Au petit matin, je dégageais un clochard de ma chapelle qui jugea bon gratter le gîte en pensant s’attirer ma soi-disant sympathie pour les nécessiteux. Il puait atrocement la merde, c’était insupportable. Je préférais encore humer à pleins poumons l’âcre odeur d’un macchabée en voie de décomposition que supporter une seconde de plus l’odeur corporelle de ce déchet de l’humanité. D’ailleurs, je me dégoûtais moi-même d’avoir sali ma botte en le chassant manu militari de ma salle de prières.
« Hé, tu te souviens de ce que disait Jésus dans le Chapitre 11 de l’Evangile selon Saint-Luc ? “Ne m’importune pas, la porte est fermée”. Tu piges, connard ? » demandai-je d’une voix assassine, la porte de mon temple jéhovien entrouverte.
« Mais… Mais… c’est une Eglise, non !? »
« Ouais et alors ? Dieu est absent, aujourd’hui. Il est allé faire la bringue à Las Vegas. »
« Mais il faut que vous m’aidiez. Je suis pas d’ici. Je savais pas vers qui me tourner, je vous en prie, je me suis dit que l'église pourrait me porter secours… C’est quoi votre problème !? Faites votre boulot de prêtre, merde ! » s’exclama le malheureux que je confiais au grand et vaste monde.
« Ouais, c’est vrai. Eh bien, écoute, t’as qu’à revenir le jour du jugement dernier. »
Clac. Je me fendais ainsi fort bien la gueule, tandis que je lui fermais la porte au nez. La question que n’importe quel de mes contacts se poserait serait sans doute la suivante : que diable foutais-je dans cette bâtisse jéhovienne ? Eh bien, comme on le sait, je suis un homme d’une dévotion exemplaire, je voulais réaliser pénitence pour tous mes péchés de chair et de chère, renoncer à mon vampirisme en recevant la sainte lumière du Saint-Père, et… Oh, et puis merde, non. J’ai simplement infiltré la hiérarchie d’un Rite luciférien qui maintenait les apparences d’une banale église jéhovienne, et j’étais aidé en cela par mes compétences en sorcellerie.
Deux brutes, deux Thralls, c’est-à-dire des individus mordus par les Vampires, mais qui ne se transforment pas pour autant, formant une masse de serviteurs dociles et privés de leur libre-arbitre, me signalèrent la présence d’une curieuse anomalie dans cette fameuse rue du Quartier de la Toussaint. J’étais dans l’expectative ; en temps normaux, mes rituels sont d’une rigueur implacable : j’avais réalisé le sacrifice d’une importante quantité de créatium chaotique - car oui, avant d’être un odieux fils de pute sans coeur et un fieffé voleur -, je suis d’abord et avant tout un magicien prédisposé, par sa lignée, à user de sorts complexes dont je percevais instinctivement les mécanismes.
En adoptant une posture concentrée, je distinguais avec plus ou moins de précision la localisation exacte de ladite anomalie. Ni une, ni deux, je sortais, accompagné de mes deux gorilles, de ma chapelle. Le clochard mentionné ci-dessus, qui étendait ses pieds sales sur le parvis, tenta de m’houspiller, criant haro sur le baudet au milieu de l’indifférence générale. J’hésitais à écourter ses jours, mais le costume ecclésiastique que je me portais m’orientait, malgré mes écarts de conduite, à faire preuve d’un semblant de miséricorde, même envers les médiocres de son espèce qui sont tout juste bons à alimenter les fosses communes. L’évêque Myriel qui dormait en moi (sic) fit que je passais outre les graves insultes portées à mon endroit, tandis que j’ouvrais la portière arrière de ma superbe berline.
Une quinzaine de minutes, je découvrais étendue sur le sol une magnifique rouquine qui piquait du nez, vêtue d’une drôle de manière au sein d’un quartier qui n’était franchement pas en odeur de sainteté parmi les hiérarques de la ville. Encore une touriste qui sortait d'une convention ou je-ne-sais-quelle-connerie et qui a dû faire une mauvaise rencontre avec les locaux... J’haussais les yeux, sortant de ma voiture hors de prix. J’ignorais que mon « colis » serait si voluptueux, si délicieux de prime abord… Putain, machinalement, je me mooooooordais les lèvres ! Qu’importe, je distinguais trois ou quatre lascars qui se rapprochaient de ma cible, ils me couvrirent d’insultes et de provocations. Sans doute voudraient-ils commettre un viol en réunion, mais malheureusement, je confisquais leur jouet juste sous leur nez. Une femme occidentale, ça donnait l’eau à la bouche, que voulez-vous. L’un d’eux tenta de m’arracher la belle des mains, je lui offris en lieu et place, sans aucune autre forme de procès, un revers de la main droite qui lui arracha quelques dents et qui, hélas, lui causera également de graves soucis neurologiques, tandis que sa tête heurta le bitume.
Je positionnais alors la silhouette de ma protégée sur la banquette arrière, de telle manière que son joli visage et sa crinière auburn s’étendent de tout leur long sur ma cuisse gauche. J’y passais mes mains, comme si je m’en appropriais, comme si je venais de faire l’acquisition d’un jouet de première main, réalisant de longues caresses…
« Alooors ? Vous vous réveillez, mademoiselle ? » interrogeai-je, au creux de son oreille, d’une voix terriblement paternelle mâtinée d'un perceptible désir de chair.
Elle pouvait voir sur ma soutane ridicule l'emblème du Christ. Par souci de communication, je m’exprimais dans un anglais conventionnel. Vous savez, il s’agit de la langue franque en ce monde, alors, comme on dit, j’entendais définir d’office un axe de communication facile et efficace avec cette rouquine aussi désirable que baisable.