Cette femme, cette Ange, avait massacré à l’arme blanche des créatures d’une dangerosité majeure. Elle possédait une longue expérience du combat et n’avait pas perdu de son tranchant. Elle parlait de batailles épiques dignes de mythes et de fictions fantastiques, de divinités et de conflit. Et Jack acceptait son invitation à la suivre, chez elle, sur un monde isolé sur lequel il était venu, encore une fois, seul. Il aurait probablement dû avoir peur ou, au moins, au bas mot, s’inquiéter pour son intégrité physique. Etait-ce le fait qu’il croie en sa nature angélique, ou peut-être un ressenti vis-à-vis d’elle, la perception inconsciente et inexplicable d’un fond de pure bonté en elle, sous cette couche de violence et de solitude née des épreuves et des trahisons ? C’était impossible à déterminer. Il planait trop. Sa raison restait intacte en surface seulement. Ses sens étaient affectés. Il n’était pas en pleine possession de ses moyens, et il aurait dû être inquiet.
Au lieu de ça, il était curieux. Il était même assez impatient d’arriver à destination quand elle lui évoqua un appartement. Un appartement, ici, pour les voyageurs de passage ?! Ça pouvait se tenir, en vérité : l’activité minière était dangereuse et les effectifs fluctuaient, les logements pouvaient être pleins à craquer ou partiellement vacants. Il ne servait à rien, pour les propriétaires, de laisser un appartement vide quand il pouvait le louer pour quelques jours au moins. Il était prêt à y aller mais, moins assuré sur ses pieds qu’il le pensait, il fut l’objet d’une remarque d’Anéa qui lui fit bomber le torse fièrement.
« Madame, » dit-il de façon exagérément sérieuse, « ne pensez-vous pas sous-estimer l’équilibre d’un OOF! »
Elle avait attrapé sa main pour l’entraîner à sa suite, et il suivit sous sa poigne d’acier. Il reprenait conscience de sa puissance martiale et pouvait bien en sentir les effets. Elle était rapide, et forte par rapport à une Humaine de son gabarit. Un peu pris de court, il dut bien se laisser conduire. Elle ne cherchait pas à le faire tomber, mais elle l’entraînait avec elle, trouvait-il, d’un pas prudent mais assuré. Non, elle ne doutait pas de sa capacité à suivre. Elle semblait tenir à ce qu’il suive, et sans trop attendre, ce qui lui tira un sourire malicieux et un véritable plaisir. Il se sentait désiré.
Ils se retrouvèrent dans la capsule locale, destinée aux habitants bien installés de la colonie, et Jack ne prit pas vraiment de repères. Il suivait. Une porte, huit, seize, vingt… quelque chose… marches… et ils s’engouffrèrent dans un grand séjour, où Anéa le libéra finalement, et lui proposa de s’installer avant de d’aller disparaître dans la salle de bains.
C’était fou comme les logements étaient consistants d’un monde humain à l’autre. Même sur Terre, les plans étaient souvent consistants avec ceux-là. Seule la technologie changeait plus ou moins, parfois. A quel niveau étaient-ils, ceux-là ? Les colonies nouvelles étaient souvent rustiques, par soucis d’argent et de temps. Elles récupéraient souvent des matériaux et appareils de génération antérieure dont se débarrassaient des colonies en développement, avant de devenir la colonie vendant le maximum de ce dont elle se débarrassait à une petite nouvelle.
En observant l’endroit, il capta le bruit entêtant de l’eau clapotant et claquant sur le carrelage après avoir frappé le corps de l’Ange. Tournant son regard dans cette direction, il put voir la porte négligemment entrouverte, et, d’abord par jeux d’ombres puis, ses yeux se focalisant, partiellement par la fente illuminée, les mouvements d’un corps se mouvant sous une pluie fine et chaude. Il comprit vite de quoi il s’agissait et ses sens, curieusement, retrouvèrent un peu de tempérance… pour se focaliser sur cet acte de voyeurisme involontaire, mais qu’il poursuivait maintenant en pleine conscience.
Curieux, l’Humain se redressa du canapé dans lequel il avait trouvé un point de chute, et il s’approcha lentement, silencieusement de la porte coulissante. Plus il s’approchait, plus il était poussé à s’approcher, et son visage devançait ses pas de plus en plus, penché en avant qu’il était pour en voir plus de cette scène d’une sensualité primaire. Il découvrait la silhouette vierge d’une jeune femme à la peau d’un rose plein de vitalité, le galbe ferme de ses fesses rondes et toniques, dignes d’une guerrière de corps-à-corps dont elle portait, aussi, les obligatoires cicatrices plus ou moins anciennes et plus ou moins voyantes. Il l’avait vue sale, la peau terne, et avait manqué, malgré le charme évident de sa personne, la véritable pétulance érotique de sa plastique. En se tournant légèrement, elle dévoila aussi une poitrine surnaturelle, d’un beau volume, lourde de toute évidence, mais parfaitement tenue sans sembler ressentir la gravité. Il se demanda si elle était aussi lourde qu’il le pensait tout en se penchant, encore un peu, et…
La glissade le prit par inadvertance et l’envoya tête la première sur la porte. Par réflexe, il y opposa ses mains, qui se calèrent sur le cadre lourd et, emporté par son élan, il ripa, et la porte coulissa, s’ouvrant en grand tandis qu’il tombait piteusement au milieu des haillons sales et dispersés négligemment au sol de l’aventurière.
« Bordel de… »
D’un geste, tendu, il se redressa vivement, droit comme un piquet, face à une Anéa nue occupée à poursuivre sa douche. Jack rougit, ses doigts s’agitèrent nerveusement, et il pinça les lèvres avant de se forcer à une attitude plus sûre et de partir d’un rire trop confiant pour être honnête.
« Aaaah, désolé ! Cette colonie est si poussiéreuse ! Je cherchais un endroit où me nettoyer un peu, déjà, et j’ai glissé et… »
Il avait détourné le regard au plafond en commençant à parler mais, face au silence de l’Ange, il s’interrompit, se sentant percé à jour, et il rabaissa sa tête, et plongea ses yeux dans les diamants brillants de la brune, enfin silencieux, lui aussi.