Zorro était attablé devant une belle assiette remplie d’une omelette aux herbes accompagnée de morceaux d’agneau confit qu’un serveur, un jeune homme grêle mais d’une redoutable efficacité, venait de lui apporter.
Assis non loin de la cheminée, il mangeait tranquillement, prenant une gorgée de vin à intervalle régulier, tout en tendant l’oreille, à l’affût des rumeurs et autres ragots qui pourraient le mettre sur la piste d’une quête ou autre prime susceptible de lui rapporter de l’argent.
Après tout, certes l’éradication des noyeurs lui avait rapporté quelques pièces, mais il doutait fort que cela lui suffise à tenir bien longtemps. A plus forte raison qu’il voulait remplacer sa lame brisée. Et les bonnes épées étaient chères …
La soirée avança au rythme paresseux des conversations, baignée par les odeurs de feu de bois, de bonne cuisine et d’alcool. Sur une estrade, dans un coin de la grande salle, un orchestre tirait une musique d’ambiance d’instruments que le mercenaire n’avait encore jamais vu et qui se mariait à merveille à la voix suave des deux chanteurs.
Son repas terminé, le Loup Noir s’était un peu écarté de sa table afin d’étendre ses longues jambes et observait la salle à travers ses yeux mi-clos, un nouveau godet de vin doux à la main quand un son discordant de cloche vint briser la quiétude des lieux. Une sentinelle, paniquée, fit irruption dans l’auberge un instant après.
- Alerte, un troupeau de nekkers arrive depuis la forêt !
L’annonce eut l’effet d’une véritable explosion. Les aventuriers présents, plongés jusqu’alors dans une douce torpeur, se réveillèrent brusquement, qui cherchant ses armes, qui donnant des instructions à son groupe, tandis que les marchands et simples voyageurs se rassemblaient au fond de la pièce, dans une sécurité relative.
Du coin de l’œil, Zorro aperçut la jeune femme aux cheveux de feu se précipiter au dehors tout en défaisant les bandages de son énorme épée tandis que son étrange compagnon montait à l’étage avec une agilité de chat.
Le mercenaire, toujours assis, jeta un œil critique à son verre et le termina d’un coup sec, une goutte de vin roulant jusque dans sa barbe, et sorti rapidement dehors en même temps qu’un groupe de jeunes aventuriers.
La situation était pour le moins chaotique.
De partout, des espèces de gnomes difformes dotées d’un genre de jabot de peau flasque couvrant leur cou sortaient soudainement de terre comme des dauphins hors de l’eau, attaquant par groupes entiers avant de replonger aussitôt en laissant de profondes marques de griffures sur leurs victimes.
Cette tactique, bien que rudimentaire, n’en demeurait pas moins redoutable. Une minute à peine s’était écoulée depuis le début de l’attaque et déjà on pouvait compter nombre de blessés graves et de morts parmi les aventuriers les plus inexpérimentés.
Sans même daigner sortir son épée, inutile dans son état actuelle, l’hybride se précipita vers un novice isolé. A peine était-il arrivé à ses côtés qu’une des créatures surgit juste à côté de lui, ses longues griffes tendues vers son innocente victime. Elle n’eut pas le temps de faire plus. Sa tête parti en arrière avec un craquement sinistre quand le poing du lycan la percuta avec violence. Elle retomba lourdement sur le sol, inerte.
Zorro se tourna vers l’aventurier qui était tombé, terrorisé. C’était un gamin. Bon sang, ils les prenaient de plus en plus jeunes ou quoi ? Il s’accroupit devant lui et lui tendit la main, une étrange flamme dans les yeux.
- File te mettre à l’abri !
- Mais …
- Obéis !
Une vibration sous ses pieds informa Zorro de l’approche d’un nouveau nekker. Il pivota subitement sur-lui-même, attrapant au vol une des pattes arrière du monstre, et le fit passer par-dessus son épaule pour le fracasser au sol. Un mélange de sang, d’os et de cervelle jaillit, éclaboussant le débutant.
- Si tu veux un jour devenir un grand aventurier, il te faut d’abord survivre. File ! Et laisse-moi ton arme, je te la ramènerai.
Enfin la jeune recrue déguerpit à toute vitesse, laissant là son épée. Zorro s’en saisit et replongea au cœur de la mêlée.
Le combat dura de longues minutes, mais le flot de nekker ne semblait pas vouloir diminuer. Curieusement, les bêtes semblaient … perdues, paniquées. Mais cela n’enlevait rien à leur agressivité, au contraire. Perdu au cœur du combat, couvert de sang et d’égratignures bégnines, Zorro se retrouva soudainement dos à dos avec la guerrière à l’épée géante, pataugeant dans une épaisse boue rougeâtre, encerclés par des dizaines de créatures démoniaques. La lame de la jeune femme semblait littéralement vibrer d’énergie et de fureur contenue.
Au premier rang du cercle, juste devant Zorro, une des créatures, peinturlurée de rouge, lança subitement un hurlement rauque et fit un bond impressionnant en direction du semi-elfe. Un vrombissement sonore, tel un énorme bourdon, retentit à son oreille et il sentit un frôlement juste à côté de sa gorge. Une fraction de seconde après, le chef nekker était propulsé en arrière, au milieu des siens, la gorge déchirée par un carreau d’arbalète.
Sans même se concerter, les deux guerriers chargèrent, profitant de la surprise effrayée des monstres.
Bien plus tard, alors que la nuit était plus qu’avancée, Zorro était de nouveau assis dans la grande salle de l’auberge, transformée en hôpital provisoire, aux pieds des escaliers menant aux chambres. Partout autour de lui, aventuriers, marchands et voyageurs s’affairaient auprès des blessés. Un peu à l’écart, dans un coin plus sombre, une dizaine de corps gisaient, humblement recouverts d’un drap. Tous n’avaient malheureusement pas survécu à l’attaque.
- Cela suffit ! C’est la cinquième attaque ce mois-ci ! Il faut faire quelque chose. Envoyez plus de monde !
- Calmez-vous Yuan. Vous savez bien que je ne peux pas. J’ai déjà envoyé trois patrouilles traquer ces créatures. Nous les avons toutes retrouvées déchiquetées non loin de ces anciennes ruines.
- Alors fermez-les ruines ! Faites-les s’effondrer ou que sais-je !
- Ca ne servirait rien. Les nekkers sont des fouisseurs. Il leur suffirait de creuser un tunnel. Et nous n’aurions plus aucune chance de comprendre pourquoi ils se sont installés ici ni pourquoi ils nous attaquent.
- Je triple la prime ! Vous entendez tous, j’offre le triple de la récompense à quiconque nous débarrassera de ces démons !
Les rares aventuriers qui se tournèrent vers Yuan, le directeur de l’auberge et de ses exploitations, lui lancèrent un regard de pur mépris avant de retourner s’occuper de leurs blessés.
Avec un soupir, Zorro se releva.
- Je vais m’en charger.
Il se retourna. Quelqu’un avait parlé en même temps que lui. Il eu un sourire en reconnaissant la personne. Il aurait dû s’en douter.