Les hautes murailles de la forteresse se dressaient devant eux.
Ils venaient de déboucher à la lisière des bois et un spectacle de désolation absolue s'offrait à leurs yeux. Sur plusieurs lieues, nul arbre, pas la moindre végétation, une plaine de roches arides et brûlées s'étendait devant eux. Au bout de ces terres mortes, le tumulte d'un torrent, aussi large qu’infranchissable mais qu'enjambait un impressionnant pont de pierres, plus loin encore les murailles de la forteresse et les lourdes portes d'acier qui en interdisaient l'accès.
La forteresse s'élevait, taillée dans la montagne, sertie de tours, de remparts, de chausses trappes. Les plus anciens parmi les guerriers la connaissaient bien. Ils s'y étaient cassés les dents durant de longs mois, sans jamais pouvoir en venir à bout. Nulle machinerie, nulle attaque n'avait pu faire céder ces épais remparts. Nombre de guerriers avaient laissé leurs vies sous les flèches des défenseurs ou broyés par de lourds rochers, lancés du haut des tours.
Ils fixaient cette masse sombre avec appréhension, tandis qu'ils s'alignaient en formation d'attaque dans la plaine. Les plus aguerries quêtaient sur le visage du seigneur Miller un signe qui leur eut permis de comprendre ce qu'il attendait d'eux. Mais rien ne transparaissait. Posté au milieu des portes étendards, entouré par les soieries flamboyantes qui flottaient au vent, il se tenait, silencieux, les yeux rivés à la forteresse. C'était folie de s'avancer ainsi sur la plaine, tous étaient unanimes sur ce point au moins ; ils étaient à découverts, sans machine de guerre, pas la moindre tour d'assaut, pas de baliste, pas même un bélier pour attaquer la porte. Ils s'étaient mis en formation, rangés en bataillon, armes au poing et avançaient sur le sol calciné, le couvert des arbres s'éloignant de plus en plus : ils seraient bientôt à la merci des assauts des Alfeniens. L'évocation de ces monstres faisait passer des frissons dans le dos des soldats.
Des rumeurs faisaient état de soldats monstrueux, les plus gros que l'on avait jamais vus. Recouverts d'une armure quasiment indestructible, ils étaient capables de magies et pouvaient déchaîner un océan de flammes sur leur passage, les flèches n'entamaient même pas leurs lourdes protections. Les guerriers d’Ashnard avançaient néanmoins vers la forteresse, suivant Miller, le guide et le plus sage des Général que la Cité Noire n'eut jamais connu. Ils le suivraient, même s'il devait les emmener à la mort. À ses côtés, ce serait une mort honorable. Nul ne connaissait son plan. Au dernier moment, il envoyait des messages auprès des chefs de troupes, pour donner ses ordres. On disait que même son fils, avec qui il semblait avoir une discussion animée, ne savait rien de ses projets.
Griselda se tenait sur le premier rempart et observait la ligne que formait l'armée dans la plaine. Qu'espérait donc cet imbécile de Miller ? L'impressionner avec l'étalage de son armée ? Lui faire peur ? La pousser à se rendre pour éviter la confrontation ? Ses yeux se portèrent sur la grande cour intérieure du château où ses guerriers trépignaient d'impatience. Près de dix milles fanatiques assoiffés de sang se préparaient à jaillir des sous-sols pour se lancer sur les pathétiques guerriers d'Ashnard. Elle sourit doucement. Peut-être n'auraient-ils pas même besoin de se battre. Elle fit un signe de la tête à son aide de camp qui agita un étendard rouge. Un grondement sourd se fit entendre alors que les dragonniers prenaient leur envol depuis les hautes tours de la forteresse. Ils étaient impressionnants, noirs comme l'enfer, cuirassés et grondants. Leur vol était lent et majestueux tandis qu'ils avançaient vers l'armée ennemie. Griselda sourit. Ils n'auraient pas le temps de rejoindre le couvert des arbres avant que les dragonniers ne soient sur eux. Ce soir, la plaine sentirait la chair rôtie.
Et tout s’embrasa.
Dans un cri, Griselda se réveilla tremblante et en sueur.
Un cauchemar, un de plus. Ce n’était pas comme ça qu’elle était et pourtant les gens la voyaient ainsi. Un monstre sans cœur. Peut-être l'était elle devenue.
Une jeune femme, sa dame de compagnie qui dormait dans la chambre voisine, vint alors précipitamment. Griselda l'avait trouvé au fond d'un cachot. Elle était l'un des jouets de l'ancien Seigneur. La jeune femme était l'une des rares personne à ne pas avoir été manipulée mentalement. Trop heureuse de sortir de son trou, elle était restée au service de Griselda en tant que secrétaire personnelle et cette dernière le lui rendait bien. La jeune femme, du nom de Calsiria, était une ancienne Noble et avait aussi apprit à lire et à écrire à sa nouvelle Maîtresse.
- Vous faites de plus en plus de cauchemars depuis votre retour. Je m’inquiète. - Tout va bien, ce ne sont que des cauchemars, ils vont s’estomper avec le temps.Du moins, elle l’espérait.
Le lendemain, elle reprit le court de sa vie et se retrouva, comme souvent, derrière un grand bureau où Calsiria posait divers missives qui réclamaient son attention. Une missive en particulier l’attira. Un homme souhaitait ardemment la rencontrer afin de faire construire une académie dans sa ville. C’était là une drôle d’idée. Pourquoi venir dans ce qui était, comparativement à Ashnard, un trou perdu ?
Elle consenti finalement à le recevoir. Elle devait avouer qu’il présentait bien. L’homme qui se dévoila avait un physique agréable à l’œil. L’homme était entièrement vêtu d'une tenue sombre à la coupe impeccable. Il s'avançait, souriant, grand, le visage anguleux, un front volontaire et un nez aquilin au-dessus duquel brillaient deux yeux clairs traversés d'éclairs. Il avait cette aura particulière que les êtres de la nuit ont, tout en ayant la grâce des elfes. Un métisse à n’en point douter. Outre son aura physique, Griselda décela la magie qui coulait dans ses veines. Sa tête bien faite était aussi bien remplie. Il sut rapidement convaincre la jeune Reine du bienfondé de son entreprise.
Soit. Elle accepta.
Rapidement, trop diront certains, l’homme qui se nommait Izar se rapprocha de la Reine jusqu’à rejoindre sa couche plusieurs fois par semaine. Les cris et gémissements qui parvenaient aux oreilles de ceux qui avaient l’impudence d’espionner les faits et gestes de leur Reine n’étaient que des preuves de sa compétence dans les arts érotiques.
Au moins depuis qu’il partageait ses nuits, elle n’avait plus de cauchemars.
Et c’est après un énième ébat endiablé qu’Izar se montra plus loquace qu'à l'accoutumée. Il tenta de flatter son égo en la complimentant sur sa manière de faire l'amour et puis il sembla s’intéresser à son emploi du temps.
Elle se leva en le suivant. D’un pas gracieux, elle se cola à lui, dans son dos, glissant sa dextre sur son épaule alors que sa consœur flattait sa taille. Sa main glissa le long de son bras et vint se saisir du verre rempli de vin tout en le gratifiant d’un baisé à la naissance de son cou. Et elle s’échappa, virevoltant presque, et bu une gorgé du nectar pourpre. Elle se laissa tomber, lascive mais élégante, sur le lit.
- Mes projets géniaux ? Si seulement tout cela pouvait être aussi simple. Des plans elle en avait, mais ils étaient bien plus grand que ce qu’il pouvait imaginer. Son Maître lui avait fait part de son envie de conquérir Ashnard. Nul doute que ce ne serait pas simple mais Helel semblait confiant.
- Pourquoi tu t’intéresses à ça tout à coup ? Ils couchaient ensemble mais de là à lui faire totalement confiance, elle n’en était pas certaine.
- Il me faut une armée plus importante…j’arrive à défendre mais si un jour je veux être apte à faire plus que défendre…je dois rendre Alfenard plus attrayante. Ce n’est pas tout les jours qu’un mage talentueux vient proposer ses services. Malheureusement, la Reine qu’elle était très peu populaire. Des histoires saugrenues étaient lancées à son égard. Elle regardait son verre de vin en le faisant tourner légèrement. Elle était pensive mais se tira de sa torpeur cachant une fois de plus une fragilité qui lui semblait être une faiblesse.
- Toi qui viens de l’extérieur, qu’est ce qui t’as donné envie de venir ici ?