Le Demi-Dieu exulta et l’antre buccale de la Gorgone fut remplie, repue de l’ambroisie océanienne. Le divin obélisque avait charrié sa semence et Tharakzi, par trois fois honorée par Vittorio, se nourrissait de cette matière précieuse, laquelle actait son apothéose ultime à venir. Lorsqu’il se retira enfin de sa bouche, le bellâtre lui jeta l’un de ces regards où perçait sa fierté de jeune mâle, un peu trop satisfait de lui-même peut-être, mais où nous sentions poindre une inexprimable fierté virile de sensuelle tendresse. C’était une évidence, la Gorgone, qui jouait avec brio de ses charmes, avait excité le sang de ce jeune requin aux dents longues et il était hors de question que cette relation sexuelle soit classée sans suite, comme le prouvait son intention de coucher cette nuit avec elle.
Avec lui, elle s’enfonça dans ce dédale de marbres où prospérait, premier fruit de leurs ébats contre-nature, une végétation intrusive, dominante et dépourvue de la moindre politesse envers les anciens propriétaires des lieux et la divinité à laquelle échoyait cette ferveur passée. La poitrine bombée, les jambes un peu entr’ouvertes comme s’il venait de descendre de son cheval, il marcha aux côtés de la donzelle fraîchement ennoblie, heurtant les piliers décrépis, branlants, parfois ensevelis, qui leur barrait la voie, pulvérisant à certains moments l’architecture dépassée, vétuste, pour ne point faire obstacle à leur route. Une salle s’offrit à leurs yeux d’or et d’émeraude, consacrée à une divinité poussiéreuse. « En effet, c’est ennuyeux, fâcheux même. Il faut dégager cette vieillerie, qu’elle soit remplacée par une divinité plus jeune, plus saine, plus puissante. » Il s’écarta ensuite de Tharakzi, battit le pavé de son talon, puis approcha cette grande statue, la dédaignant de ses prunelles dorées et altières. Il sourit d’un air mauvais de ses grosses lèvres pulpeuses… et à Vittorio et sa tendre désinvolture arrogante de faire mine d’incliner le chef devant cette dernière. C’était là faire preuve d’une ironie cruelle, mesquine, typique des divinités olympiennes dont il recopiait instinctivement l’ethos impérialiste, tandis qu’il investissait le territoire conquis par cette maudite beauté de jade en invoquant la colère des éléments ; une fine et délicate aura verdâtre aux vagues teintes turquoises entoura les beaux doigts blancs, nacrés, graciles et impeccablement taillés du Néréide, sa magie était plus puissante depuis ses ébats avec la Gorgone, comme si les Dieux approuvaient, sans mot dire, les actes qu’il avait commis avec elle et le récompensaient à juste titre. « Et une couche royale pour la Reine des Gorgones ! Que son règne soit juste, diligent et vertueux… » s’eut-il exclamé dans une parodie d’avènement, ironie dont Tharakzi goûterait ou pas, quoique son amant n’était peut-être pas tout-à-fait dépourvu du second degré, de l’humour macabre dont les divinités elles-mêmes étaient souvent capables envers les mortels, par ailleurs.
Pour ainsi dire, ce fut une humiliation, une souillure sans nom qui fut infligée à la statue décrite ci-dessus, avilie, balafrée, houspillée par une ribambelle de racines sorties du sol, laissant en lieu et place un grand, un gros lit à baldaquin, dont l’ossature avait été taillée dans un produit spécifique issu d’un bois vigoureux, le liège, du plus beau marron cacaoté. « Cela ne nous suffira pas, toutefois. » Obnubilé par son ouvrage, une flamme maudite flambait dans les orbites du damoiseau, son ton était péremptoire.
Une porte de bois sombre magnifiquement ouvragée, dépeignant une scène mythologique d'enlèvement de jeunes femmes par un dieu céleste, s’assurait de verrouiller l’accès à l’antichambre réginale. La plupart des détails scabreux étaient recouverts de feuille d'or ou de gravures en argent. Le bellâtre sortit ensuite une clé luisante de reflets argentés et la jeta vers la serrure, pour la fermer, acte symbolique par lequel il voulait se prémunir de toute intrusion potentielle, mortelle ou divine même. À l'intérieur de ses nouveaux quartiers, Tharakzi put voir défiler devant ses mires funestes une pièce désormais magnifiquement décorée, aux murs tapissés d’écarlate et ornés de tableaux en tout genre et de toute provenance. La plupart décrivaient des paysages ou des portraits de grandes figures divines féminines, mises en scène dans des positions qui auraient grandement nuit à leur honneur. Visiblement, messire Vittorio Vulcano appréciait l'obscénité et cultivait le scandale.
D’ailleurs, il prit vite ses aises, celui-là. Il s'en alla vers le lit confectionné, pour enflammer d'un claquement de doigt un bâton d'encens parfumé aux senteurs de plantes. « J’espère que ça te plaît, car j’aime beaucoup. » Elle put sentir darder sur elle l’œil passionné, mais effroyablement menaçant du bellâtre. « Approche, viens donc me rejoindre dans notre lit, Tharakzi. Tu m’as promis du plaisir. » Il positionna ensuite son postérieur de mâle musclé sur leur lit, traversé par une rivière de coussins moelleux et de traversins ornés, pour glisser sa silhouette jupitérienne à l'horizontale et attraper avec la précision d’une mante religieuse une des deux pipes en bambou positionnées sur la couverture et un sachet de tabac, qu'il versa par pincées en faisant bien attention de ne pas en mettre partout. Il claqua à nouveau du doigt et une flammèche en sortit derechef, pour allumer l'herbe exotique. Un sourire se dessina sur sa grosse bouche licencieuse alors qu'il soufflait délicatement la fumée devant les yeux de sa protégée, pour qu'elle hume son enivrant parfum, les fragrances exhalées par ses poumons vigoureux. « Viens, te dis-je, écarte tes cuisses et viens t’unir avec moi, ô Reine des Gorgones », ajouta-t-il, ponctuant sa demande d'un clin d'oeil joueur et d’un sourire malicieux, telle une incitation à poursuivre plus énergiquement cette débauche de stupre.
Aux pieds dudit lit, sous le petit pont, flottait dans l'eau douveuse la pauvre tête défigurée du Dieu défait, promenée par les flots qui l'emmèneraient vers les égouts du sanctuaire.