Cela faisait maintenant quelques années que notre rousse rondouillarde avait quitté sa France natale, sa bonne vieille région PACA, pour se perdre au pays du Soleil Levant. Ce n'était guère simple de s'acclimater tous les jours. Tout ce qu'elle connaissait du Japon, elle l'avait appris durant ses cours particuliers, ainsi que dans les livres qu'elle a pu ouvrir et les vidéos qu'elle a regardé. Mais jamais elle n'avait mis le pied sur l'île nippone avant son déménagement, et son installation finale. Il lui a fallu un certain temps pour s'adapter, il est vrai, mais Lucie avait le don de voir toutes les choses du bon côté. Après tout, elle avait quitté son poste d'institutrice en France, sa famille et leur accent chantant, tous ses liens, tous ses repères. C'était une femme forte et indépendante. Elle voulait le faire. Elle avait franchi le pas, et elle le regrettait nullement.
C'était une journée de plus banales dans le simple quotidien de la rondouillette. Un jour où elle s'était levée tôt pour pouvoir s'occuper de sa ménagerie : chats, chiens, cheval, chèvres, etc...La Française songeait même à acheter quelques poules. Cela pourrait, en plus de donner des œufs, débarrasser le potager des insectes nuisibles. Voilà une idée qu'il lui fallait travailler. Petit projet à faire mûrir. Cela ne pourrait que lui être bénéfique, même si ça lui demanderait un peu plus de son temps et du soin pour ses nouvelles compagnes. À réfléchir.
C'était une matinée comme toutes les autres. Après être arrivée à la crèche, Lucie avait installé les tables et jouets, ainsi que préparer les petits déjeuners pour les enfants qui arrivaient très tôt, du fait des parents qui allaient travailler peu de temps après avoir déposé leurs progénitures. Les enfants Japonais étaient bien plus tranquilles, sages et bien élevés, que les Français, elle devait bien se l'avouer. Enfin, bref...Une matinée à s'occuper d'eux, jusqu'à ce qu'on vienne la relever, le poste pris par une collègue de l'après-midi.
La rousse joufflue avait fait un petit détour par le centre-ville pour y faire quelques courses. Elle n'avait pas beaucoup à remplir son frigo, avec toutes les cultures qu'elle avait dans son potager, mais la viande ne pousse pas dans le sol ou dans les arbres. Ni même les vivres pour ses chiens et chats. Alors c'est les bras pleins de sacs que la Française retourna à sa maisonnée, à l'extérieur de la ville. C'était certes un coin un peu éloigné de la cité mais la sérénité qu'on y trouvait n'avait d'égal que la beauté de l'endroit. Et même si elle était seule, bien qu'avec ses animaux de compagnie, Lucie ne s'en plaignait jamais.
Les courses rangées, la femme bien en chair attrapa les laisses pour les accrocher aux colliers de ses deux magnifiques
bouviers bernois.
- En avant !Elle avait de la chance. Starky et Lola étaient très obéissants. De braves bêtes, comme disent tous ceux qui les rencontrent sur le chemin de la promenade. Lucie n'allait guère loin de sa maisonnée, sauf pour de très longues balades, ce qui n'était pas le cas aujourd'hui. Il lui arrivait de vagabonder ici et là, se laissant porter par ses pas ou ceux de ses canidés. C'est pour cela qu'elle s'était retrouvée vers la zone industrielle, pour une fois. Ce n'était pas un coin très...spectaculaire, mais Lucie réussissait à lui trouver un certain charme.
Mais c'est au détour d'un croisement que la Française rencontra un obstacle. Un
« Ouf ! » quitta un instant ses lèvres, secouée par le choc. Ses chiens s'étonnèrent mais restaient calmes à côté d'elle. Secouant la tête, Lucie reprit ses esprits, et son sourire également, répondant à la voix féminine face à elle.
- Non, ce n'est rien. Excusez-moi, je ne vous avais pas vu !Son ton était guilleret, jusqu'à ce qu'elle relève le visage et s'aperçoive à qui elle avait à faire. Une jeune fille encapuchonnée se tenait là, devant elle, mais ses habits étaient complètement couverts de sang, ainsi qu'une partie de son visage. Affolée sur le moment, Lucie posa ses mains, les laisses aux poignets, sur les épaules de la demoiselle.
- Tout va bien ? Vous avez mal quelque part, demoiselle ?La rondouillette pencha un peu la tête pour fixer le regard de la jeune fille, perplexe quant à son véritable état. Elle avait l'air complètement perdue, et c'était le cas, visiblement. Lucie détacha ses mains des épaules inconnues, et lui sourit, comme pour la rassurer, bienveillante.
- Vous êtes dans la zone industrielle de Seikusu, petite ville non loin de Kyoto. Je peux vous aider peut-être ? Vous semblez vraiment perdue. Je m'en voudrais s'il arrivait malheur à une si jolie demoiselle.Cordiale, elle met un peu de distance. Elle sait pertinemment que pour ceux qui se sont perdus, qui n'ont guère de repaire, être effrayé de tout et n'importe quoi est si facile. Alors, la Française tira un peu sur les laisses de ses chiens, ceux-ci très attentifs aux mouvements de leur maîtresse. Les deux bouviers bernois viennent s'asseoir aux pieds de Lucie, tranquilles.
- Oh, j'ai oublié de me présenter. Je m'appelle Lucie, et voici Starky et Lola. Enchantée !Et si...la demoiselle avait également oublié son nom, son identité même ? C'était quelque chose à prévoir. Lucie devait prendre les devants et ne pas laisser cette jeune femme repartir. Alors, toujours dans son ton chauffant comme un rayon de soleil au printemps.
- Il me semble que vous ayez besoin d'aide, et surtout, d'une petite douche, et une machine...pour vos habits. Elle se pencha vers elle pour lui chuchoter.
Vous êtes couverte de sang, et attirer la foule vous déplaît, j'imagine. Venez, je fais route jusque chez moi. Vous pourrez vous y décrasser le corps et l'esprit.Faisant demi-tour, en faisant suivre ses chiens avec elle, la rondouillette observa la demoiselle et lui sourit chaleureusement.
- N'ayez crainte, je ne mords pas. Starky et Lola non plus !À elle de faire un choix désormais. Lucie était là pour lui prêter mains fortes, mais le destin de la jeune femme ne résidait que dans son futur choix, et au grand jamais, la Française ne viendrait la forcer de quoique ce soit.