total, ce qui n'était pas encore le cas.
Le doigt de la déesse délaissa le menton démoniaque et elle se releva avec une prestance divine, se mettant à faire les cent pas devant Adramelech, croisant ses bras sur sa poitrine.
- Forcément tu as quelque chose à me demander… Depuis l'éternité que je vis, je n'ai jamais vu personne me demander sans raison… La question est, suis-je disposée à écouter ta supplique, ou vais-je tout simplement décider de te tuer ici et maintenant…?
La question n'appelait aucune réponse de la part d'Adramelech, de toute façon, il ne pourrait ni dire ni faire quoique ce soit qui la ferait changer d'avis, le cas échéant.
- Mais nous n'allons pas en arriver là. Après tout, tu as fait montre d'un certain respect, quoiqu'il manquait quelque peu de crainte à mon humble avis… Ne suis-je pas une effrayante créature?
Ses paroles furent accompagnées d'un changement radical dans l'apparence de la déesse, qui tripla de taille, mais pas seulement. Ses yeux jaunirent, menaçant, et ses bras écart mutèrent en ailes diaphanes de chauve-souris. La représentation commune de la déesse dans les temples qui lui étaient consacrés. Une image qui avait le don de faire rire la créature, habituellement évanescente, qu'est Eris. Elle ne resta cependant pas ainsi longtemps, et reprit sa forme antérieure, arborant toujours un petit sourire de sphinx.
- Alors, que me vaut le plaisir de voir un démon faire un tel détour pour me rencontrer?