S'il y avait bien un endroit dans tout Terra où on ne s'attendrait pas à trouver Kyô, c'était bien en territoire terranide. Son ancienne fonction était déjà derrière lui, et il avait clairement exprimé ne plus vouloir être associé à Artémis et les forêts sous sa garde. Pourtant, son séjour en Olympe avait encore été écourté. Kyô s'était -comme d'habitude- retrouvé au cœur d'un scandale, et on lui avait fait comprendre qu'il devait faire profil bas pour quelques temps. Une façon courtoise de le chasser purement et simplement de chez lui.
L'ironie, c'est que cette fois, il n'avait rien provoqué. D'ailleurs, il avait même essayé d'atténuer les braises. C'était son ancien frère, Volpe, qui avait fait tout un esclandre. Fut-il jaloux ou amer, le Dieu renard s'était laissé emporter, une grande première. Les temps changent, mais pas les gens, avait-il dit, targuant Kyô d'hypocrisie et crachant un venin qu'il avait contenu depuis des années. L'ascension de Kyô à un stade supérieur l'avait mis hors de lui. Il avait cogné le premier.
Durant l'échauffourée, quelque chose d'inédit s'était produit: le leader des Artémides avait salement abîmé les côtes de Kyô. C'était la première fois en plus de vingt-cinq siècles qu'il lui avait porté un coup aussi grave, dans un combat loyal du moins.
Kyô était donc venu se réfugier dans une lagune isolée dans un bosquet, loin de tout. L'eau tiède lui arrivait jusqu'au nombril et il massait son flanc encore légèrement bleuté. Il avait encore du mal à croire ce qui s'était passé la veille. N'avait-il pas toujours été plus fort que Volpe ? N'était-il pas devenu encore supérieur après sa transformation ? L'écart entre eux, au lieu de s'être creusé, semblait avoir rétréci. Que disait Hécate, déjà ? Plus la lumière est grande, plus l'ombre s'étend.
Il s'aspergea le visage. Non. Non, non non. Cette image faisait de lui la lumière et ce n'était ni sa place ni son rôle. Et puis, c'était accepter que leurs destins, à tous les deux -et même ceux de toute la fratrie- étaient encore liés. Ridicule. Kyô était la Dualité. Il ne souffrait plus aucun adversaire véritable. C'était lui, l'adversaire du monde. C'était comme ça. Pas vrai ?
Au-dessus de la mer, par-delà le bras de terre qui séparait la lagune, le soleil tardait à se coucher. Hélios semblait l'observer de loin, et se gausser. Rien de certain, mais c'était l'impression qu'il en avait. On avait jamais un moment tranquille, merde. Il fallait toujours que la famille lui file le train. Dans le doute, il leva son majeur vers l'astre rougeoyant en marmonnant des injures. Quelques points lumineux venaient moucheter le ciel violacé. Le Dieu espérait au moins que Dame Lune ait au moins la décence de ne pas se montrer. Sa mère s'était montré plus qu'évasive lors de son retour en Olympe.
C'est là qu'il aperçut quelque chose qui flottait près de lui. Son paquet de clopes. Les seules qu'il avait emmené. Son regard remonta vers l'endroit où il était censé être, et tomba sur son pantalon. Ses fringues étaient éparpillées au bord de l'eau, la chemise était en boule. Une chemise 100% coton, Calvin Klein, complètement bousillée et qui trainait dans l'herbe. Une paire de chaussures de luxe à trois mètres l'une de l'autre. Son boxer avait disparu on ne sait où. Mais son futal, lui, était beaucoup trop près du bord. Une jambe s'était à demi-immergée, et les clopes avaient dû glisser de sa poche. Il se retrouvait à poil, sans cigarettes, en pleine nature sans endroit où s'abriter. Et la nuit tomberait bientôt.
Dieu majeur, mon cul ouais. A peine sorti de la maison, je suis toujours le même boulet !