Une larme coula sur sa joue et tomba en silence contre le marbre, son cœur se sentant libéré d’un poids conséquent dont elle n’avait pas conscience juste avant. Cette fois, Tadeus avait récupérer son acte d’achat, celui qui aux yeux des hommes, la faisait marchandise de Thiana Gian… Savoir que la Sorcière avait bataillé fougueusement fit vrombir son amour pour elle, mais elle se sentait bien moins liée à cette femme.
Oh, elle l’admirait toujours, elle la savait exceptionnelle et bonne. Bonne avec elle, malgré les sévices ou les moqueries, mais comparée à ses précédents Maîtres, sa vie à l’Auberge avait été plus agréable. Son ancienne maîtresse ne l’avait jamais abusée, contrairement aux nombreux avant elle, même si elle l’avait utilisée comme monnaie d’échange, lot de tombola, et poussée honteusement dans les bras de ses clients les plus fortunés alors qu’elle n’était en rien une fille de joie.
Cependant, se savoir détachée d’elle la soulageait, elle gagna en sérénité malgré l’immense amas de douleurs que représentait son corps. Le Petit Corbeau accueilli cette nouvelle avec un très mince et faible sourire, trop épuisée et meurtrie pour mieux que cela, et ne quittait plus des yeux le petit bout de papier tendu par le Gras. Alecto songea à hocher la tête pour assurer à son Maître qu’elle était en effet très heureuse, et fut persuadée de l’avoir fait, mais aucun des présents ne la vit bouger.
L’Imposant Hôte n’eut pas le choix que de les accueillir encore, jusqu’à ce que le Démon en décide autrement ; il n’était pas raisonnable de lui opposer une quelconque résistance. N’ayant pas le choix, le Négociant de Reliques coula encore une fois ses yeux immondes sur elle, se lécha les lèvres avec avidité, et prit congé, après avoir invité son cher vieil ami intimidant à venir boire un verre en sa compagnie afin de lui conter comment sa si frêle et si belle Alecto pouvait endurer pareil traitement.
Il sortit avec sa suite, en ricanant d’une voix vicieuse, sans doute pour se remettre de ses émotions… Quelques instants plus tard, un terranide aux allures de faucon entrait en compagnie d’une femme toute petite, une barbe naissante, et des formes larges sous un tablier immaculé entrèrent et se présentèrent immédiatement à Damascus, ignorant la serpillère.
- Vous allez être déménagés dans un autre appartement, ordre de Monsieur.
L’Oiseau aux yeux perçants semblait vieux, son plumage blanc et gris, et portait cependant de petites bésicles rondes. Il s’adressait au Démon avec une voix nasale et humble. Mais la petite femme replète, elle, se dandina vers Alecto et n’eut pas beaucoup à faire pour s’accroupir à sa hauteur.
- T’es pas belle à voar, ma p’tit. Elle lança un regard de jugement à son Maître, mais Alecto ne voyait rien de net et la tête lui tournait. On va t’porter au labo.
Elle ne semblait pas vouloir demander la permission à Damascus, et les paroles, comme filtrées par du coton, avaient eu du mal à arriver jusqu’à l’esprit brisé de la petite Corneille en ruine. Elle voulut protester, choquée de ne pas attendre l’autorisation du Maître, mais la Naine la souleva avec une force incroyable.
Alecto gémit de douleur, à la limite du hurlement.
Malgré la force de cette personne, elle semblait véritablement tenter d’être douce, mais cela ne semblait pas dans sa nature. L’Esclave n’avait pas la force de résister et de parler, mais elle était paniquée à l’idée qu’on l’éloigne de son Maître.
Le Faucon, en s’inclinant, conversait toujours avec Damascus.
- Si vous voulez bien me suivre. Mais il ajouta très vite de sa voix nasillarde. Votre… Dame va recevoir des soins, elle sera ramenée à vous très vite.
Sur l’épaule de la petite femme, Alecto peinait à prendre sa respiration convenablement, et le mouvement accentuait les douleurs, au point qu’elle tourna de l’œil. Une seconde, elle crut réussir à tenir bon, mais soudainement, la vision de brouilla totalement, et elle n’entendit plus aucun son, avant de définitivement s’évanouir.
Elle se réveilla dans ce qu’elle songeait être une boutique d’apothicaire et un laboratoire alchimique. Les fioles autour d’elle et les nombreuses plantes rendaient une chaleur étouffante. Elle se rendit compte qu’elle avait toujours autant mal, mais qu’elle respirait sans peine ; Avec effort, elle se redressa du lit où elle était installée… Non, c’était une table, à vrai dire. Sa peau avait été lavée, et elle ignorait combien de temps elle était restée ainsi.
La pièce était vide, et d’énormes baies vitrées donnaient sur une serre, visiblement. Il faisait bien trop chaud, elle étouffait… Le petit Corbeau cilla en observant les lieux, et constata que son corps était constellé de bleus, d’hématomes et d’écorchures qui avaient été pansées. Un bandage couvrait sa poitrine qui la compressait, elle était nue, mais étrangement, elle se sentait capable de se relever.
Quoi que ces médecins aient fait, ses entrailles lui semblaient réparées, bien qu’elle conserve les courbatures et les ecchymoses, sa mâchoire était encore endolorie, cependant. L’Esclave s’assit lentement, posa ses pieds au sol et glissa doucement sur ses jambes, titubant. Le carrelage était glacé et contrastait avec l’air vaporeux, mais cela ne l’empêcha pas de marcher, d’abord en chancelant et grimaçant.
Sa première pensée allait à Damascus. Où était son Maître ? Il avait peut-être besoin d’elle, ou la cherchait ? Une envie profonde de le retrouver lui tirailla le ventre, mais alors qu’elle allait sortir aussi vite que sa faible stature le lui permettait, elle remarqua un petit bureau où des livres, des documents et des plumes se trouvaient.
Elle n’y connait rien, mais estima qu’il s’agissait de recettes alchimiques, de formules étranges, de schémas ésotériques. Alecto fit une moue dubitative, et la curiosité la poussa à ouvrir les tiroirs du petit secrétaire. L’intrigue lui redonnait des forces à vue d’œil, l’Esclave fouilla des ouvrages et rouleaux de parchemins sans intérêt visible, mais découvrit alors un très beau porteplume ouvragé, en ivoire aux arabesques d’or, serties de petites pierres luisantes et couleur grenat. Il accueillait une très élégante plume à la mine taillée et recouverte d’une pointe toute aussi travaillée…
Les yeux d’Alecto se mirent à briller avec avidité. Pour la première fois de sa vie, alors qu’elle désirait un objet matériel luxueux, sa morale n’était pas là pour l’arrêter et lui rappeler les règles du Seigneur. Elle voulait ce porteplume et son délicat instrument. C’était très mal vu de voler son Hôte… Tadéus ne serait pas content… Mais… Savait-il vraiment tout ce qui se trouvait dans les si nombreux tiroirs de sa trop grande demeure ?
Son cœur bondit, et elle se saisit de l’objet de toutes ses convoitises, le collant contre elle avec délice, et le glissant alors sous les bandes qui couvraient sa poitrine. Avoir son larcin contre son cœur l’emplissait d’une joie étrange, libre et audacieuse, se sentant si fière.
Elle allait franchir la porte lorsque la petite femme replète y pénétra et sembla ravie de la voir éveillée. Visiblement, elle ne se doutait de rien…
- Ahhh, v'là la belle endormie qui s’réveille. Bien bien. Elle lui tendit une tunique et quelques vêtements, qui semblaient lui aller parfaitement, comme s’ils avaient pris ses mesures durant son sommeil. Alecto peina à se vêtir, mais encore une fois, la toute petite personne l’aida avec bonhomie.
- Viens, jvais te conduire à ton… camarade.
Visiblement, la Naine n’appréciait guère Damascus, et le constatait fit bouillonner Alecto. Elle se permettait d’avoir un jugement si négatif, et de l’exprimer, en plus, envers son Maître. Une pulsion violente assaillit son crâne, mais elle se mit à marcher à sa suite, et cela passa…
La petite femme la mena alors dans les corridors, jusqu’à sortir dans les jardins. A sa surprise, elle l’abandonna au milieu de ce qui ressemblait à un verger, lui ayant tapoté la fesse en partant. Il lui fallait cependant réussir à trouver son Maître ; elle serra contre son cœur son butin et prit une grande inspiration, l’air frais la berçant, alors qu’elle cherchait du regard le Démon.