« Arrête, jamais je t’aurais laissé tomber ! Et puis, c’est un peu ma faute si tu t’es fait mal à ton joli minois... »
C’était la vérité. En tout cas, c’était ma vision de la vérité. Je me sentais coupable de cette chute, même si je savais pertinemment que ce n’était absolument pas de ma faute.
« Si j’avais réagi plus rapidement, tu ne te serais sans doute pas cognée contre la paroi. J’en suis désolée... »
Comme pour me punir, Gwen aspergea mes plaies d’antiseptique, et je pus comprendre pourquoi elle grimaçait lorsque je m’occupais d’elle. Les gouttelettes de liquide brûlaient mes chairs à vif, diffusant une chaleur intense sur la totalité de mes mains. Heureusement, la douleur ne dura pas plus de quelques secondes, surtout que ma partenaire d’infortune faisait preuve d’une délicatesse dont je ne la soupçonnais pas. Mes mains se fermèrent et s’ouvrir pour se dérouiller, la gêne et une pointe de souffrance étaient encore là, mais tout à fait supportables. Je n’eus pas le temps de remercier la grimpeuse qu’une petite créature attira son attention, et la mienne par la même occasion.
« Oh ! Bonjour, toi. »
Un petit écureuil avait fait son apparition devant nos deux paires d’yeux curieux. Mais rapidement, ce fut plutôt Gwen qui happa mon attention. Son sourire était rayonnant, son regard, pétillant. Ce n’était plus la cambrioleuse sombre que la vie n’avait pas gâté, mais une jeune fille pleine de joie. Mais je ne pus continuer à dévorer du regard le visage radieux de ma mentor, le petit animal venant maintenant s’inviter à mes côtés, à l’invitation de notre amie commune. Ses dents semblaient s’intéresser aux lacets de mes baskets plus qu’à la main que je lui tendais. Il finit par la remarquer, s’en approcha prudemment, à deux doigts de la renifler...jusqu’à ce qu’un bruissement dans un buisson voisin, sans doute dû à un oiseau.
« Oh non...juste quand il allait me niaquer le bout des doigts... »
Si j’étais un peu triste que Tic (ou Tac) ait pris la poudre d’escampette, je pouvais à nouveau focaliser mon attention sur la voleuse qui s’était invitée dans ma vie. Alors qu’elle s’étirait, son ventre se dénuda, certes sur quelques courts centimètres seulement, mais assez pour dévoiler le bas de son ventre ferme et joliment dessiné, et qui disparut bien trop vite, à nouveau recouvert par le tissu. Elle était...superbe. Son visage l’était, je l’avais déjà remarqué. Et son corps semblait l’être tout autant. Mes yeux ne pouvaient pas se détacher de ce ventre parfait, de ces hanches légèrement dessinées, de cette poitrine proéminente...enfin, si, il purent se détacher, quand ceux de Gwen remarquèrent que je ne fixais pas ses yeux. Du coup, avec ma maladresse habituelle, je fis mine de regarder un peu partout. Oh, quel bel arbre ! Oh, quelle jolie fleur ! J’ai déjà dit que j’étais une très mauvaise actrice, non ? Avec un peu de chance, peut-être qu’elle n’avait pas remarqué que je la matais ?
« Ah...euh...je ne veux pas de rabais. Je suis venue pour que tu me donnes des cours d’escalade, mais aussi pour qu’on fasse connaissance, qu’on passe du temps ensemble, et pour ça, on est servies. »
La luminosité commençait à bien décliner, et le ciel s’empourprait de coloris chatoyants, dressant un tableau pittoresque et vraiment agréable à regarder.
« Oui, je me doutais qu’il était trop tard pour repartir. Ce n’est pas grave. Envoie un message pour Kaito, il risque de s’inquiéter sinon. Ça va, j’ai personne à prévenir moi. »
Est-ce que c’était de la mélancolie qui pointait le bout de son nez dans ma voix ? Oui, un peu...beaucoup, peut-être. Personne ne m’attendait à la maison, à l’appartement. Ça avait des avantages, certes, mais aussi des inconvénients. Je me sentais un peu seule, et je n’étais pas forcément un animal très solitaire. J’avais besoin de tendresse, d’amitié, d’amour, mais je n’étais pas forcément très douée pour ça. Rien qu’avec Gwen, ça sautait aux yeux, j’étais une véritable quiche, même pas capable de lui faire comprendre que je l’appréciais bien. Ou alors, je me débrouillais pas si mal, mais je n’arrivais pas à l’accepter. Bonne question.
En attendant, alors qu’elle s’asseyait à mes côtés, je décidais d’aller rechercher un peu de cette tendresse qui me manquait, posais doucement ma tête sur son épaule, et le bout de mes doigts sur les siens. Dans le pire des cas, elle m’aurait repoussé, et j’aurais juste su qu’il ne fallait pas espérer se rapprocher plus l’une de l’autre. Et puis, elle avait accepté que je prenne soin d’elle précédemment, alors il n’y avait pas de raison que ça ne continue pas comme ça.
Et en effet, Gwen accepta ma présence. Seules dans cette forêt rocailleuse, au pied de cette maudite paroi, elle avait accepté ma présence ; mieux encore, elle m’avait acceptée moi. Devant nos regards lointains, les coloris chauds qui marbraient le ciel s’éteignaient doucement, laissant place aux premières étoiles que nous pouvions distinguer au dessus de nos têtes. Et après de longues secondes, ou de courtes minutes, mes doigts glissèrent comme par hasard sur les siens, et mes lèvres se posèrent avec fugacité sur sa joue dans un petit tchou qui résonna sur le mur contre lequel nous étions adossés.
Prenant pour excuse d’aller chercher dans mon bagage le nécessaire pour passer une presque bonne nuit, je me levai et partis farfouiller dans mon sac, bien que la belle blonde caractérielle devait se douter qu’il s’agissait là d’une ruse pour cacher les rougeurs sur mes joues, ou d’une manière de fuir un éventuel refus violent dont l’éventualité me terrifiait.
« Mauvaise nouvelle : j’ai un seul sac de couchage. Du coup...eh attends...merde ! »
Ce juron sortait du cœur, mais il y avait de quoi. Dans l’un des nombreux grands accès d’intelligence dont j’étais capable, et cette phrase est ironique, je n’avais pas vérifié le contenu du petit sac de toile contenant habituellement le sac de couchage. Et dieu sait que j’aurais du. A la place, il n’y avait que des boxers que je pensais avoir perdu depuis longtemps. Et oui, ça me revenait maintenant, j’avais utilisé ce petit sac pour emporter quelques affaires qui ne rentraient pas dans ma valise alors que je me rendais à une compétition à l’autre bout du pays, et pour ça, j’avais retiré le sac de couchage, et l’avait rangé...quelque part. Sans doute dans un placard, chez mes parents, bien caché, en train de prendre la poussière.
« Mais quelle conne ! Je suis vraiment désolée... »
Pour ne pas me gifler, fondre en larmes ou me jeter de la falaise la plus proche, je m’affairais à étaler des serviettes à terre, une épaisseur suffisante pour que la nuit ne soit pas totalement inconfortable. La largeur n’était suffisante que pour mon amie, mais ce n’était pas grave. Cette nuit serait ma punition pour avoir été une tête de linotte. Je l’invitais à s’installer, retirant à l’abri de son regard, cachée par la nuit tombante, mon short et mes chaussures, pour me retrouver en brassière et boxer. De toute façon, je résistais particulièrement bien au froid, et les nuits d’été n’étaient pas si fraîches...bien que la petite brise ne brillait pas par sa chaleur.
Allongée aux côtés de ma professeure, ma main se posait sur la sienne, et la caressait du bout des doigts. Ceux-ci effleuraient sa peau, descendait le long de ses phalanges, remontait jusqu’à son poignet, découvraient son avant-bras dont la peau se couvrait de frissons.
« Tu as froid, Gwen ? »
Quelle question débile. Évidemment, qu’elle avait froid. Il devait faire seize degrés, le vent s’était levé, et on était sur un promontoire rocheux. Et on n’avait rien pour nous couvrir. Une idée me traversa donc l’esprit. Un idée que je balayai directement d’un revers de main (pas un vrai revers de main, bien sûr, j’aurais eu l’air conne), mais qui revint immédiatement. Et après tout...oh, et merde. Alicia, si tu le fais pas maintenant, t’es vraiment la reine des imbéciles ! Et, pour une fois, exceptionnellement, j’osais. Aux côtés de mon amie, comme par hasard, il restait un minuscule espace, mais peut-être qu’il ne s’agissait pas d’un hasard ? En tout cas, je m’approchais d’elle, et ce fut mon pied qui en premier se serra contre elle, suivie de mes jambes, et de mon torse. Mes bras enlacèrent son corps fin, du moins à mon échelle, et le serrèrent contre le mien. Officiellement, c’était pour lui transférer ma chaleur. Officieusement, il était possible que j’avais surtout envie de la blottir contre moi. Pour parachever le tout, mon visage s’enfouit dans son cou, alors que je caressais son dos délicatement.
« Dis-moi si tu veux que je m’éloigne, chou... »