On expliquait généralement aux jeunes apprentis des écoles de sorceleurs que la Voie était une suite de missions réalisées contre ses moyens de subsistance. Mais la Voie était plus que ça. La Voie était aussi chaque rencontre et chaque situation en chemin. Mille événements pouvaient conduire un sorceleur à s’écarter du Code et la plupart en avaient dévié depuis longtemps. Sans écoles, les pendentifs à leurs cous n’avaient plus guère de valeur d’appartenance. Tout au plus était un signe aidant à reconnaître ceux qu’il valait mieux éviter pour son propre bien.
Gerd n’échappait pas à la règle et, si la chasse au monstre restait sa principale activité, il tenait plus du mercenaire spécialisé que du sorceleur à ce stade. Il avait fait recette au cours de sa vie –longue au regard de l’espérance de vie moyenne des siens, courte au regard de l’âge de ceux qui avaient survécu jusque là–, et s’il cueillait encore la plupart de ses ingrédients alchimiques au gré des déplacements, des chasses et des saisons, il aurait très bien pu les acheter à bon prix et ne pas se donner cette peine.
Mais voilà : Gerd voyait son labeur, à juste titre, comme un labeur dangereux –un danger exigeant de vivre le présent pleinement–. Lorsqu’il s’arrêtait quelque part, il n’aimait pas, comme d’autres, crécher entre deux tonneaux ou sur une vieille paillasse, à l’arrière d’une écurie ou sous un pont aux eaux traîtres. Il aimait avoir un lit et être propre. C’était un ours un brin coquet, oui, qui appréciait de trouver une tanière où qu’il aille.
Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il pousse les portes des auberges et des bordels sur sa Voie –car il aimait aussi avoir de la compagnie pour chauffer ses draps–. Quand il passait, il ne se mêlait guère aux autres clients, mais son air taciturne ne devait pas laisser croire qu’il puisse se montrer désobligeant. On le connaissait comme un client fiable et un bon payeur là où il passait plusieurs fois, et il n’était pas si difficile à dérider –à condition d’avoir les bons arguments pour l’intéresser–.
Ce soir-là, le temps se gâtant et le jour touchant de toute façon à sa fin, il s’était arrêté à une auberge au bord de la route. C’était un coin adorable et bien tenu qui annonçait un soin porté sur l’hygiène et le service, et son écriteau élégant annonçait un accueil pouvant être pris de plusieurs façons.
Le Plaisir Coupable
Gerd avisa les lettres stylisées en se demandant à quoi il allait devoir s’attendre. Parlait-on là de nourriture goûtue ? D’une spécialité en vins et fromages, ou juste en alcools ? D’un lupanar non-déclaré –il n’arborait pas de lanterne rouge– connu dans les environs ? Il allait devoir entrer pour le savoir, mais rien ne lui faisait peur, en vérité.
Il démonta avant de passer le petit portail et amena sa monture à une petite écurie, dont sortit un garçon qui lui offrit de s’en charger. Le mutant tira quelques pièces d’argent de sa ceinture et les lui planta dans la paume, lui demandant tacitement de bien s’en occuper, avant de changer de route pour aller vers la jolie bâtisse.
Comme il approchait de l’entrée, l’ambiance commençait à lui parvenir. Il avait des sens aiguisés, après tout, et il remarqua le calme des lieux –ou les murs étaient-ils si épais que cela ?–. Qu’allait-il découvrir en poussant la porte ? Il avait hâte de le découvrir.