Leur jeu de séduction était devenu plus qu'amusant. Almira était rongée par la tentation. Si elle n'avait pas eu les mains liées par le devoir, elle se serait déjà abandonnée au beau diable. Elle ne pouvait pas se le permettre. Elle devait résister à ce corps brûlant qui s'offrait à elle. Elle devait résister à ces caresses audacieuses. Sa mission passait avant tout.
«Mon nom ? J’en ai des milliers. Les humains qui ignorent qui je suis m’appellent Connor, ou encore Belmont. » Après s'être glissé le long de son ventre, ses doigts s'introduisirent sans gêne dans le pantalon de l'assassin. Il n'avait fait que l'effleurer, mais l'érotisme du geste ajouté et son état fébrile avaient suffi pour qu'elle laisse échapper un soupir en frissonnant. « Ceux qui me connaissent m’appellent Gusion, ou encore Helel. Helel est sans doute le nom le plus approprié. »
Helel, Connor, Belmont, Gusion. Un homme avait-il besoin d'autant de noms ? Elle l'ignorait. Elle même, elle ne connaissait pas réellement le sien. Elle n'était qu'Almira, et son existence n'était pas même officielle. Tout le monde a le droit à ses petits secrets. Elle l'appellerait donc Helel.
« Je suis venu parce que l’on m’a appelé, c’est aussi simple que cela. Je me moque du pouvoir de l’argent dans un pays d’hérétiques comme le tien. » Ses gestes devenaient plus rapide, plus entreprenant. « Tout ce qui m’intéresse, c’est la force. La mienne, celle des autres, peu importe. » Il approcha son visage du sien, jusqu'à ce que leurs fronts se rejoignes. « Je… Collectionne les êtres d’exception, ceux qui m’intéressent. Alors, laisse-moi te retourner ton offre. » Son souffle chaud se déportait à présent dans son cou. « Tu auras ce que tu veux. Et en échange, je veux que tu me reconnaisses comme ton Maître. Et quand je dis tout, c’est à peu de choses près, tout. Être un Démon a ses avantages. »
Almira reçut la dernière information avec une certaine appréhension. C'était donc un démon. Les démons étaient connus de tous dans le Sultanat, où la magie occulte terrifiait les esprits. Ils peuplaient les légendes, les contes pour enfant, les histoires que l'on comptait au coin du feu et avaient tous quelque chose en commun : ils étaient craints pour leurs pouvoirs comme pour leur nature maléfique. Rares étaient les personnes qui pouvaient se vanter d'en avoir déjà vu un en personne et jamais elle n'aurait cru qu'elle en ferait parti. Ce n'était néanmoins pas tout ce qu'elle avait retenu de son discours. Helel, Connor, peu lui importait comment il se faisait appeler ou ce qu'il était, il l'avait mise en colère.
La colère était un sentiment dangereux et destructeur. Ce sentiment était à l'opposé de sa personne, elle, dont le calme immuable semblait survivre à toutes les épreuves. Comme la peur, il conduit à l'erreur. Comme la peur, Almira pensait l'avoir banni de son esprit depuis des années. Elle avait appris à le maîtriser, à le refouler et jamais elle ne s'était laissée emportée. Pourtant, les propos du démon venaient de réveiller chez elle cette irrépressible envie de s'énerver.
Maître. Ce mot lui donnait simplement envie de vomir. L'esclavagisme était une pratique antique, ancré dans les mœurs du Sultanat depuis des siècles, et pourtant elle n'avait jamais eu sa place dans le cœur d'Almira. La souffrance d'autrui, elle s'en fichait. Elle était presque incapable de faire preuve de compassion. C'était seulement l'idée que des gens s'accordent le droit de disposer de la force et la liberté des autres qui la répugnait. L'argent, le pouvoir. Tout cela, elle s'en fichait. La liberté, sa liberté, n'était pas marchandable.
Le démon lui rappelait à présent un petit enfant, cet enfant insupportable prêt à tout pour obtenir le jouet qu'il convoite. Il était évident qu'il avait toujours obtenu ce qu'il voulait avec une certaine facilité. Il appartenait aux puissants de ce monde, bien au-delà de tout ce qu'Almira avait jamais connu. Son orgueil était démesuré. Elle se devait de lui faire ravaler ses paroles. Elle était une simple humaine, mais il n’obtiendrait pas satisfaction. Pas comme il l'espérait, du moins.
En prenant appui sur le mur, Almira le repoussa de toute sa force. Son sourire avait disparu. La lueur espiègle dans ses yeux s'était éteinte. Une colère tacite l'avait remplacé, un simple masque pour la fureur bestiale qui consumait son être. Elle avait su conserver une certaine beauté dans sa furie, dans la détermination aveugle qui la guidait. Ce comportement ne lui ressemblait pas, mais s'accordait étrangement avec son physique : ses yeux éclatants et ses cheveux roux déliés n'étaient que sublimés par cet animosité.
« Des avantages ? » Elle rit, d'un rire qui avait ce coté ironique désagréable, presque acide. « Tu voudrais que je m'agenouille devant toi, que je te supplie de me prendre comme esclave ? Tu pensais que j'accepterai de devenir un patin destiné à assouvir tes désirs ? Ta putain ? La vie ne vaut pas la peine d'être vécue si elle doit l'être enchaînée. Tu peux me promettre tout l'or du monde, tu peux me promettre le monde lui même, je n'en voudrais pas pour un tel prix ! »
Ce faisant, elle s'était approchée de lui, à quelques centimètres de son visage seulement. Cette fois, il n'y avait plus aucune sensualité dans leur intimité. Son regard furieux sondait les abysses de son esprit. Elle voulait qu'il comprenne une fois pour toute que sa volonté ne pouvait être muselée aussi simplement. Elle ne souhaitait pas faire partie d'une collection. Elle ne souhaitait pas devenir un être d’exception. Elle voulait rester elle-même. Ce qu'elle avait forgé en dix ans ne pouvait être détruit en une journée. S'il comptait l'atteindre, il avait fort intérêt à changer d'approche. Une fois son venin craché, sa colère semblait s'être évaporée aussi promptement qu'elle avait surgi. Le calme de son visage n'avait cependant jamais été aussi glacial. Elle détourna les yeux.
« Les gens de ton espèce ne comprennent pas ces choses là, Helel. »
L'orage passé, elle conservait un goût amer dans la bouche. Le goût de la déception. Le démon lui avait plu, un instant. Il l'avait presque séduite, alors que leurs deux corps s'étaient rapprochés. Il avait un charisme rare, il était fort et déterminé, mais il savait aussi se montrer plus fin et tendre. Autant de qualités qui pouvaient réchauffer un cœur gelé comme le sien. Seulement, son ego avait de nouveau pris le dessus. Il avait commis l'erreur de penser qu'il pouvait dompter Almira comme un vulgaire chien : en lui promettant une vie confortable. Almira n'était pas un chien, c'était un loup ; solitaire et féroce, jamais aucune loi des Hommes n'avait entravé sa course. Sans le savoir, Connor avait touché l'un de ses points faibles et elle s'était instinctivement rabattue sur la défensive.