L'immense superyacht de Vance Dax était assez réputé parmi les amateurs de bateaux, de luxe et de justice sociale. Il avait fallu démonter un pont pour le faire sortir du chantier, mais ça avait fait peu de bruit, contrairement à la fois où Bezos l’avait fait et, ça, ça l’avait fait chier. Ce qui l’avait vraiment fait chier, c’est que, si celui de Jeff avait nécessité le démontage parce qu’il refusait d’abaisser temporairement les mâts de son con de voilier géant, le sien était vachement plus gros.
D’accord, Jeff avait peut-être plus abusé que lui…
A plus de 150m de long et près de 15.000t de luxe, de technologie, de gadgets et de mobilier, c’était un monstre de 8 ponts destiné à la vie, à la fête et aux manigances de son propriétaire. C’était un gouffre financier que ses finances supportaient pourtant très bien, malgré les projections de beaucoup d’analystes. Si vous pensez que ça soulèverait des sourcils étonnés du côté du fisc, vous vous trompez, mais Vance avait tout de même pris soin de le garder en haute mer depuis sa mise à l’eau.
Ce soir, la fête était le maître-mot. Les trois ponts supérieurs et le pont de plaisance vibraient de musique et éclataient de flashs de lumière. Trois piscines avaient été ouvertes, celle de la proue restant bien fermée sous la piste d’héliport et concentrant les invités à l’arrière. A chaque niveau, les salons étaient animés de corps agités, les consoles de jeux prises d’assaut, et les cuisines, fermées pour l’occasion, débitaient des cocktails et bouteilles à n’en plus finir, le personnel de service étant ravitaillé presque en continu par des porteurs inépuisables.
Il faut dire qu’ils piochaient eux aussi dans l’assortiment de pilules, capsules de blanche et autres gommes à mâcher qui circulaient un peu partout. Et le mélange de folie et d’excès, dans des eaux internationales échappant à toute loi ou presque, engageait des comportements extrêmes et des scènes qui auraient indigné le commun des mortels, habitués à être abreuvés de morale et de dignité. Ici, un supermodel connu pour son engagement contre la drogue sniffait un rail sur la cuisse d’un combattant de MMA célèbre avant de revenir pomper son chibre avec gourmandise. Là, un noble prince européen bien chrétien-conservateur gâtait une minette bien trop jeune pour lui et un apollon bien gaulé en leur palpant les fesses, la trique bien visible et les intentions très claires.
Shin et Nathalie avaient commencé avant même d’arriver, comme pas mal d’autres, et elles entamaient leur venue assez bien. Les regards s’étaient peu à peu dirigés vers elles, l’excentrique diva du Mal se mettant en scène avec souplesse pendant que sa pauvre assistante, dans sa petite robe noire à paillettes, son collant voilant et ses escarpins Louboutin, ne savait pas trop où se mettre, toute intimidée, choquée, attirée et excitée qu’elle pouvait être à la fois. Sa maîtresse avait fini par ne plus vraiment s’intéresser à elle, perdue dans sa danse, et elle se retrouvait comme un agneau au milieu des bois. Et un loup l’avait repérée.
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Le dernier pont, où se trouvait le poste de pilotage, était fermé au public et bien gardé. Les trois ponts inférieurs étaient également fermés, qu’il s’agisse des réserves et des quartiers de service, mais aussi des cabines ou du grand duplex extravagant du propriétaire, qui suivait l’action sur les caméras distraitement en finissant d’être apprêté, le coiffeur venant en dernier pour éliminer toute imperfection pour son apparition. Il souriait, et pas seulement parce que le spectacle lui plaisait. L’information lui donnait du pouvoir. Les images prises ici lui permettaient d’exercer un jour des chantages ou d’acheter sa relaxe. Il n’avait pas échappé à la Justice et aux assassins en faisant la fête et en se tournant les pouces.
« Vous avez vu ? Votre prince s’amuse bien. »Le coiffeur leva rapidement les yeux et sourit avec mépris en confirmant. Dans son pays, cet homme était allé au-delà de l’opposition au mariage pour tous et il voulait pénaliser l’homosexualité des hommes. C’était à croire que cet hypocrite se sentait obligé de montrer qu’il défendait la virilité des mâles pour expier ses propres amours. Il pouvait brûler en Enfer, en ce qui le concernait.
« Et – c’est – terminé ! »Vance se détourna de l’écran pour s’admirer dans le miroir qui lui était tendu, et il hocha la tête avec plaisir avant qu’un garde s’approche et chuchote à son oreille.
« Elle est là ? Et déjà entamée ? C’est ça, le changement de tempo… Bien, » murmura-t-il avec malice.
« Laissons-la mariner un peu. Rien ne presse. Ma cape ! »~ ~ ~ ~
Colm Swire était connu. Mondialement connu. Il avait une sale gueule, le genre de gueule qu’on voyait dans les pubs du Lancashire après dix heures, entre les fléchettes et la table aux bras de fer, celle qui tangue à force de se faire maltraiter. Il était tatoué comme un vrai dégénéré et jurait comme un charretier, et son accent du cru était légendaire. Mais c’était aussi un boxeur professionnel, un international populaire, rapide et brutal, injurieux et provocateur, vulgaire et possessif. Bref, c’était le genre de connard que ta banquière coincée rêve de voir défoncer sa porte pour la prendre sauvagement au pieu. Le genre de salaud que Nathalie n’osait pas désirer.
C’était pourtant lui qui approchait dans son dos, en lui reluquant la croupe sans aucune discrétion. En short de compétition, autrement nu, ruisselant après sa baignade brève mais animée dans une des piscines, il l’évaluait avec des intentions très claires et il se colla presque dans son dos, se pencha sur son oreille et s’adressa à elle sans détour.
« Fokk mi, baby! Tu t’balades un sacré carrosse ! »L’assistante scandalisée avait sursauté et s’était retournée en lançant sa main sans réfléchir. Elle claqua l’angle de la mâchoire de l’Anglais piteusement et c’est elle qui secoua sa main et s’exclama de douleur, glissantses phalanges entre ses lèvres, sourcils froncés, traits plissés, avant de remarquer qui lui avait parlé. Elle se figea, ses yeux s’écarquillèrent et, si ça avait été possible, elle aurait probablement perdu un demi-litre de cyprine en un clignement d’œil. Elle se sentit chauffer subitement, comme saisie d’une fièvre fulgurante, et crut avoir perdu la tête, la cocaïne lui faisant perdre pied avec la réalité et la projetant dans un de ses honteux rêves érotiques… ou plutôt pornographiques, en l’occurrence.
« J-j-je-je-je-jeee---omondieu… »« Oï! Arrête gal, j’voulais voir encore comment tu bouffes ! Hey! Shiny-baby! J’peux t’l’enl’ver une heure ?! »Le boxeur essaya d’attirer l’attention de la danseuse en transe, sans succès pour le moment, aussi partit-il du principe qu’il avait le champ libre et retomba-t-il sur Nathalie.
« Et c’quoi ton nom d’ailleurs ? Attends, dis rien ! J’peux t’app’ler Dolly si tu veux, et j’te rappel’rai pas comme ça. Deal? »Sa bouche fendue se tordit dans un rictus concupiscent tandis qu’il s’avançait à nouveau et l’attrapait par la taille, l’attirant à lui pour se saisir de ce petit cul bombé qu’il avait apprécié de loin. Sa langue glissa obscènement entre ses lèvres et il poussa un soupir approbateur.
« J’t’embarque et t’as pas l’droit de dire non, Dolly. Aight? »