Voici une Imp qui a de la chance ! (Ou pas… ?)
« Je soussigné(e) Izar Myrrhe, déclare sur l’honneur l’exactitude des informations indiquées par mes soins et prends acte que toute fausse déclaration pourra faire l’objet d’une sanction judiciaire conformément à la réglementation en vigueur. Je reconnais que… »
Bordel. Qu’est-ce que je me faisais chier ici, à m’improviser, par l’invocation d’un droit de préemption, usufruitier d’un manoir désaffecté depuis, quoi, dix ans ? Au bas mot ? Mais telle était la souveraine volonté des chefs de mon clan qui projetait de renforcer notre influence dans cette région par le biais d’une subtile et astucieuse politique d’infiltration des cercles de ses élites décadentes – et je n’avais en aucune manière le droit de donner mon avis sur la question. Il n’y avait, hélas, chez les vampires aucune volonté de résoudre la contradiction entre tâches d’exécutions et tâches de directions, si bien qu’on aboutissait à des situations totalement ubuesques, insolites, comme celle qui vient de se produire. Vampire de sang-pur, car mon salopard de père en était déjà un, mon destin était déjà tracé depuis le moment de ma conception : je me prédestinais d’office à devenir un chef, un vrai de vrai, l’Alpha d’une meute de vampires.
Au surplus, les dents-longues disposent d’une supériorité essentielle à l’égard des dents-courtes. En l’état, j’étais réduit au rôle d’exécutant en raison de ma jeunesse, si bien que j’avais beau jouir d’un pedigree parmi les plus qualitatifs, mes supérieurs me traitaient comme une sorte de… « sbire haut-placé », assujetti - de jure – à l’autorité des « dents-courtes » qui se prévalaient d’une ancienneté se chiffrant en plusieurs décennies, mais disposant d’une puissance bien largement supérieure - de facto. Les sociétés vampiriques fétichisant le charisme ou la force, je me retrouvais dans une position délicate où je me devais d’obéir à des grabataires incompétents qui étaient supposés me transmettre du savoir. Dans les faits, je campais plutôt le rôle de professeur informel du fait de mes affinités magiques.
Ce qui nous amène à la problématique suivante : qu’est-ce que je fichais ici ?
À laquelle je répondrai : CONTRADICTION !
Contradiction : Usufruitier travaillant au compte d’une dents-courtes, je recevais la tâche de remettre en ordre cet endroit, notamment par la constitution d’un cercle de nouveaux serviteurs dûment sélectionnés auxquels je devais distribuer mon sang, à condition que mes choix soient approuvés en amont. Les dents-longues disposent en principe du droit de vampiriser qui ils le désirent. On en déduit que cette entorse au règlement constitue une contradiction.
Contradiction : Un dents-longues disposant du droit de vampiriser celui ou celle qui lui plait, l’élu devient automatiquement son serf ou son vassal. Dans le cas présent, les nouveaux serviteurs en question ne m’appartiennent pas. Je ne suis qu’un géniteur. Ces derniers passent au régime de la fraternité, la froide fraternité.
Contradiction : Je suis une dents-longues. De quel droit une dents-courtes se permet-elle – de facto – de s’approprier, par le biais d’une fonction administrative – un véritable cache-misère ripolinant ce camouflet, cette tartufferie !, mon don, mon sang !
Contradiction : Pourquoi suis-je affecté à un front aussi ennuyeux et aussi éloigné, alors que mes nombreuses compétences en matière nécromantique m’orientent plutôt vers les grandes cités historiques ?
Et j’en passe et des meilleures.
Confortablement installé sur mon bureau, fumant doucement la pipe à narguilé que j’avais trouvé dans le grenier parmi les rares effets personnels qui avaient été laissés ici, je remplissais donc, en effet, une quantité mirobolante de documents administratifs. Une tâche qui convenait absolument à mes aptitudes et qu’un serviteur de bas étage n’aurait pu s’acquitter, de toute évidence !
Mais soudain, j’entendais, au niveau du rez-de-chaussée, un bruit suspect, particulier. Des petits pas malingres et futés s’efforçaient de se mouvoir dans une pénombre qu’éclairaient difficilement des kyrielles de lampes à huiles que j’avais disposées ci et là, de façon à indiquer que ce manoir était, à présent, occupé.
Je soupirais derechef. Ma patience, mise à rude épreuve, me rendait d’humeur massacrante. Aussi, afin de tromper l’ennui qui m’assaillait de toutes parts et qui contribuait à l’aigrissement de mon joli minois, et de façon à lier l’utile à l’agréable, j’en vins à élaborer une petite facétie : tandis que je sentais les pas s’approcher, monter les escaliers, alors que j’entendais les bruits de la respiration de l’intrus qui tentait de se livrer à quelques menues rapines, les petits pétons s’agitaient et se dirigeaient dangereusement de ma position… Je joignais subitement mes mains, mes doigts graciles entre eux, avant d’applaudir nonchalamment pendant quelques secondes. Je sifflais ensuite, le son produit résonna parmi les galeries de ce manoir maudit, annonciateur d’un vent de fraicheur généré par ma magie de glace qui se dispersait à tous les coins. Les candelâbres s’éteignaient, les bougies également.
« Honnêtement, si j’étais toi, je tournerais les talons et je partirai en espérant que le propriétaire des lieux m’ait oublié pour toujours. »
La lumière cédait définitivement à la pénombre. Je me levais de mon fauteuil en cuir, sourire taquin accroché aux lèvres, escomptant que cette personne se refuse à obéir à cette injonction. Au fond, pour se régaler de ce type de plaisanteries, je restais encore et toujours le Gavroche que je fus !