Elle suivit simplement la Déesse. Elle aurait été bien arrogante de prendre la tête pour se diriger dans la résidence de la maîtresse de tous ces êtres puissants que son les dieux et les déesses. Elle en profita pour admirer les couleurs du monde qu'elle voyait autour d'elle. Les sculptures classiques, normalement en contraposto, l'architecture greco-romaine avec nombres de colonnes corinthiennes. Elle s'assit donc sur la méridienne, l'odeur de fleurs posant sur son esprit un baume qu'elle avait hâte d'enlever. Non pas qu'elle soit masochiste, mais elle croit avoir mérité de souffrir ainsi.
-Tout d'abord, maîtresse, permettez-moi de vous parler sans gêne, car certains sujets ne devraient jamais être discutées entre servante et Déesse, mais seulement entre femmes... ou des bonnes amies, mais je n'ai pas de ces dernières, alors, j'en ai long à dire que nul ne connait sur moi. Avant de me défendre contre les accusations qui pèsent contre moi, incluant la manipulation et l'insatiabilité, laissez-moi vous raconter mon histoire. Je suis née et j'ai grandi au pied de l'Olympe après qu'Arès m'aie sauvé la vie, lorsque je n'étais qu'un bébé, auprès d'un ancien combattant depuis longtemps à la retraite. À mes quatorze ans, le Dieu est revenu me chercher pour me demander d'entrer à son service. Je ne crois pas avoir besoin de vous dire à quel point cette demande me gonfla de fierté et de joie! Bref, le dieu me ramena en Olympe et mes anciennes Soeurs de Batailles m'enseignèrent les arts de la guerre alors qu'Arès et quelques autres dieux pratiquant la magie, dont vous si je me souviens bien, m'enseignèrent à puiser dans les forces divines pour réaliser ce que je qualifiais à l'époque de "miracles".
Elle s'interrompit pour reprendre son souffle. Après cette introduction, elle se sentait retomber dans le passé et elle n'aimait pas du tout cela, voire elle ne voulait même pas ressentir encore ce sentiment.
-Je suis tombée amoureuse. Pour une prêtresse d'Arès, l'amour est à bannir sous peine de souffrir affreusement, car ma position ne me permettait pas de me marier. Oh, je pouvais porter un enfant, mais je ne pouvais pas lier ma vie à celle d'une autre personne, pour éviter les douleurs qui résulteraient de sa mort, si ladite personne était mortelle, ne m'atteignent. Bref. Je suis tombée amoureuse de la dernière personne que j'aurais dû aimer, je suis tombée amoureuse de mon maître. Un soir, après qu'une violente crise de colère lui étreignit le coeur, moi qui m'affairais à l'éviter pour cacher cet amour que j'avais au creux du regard, il me manda. Je le rejoignis dans son temple et je le soulagea avant que sa rage ne l'emporte dans des actes répréhensibles. Après... tout s'est passé très vite, comme par enchantement. Nous avons fait l'amour, puis je lui ai avoué mes sentiments. Sa réponse, bien que conciliante, m'a dévastée. Après cela, nos relations sont devenues plus... tendues, mais pourtant, ce n'était pas si horrible, à l'époque. Pire encore, j'ai appris que la vie avait fait son nid au creux de mes entrailles.
Elle se mordit l'intérieur des joues alors que les larmes commencaient à hurler pour échapper à ses yeux. Elle avait envie de s'en aller, maintenant, car se souvenir de cet enfant tant aimé et perdu la rendait très émotive, en tant que mère. Elle soupira et chassa un bref moment ses pensées néfastes.
-Je suis tombée amoureuse, et j'ai voulu enfanter. On m'arracha cet enfant avant son heure après que j'eus passé des jours sous les mains d'une affreuse sorcière, qui m'a torturée, physiquement et mentalement, et violée nombres de fois avec des techniques que je ne citerai pas.
Pour illustrer ses propos, elle défit le haut de sa robe et la légère cuirasse de cuir et se dénuda le tronc, montrant sans honte son corps lacéré de toutes parts. Il est encore étonnant qu'Arès put avoir été attiré par une telle horreur. Si son beau visage restait intact, le nombre de cicatrices rosées parsemant la peau immaculée de la prêtresse avait de quoi faire rougir de honte un héros Orc vantard de ses exploits de combat et de robustesse. Si elle n'avait rien de difforme, ces cicatrices pouvaient presque laisser croire qu'elle n'était qu'un cadavre rapiécé. La prêtresse laissa la Reine examiner son corps avant de se cacher à nouveau derrière ses habits.
-Tout le long de mon supplice, j'ai appelé l'homme que j'aimais. J'ai supplié Arès de venir me chercher, ou mieux encore, de me tuer, car après avoir perdu mon enfant, je n'avais plus l'impression d'avoir quoi que ce soit en ce monde qui me permette de m'y rattacher. Il n'est jamais venu. Je ne lui en tiens pas rigueur, je connais son devoir et ses obligations divines, je ne crois même pas qu'il a pu avoir le temps de se rendre compte de ma disparition. Notre lien étant brouillé, il devait probablement me croire encore au temple où j'avais été affectée. Je me suis échappée, ou elle m'a laissé le faire, avec le cadavre de mon fils, encore ensanglanté, dans mes bras, et je me suis perdue sur les terres sauvages, en pleine crise de délire, avant qu'Élosia, la seule femme que je puis encore considérer comme ma meilleure amie, ne vienne me chercher et me ramener à la raison. J'ai laissé partir le fœtus, le transformant en une pluie dorée pour lui donner une dernière marque d'amour. Je voulais l'appeler Hadrian. Je trouvais que cela lui allait bien.
Elle regarda le magnifique jardin et elle soupira doucement avant de resserrer les doigts sur sa robe, l'air malheureuse.
-Et c'est à partir de là que tout a dégringolé. J'ai développé une grande insécurité et j'ai commencé à fuir le regard de mon maître, négligeant parfois mes devoirs. Puis je fus qualifiée de catin et on me prêta nombre de relations charnelles avec hommes et femmes, alors que je n'ai désiré jamais que deux êtres, dont l'un est une divinité et l'autre, une jeune terranide que j'ai rencontrée pendant mon service à Terra. J'ai continué d'aimer Arès et de vouloir le servir, mais ma disgrâce pour avoir échoué dans mon rôle de mère et pour avoir partagé le lit de mon maître m'a grandement éloignée de lui. On inventa bien des histoires sur celle de mon amour, selon lesquelles j'essayais de m'élever dans la hiérarchie en concevant un enfant, que ma timidité maladive était en fait un comportement hautain car j'étais plus régulièrement enfermée dans ma chambre qu'auprès des autres femmes de mon âge. Bref, j'étais une recluse. Puis, j'ai enfanté à nouveau, alors qu'Arès essayait de rétablir sa relation avec la dame de Daelys, ce qui m'a valu le titre de briseuse de ménage. Il est venu vers moi et nous avons fait l'amour pour la dernière fois... J'ai réessayé une seconde fois, mais je me suis enfuie... bref, vous connaissez la suite de mon histoire. Je n'ai tenu ma fille qu'une minute dans mes bras avant qu'on ne me l'arrache. Je n'ai pas pu lui donner le sein, je n'ai pas pu lui apprendre à parler, à marcher, à chanter et à danser, je n'ai pas pu lui donner ce que j'avais de bon en moi, ne lui laissant que les rumeurs à mon sujet comme héritage.
Elle regarda la reine des dieux et elle s'allongea sur la méridienne. Se remémorer ces choses était très désagréable pour une femme qui essaie justement de passer au travers. Elle se prit un moment la tête entre les mains. Elle avait peut-être causé sa disgrâce, mais tout le reste n'était qu'un malheureux ramassis de ragôts qui ont achevé de ravager son portrait déjà souillé. Elle releva la tête pour regarder la mère divine. Elle ne pleurait plus
-Voilà qui est Raven Miller. Une simple femme amoureuse qui a tout perdu en croyant pouvoir accéder à son rêve du prince en armure scintillante sur son destrier fougueux. Je ne suis pas une bonne personne, j'en ai conscience, mais je ne suis pas aussi horrible que l'on dépeint mon personnage. J'ai aimé, et j'ai gaffé. Maintenant, depuis plus de dix-sept ans, je m'affaire à simplement jouer mon rôle en espérant qu'on me laisse tranquille.