Sur la piste du Fata Morgana [Batman Beyond]

Hakodate, Hokkaido

Hakodate, l’une des villes les plus connues du Japon, offrait un paysage unique, notamment visible depuis le Mont Hakodate. Depuis cette montagne, ou, plus généralement, depuis les hauteurs du mont, on pouvait ainsi voir l’aperçu général de cette ville, et on comprenait mieux pourquoi, historiquement, Hakodate avait été le seul point de transit entre Hokkaido et le reste du Japon. C’était une ville située sur un bras de terre au milieu de la mer, donnant l’impression d’avoir un tombolo. Au carrefour du nord du Japon,  Hakodate était une ville qui s’étalait tout en longueur, au milieu des montagnes et de la mer, offrant un paysage magnifique, typiquement japonais.

Pour autant, ce n’était pas pour le paysage, ou pour les multiples onsens ornant la ville, que Barbara Gordon, dans sa tenue de Batgirl, se trouvait là. Sur un toit, elle suivait une cible qui venait justement de sortir de l’un des onsens de cette longue ville.

« Voilà Tatsu...
 -  Oui, c’est bien lui... Espérons qu’il nous mène à un gros poisson... »

De l’autre côté de la ligne, Stéphanie Brown, depuis Seikusu, suivait grâce à un satellite de WayneTech les déplacements de Barbara. La femme avait choisi de venir en personne à Hakodate afin de poursuivre leur enquête. Tatsu Guramu était le nom de leur cible. Un Yakuza de Seikusu, un wakagashira, soit l’un des proches lieutenants de l’Oyabun de ce clan, Akihiro Guramu. Guramu, c’était le nom d’un des plus puissants clans yakuzas de Seikusu, un clan qui gangrénait la ville depuis des siècles, et qui s’était étalé dans d’autres recoins du Japon, et avait même des implantations à l’international. Un clan qui profitait des Portails dimensionnels à Seikusu pour s’enrichir et pour développer un trafic d’armes et d’esclavage redoutable. Ce clan était la cible des Batgirls, et était même la raison d’être de Barbara à Seikusu, car les armes vendues par les Guramu s’étaient retrouvées jusque dans les rues de Gotham City, entre les mains d’individus peu recommandables, comme Oswald Cobblepot, ou encore Black Mask.

Barbara avait réuni toute une équipe, car elle savait que vaincre les Guramu serait difficile, tant les mafias, au Japon, étaient influentes. Actuellement, elle était sur une cible très particulière : un mystérieux contrat, un appel d’offres qui avait été diffusé au sein des principaux clans yakuzas du Japon. Les Guramu étaient alliés depuis des années avec l’une des quatre grandes familles yakuzas, le Sumiyoshi-rengō, mais l’appel d’offres ne concernait pas que le Sumiyoshi, mais aussi les trois autres grandes familles yakuzas. Une réunion secrète était prévue afin de vendre cet équipement, et Barbara avait toutes les raisons du monde de penser que cette vente n’apporterait rien de bon.

Les débuts de son enquête à Seikusu lui avaient permis d’apprendre que l’un des agents des Guramu devant faire partie de ce deal étaient Tatsu Guramu, l’un des plus fidèles lieutenants d’Akihiro. Barbara s’efforçait donc de le suivre afin de savoir où le rendez-vous avait lieu. Pour cela, elle avait piraté les deux téléphones portables de Tatsu Guramu, et avait ainsi appris qu’il voyageait à Hakodate. Sa passion pour les onsens était bien connue, mais Barbara pensait (espérait) qu’il venait rencontrer un membre du Yamaguchi, ou un autre membre du Sumiyoshi.

L’homme se rendit vers l’une de ses voitures de sport stationnées sur le parking de l’onsen, une Nissan 370Z, et roula rapidement. Barbara laissa la voiture filer, puis rejoignit sa moto, une Bat-bike, et roula rapidement.

« Il se rend le long du bord de mer...
 -  Je pense savoir où il se rend. »

Tatsu aimait les onsens. Il était donc logique qu’il se rende vers un hôtel avec des onsens au dernier étage : l’hôtel La Vista. Tout en roulant, Barbara demanda à Stéphanie de plus amples informations, ce que Spoiler pouvait tout à fait faire :

« Trouve la liste des clients... Vérifie s’il n’y a pas des...
 -  J’en ai trouvé un ! Kenji Nosuan... Il est affilié au Yamaguchi-Gumi...
 -  Et bien voilà... Je crois qu’une petite visite s’impose. »

Avec un peu de chance, elle obtiendrait davantage d’informations sur ce qui était en train de se passer.

Okay, elle lui avait échappé. Après le tunel temporel et son arrivée en 2015, Terry avait la chance de retrouver facilement la trace d'Inque. Il lui était tombé dessus après un voyage à travers l'espace et le temps qui l'avait fait débarquer au Japon et l'avait vue discuter avec un groupe de type aux faciès de coupable que McGinnis identifia sans peine comme étant des yakuzas -il avait eu son lot de jap' tatoués à rectifier à Gotham, ce qui avait foutu la vieille Gordon sur les dents quand elle avait dû nettoyer derrière avec les forces de police. Il savait les reconnaître et savait que si Inque, à cette époque inconnue, avait obtenu un rendez-vous pareil, avait abattu les bonnes cartes.

Okay, elle lui avait échappé. Batman était entré par une fenêtre qu'il avait éclaté pour l'effet de surprise et avait commencé son numéro, distribuant des mandales comme les putains des MST. Les cinq types qui protégeaient le fils de ce Kentarô Kitagiri avaient été à la fête, même si Inque les avait aidé un peu. Terry était remonté, et pas qu'un peu. Lui faire remonter le temps, salir le nom de Batman en l'impliquant dans le vol de la Fata Morgana, lui faire rater quelques sorties avec Dana... Tout ça avait suffit à le foutre en rogne. Et là, Wayne n'était pas là pour le sermonner via radio interposée. Autant dire que les yakuzas avaient été réduits à un statut de punching-ball, mais le temps que McGinnis n'en finisse, Inque avait foutu le camp. Et on ne pouvait pas traquer facilement cette foutue métamorphe.
Alors Kitagiri avait été interrogé et y avait perdu des dents. Il avait lâché le morceau quand même, entre deux glaviots sanguinolents : Inque cherchait à refiler quelque chose qui valait son pesant d'or. Elle avait voulu les bons noms à contacter et les avait obtenus. Ca faisait trois mois qu'elle travaillait à dresser une liste de contacts... Trois mois. Un décalage fou, quand on considérait que leurs sauts temporels depuis leur époque n'avaient été séparés que de deux jours. Batman avait récupéré les mêmes noms avant d'enfermer Kentarô. Il ne fallait surtout pas qu'il puisse prévenir que la chauve-souris, elle aussi, serait présente au La Vista à Hakodate, ce fameux soir du 19. Sa seule piste, ce putain de rendez-vous.
Il fallait absolument qu'il en tire quelque chose.

--- * ---

La Vista avait été soigneusement truffée de Yak' en armes. Ils se mêlaient aux clients réguliers à tous les étages, et Terry aurait put parier que la sécurité de l'hôtel mangeait dans la main de l'Oyabun du coin. Dès qu'un mouvement suspect serait repéré, les gars seraient mis en alerte et les bandits s'envoleraient comme une volée de moineaux. Batman n'était pas un frontal -même celui venu du futur, qui reconnaissait les avantages de la discrétion- et avait choisi une autre voie. Enclenchant le mode furtif de sa combinaison, Terry usa de ses griffes pour grimper discrètement le long de la facade, à la faveur des ombres jetées là par la nuit tombante. Sans trop de problème, il se retrouva sur le toit du tout dernier étage et appliqua sur la verrière de petits capteurs sonores adhésifs. Hors de question de perdre une seule miette de ce qui se dirait sous ses pieds.
Les sens en alerte, McGinnis reporta son attention. En bas, un assistant quelconque signifiait à son boss l'arrivée à l'hôtel de "la femme". Terry espéra qu'il s'agisse de celle qu'il visait lui aussi.

<Si elle refile la clé à des yakuza, les répercussions seront incalculables... Avant de la choper, je dois être sûr qu'elle a la Fata Morgana en sa possession. Il va falloir la jouer à la Wayne. Merde, l'expérience du vieux va me manquer, sur ce coup là.>, pensa t'il.

Waller avait longuement exposé les faits : Inque ne pourrait pas craquer aisément le codage de la Morgana, à plus forte raison dans une époque qui le comprendrait mal. C'était une technologie avancée, un algorithme d'une complexité affolante mais la ministre de la Défense ne se faisait pas d'illusions. La clé finirait par être décodée dans un futur plus ou moins proche. Il fallait donc que Terry parvienne à la récupérer avant que le cataclysme ne soit lancé. Si des criminels pouvaient avoir accès aux secrets les mieux gardés au monde, à leur époque comme dans le futur, la situation mondiale ne tarderait pas à dégénérer.

<Criminels ou justiciers, peu importe. Je dois rendre la Fata Morgana à qui de droit. C'est plus ou moins le pouvoir de Dieu en 2.0. Le présent et l'avenir dans la paume de la main...>

Comme Barbara pouvait s’y attendre, les Yakuzas s’étaient occupés de la sécurité de La Vista. Aisément reconnaissable au vu de ses dimensions, l’hôtel était planté face à la mer, à côté d’un parking, entouré par des petits bâtiments, des entrepôts portuaires, et un centre commercial. Depuis un toit, à proximité, Barbara observait les lieux à l’aide d’une jumelle, voyant les nombreuses voitures stationnées sur le parking en face, qui confirmaient la mainmise des Yakuzas sur la ville. En effet, ce parking était le parking privé d’une entreprise située juste en face, mais les Yakuzas n’avaient aucune difficulté à s’en offrir l’accès. Elle les voyait à l’entrée, le long du bâtiment, et même sur le toit, quelques sentinelles discrètes... Et, plus Spoiler avançait dans le décryptage des fichiers de clientèle, et plus elle constatait que les Yakuzas avaient réservé la plupart des chambres. Que le patron local soit corrompu ou non, personne ne disait non aux Yakuzas. Pas ici, pas au Japon.

« Ils sont toute une armée...
 -  Trop pour tes maigres épaules ? ironisa Stéphanie.
 -  J’ai attaqué l’Iceberg Lounge à Gotham, mon trésor. Ce n’est pas un hôtel de luxe qui va me faire peur...
 -  Et où aura lieu la réunion ?
 -  Oh, ça, si j’en crois mon expérience... Probablement au dernier étage. Tu as obtenu un plan de l’hôtel ? Il doit y avoir une salle de conférence, ou quelque chose comme ça...
 -  Je suis dessus, je suis dessus... »

Tandis que Stéphanie réfléchissait, Barbara, elle, continua à inspecter la rue.  Plusieurs voitures arrivaient, se garant dans le parking souterrain, mais elle en vit une qui s’arrêta juste devant. Une élégante berline noire. Un chauffeur en sortit, et ouvrit la portière arrière... Et Barbara manqua défaillir en voyant la personne en sortir. Il portait un long manteau noir, des lunettes de soleil rouge, des gants noirs en cuir... Il monta le perron, et Barbara serra les lèvres.

Deacon.

Avec la présence importante de Yakuzas, ainsi que celle de Deacon, le doute n’était plus permis. Quelque chose d’important allait avoir lieu en ce moment. Une rencontre d’importance entre le Yamaguchi-Gumi et le Sumiyoshi, et, si Deacon y était, ce n’était pas sans raison... L’homme figurait en tête des multiples mandats d’arrêts internationaux émis par Interpol. Le FBI le recherchait également, ainsi que la NSA, ou encore d’autres services internationaux. Le Mossad était sur sa piste depuis un attentat à Jérusalem, qui avait donné lieu à des émeutes de la part de la population arabe israélienne contre les autres, Deacon ayant fait sauter une mosquée en laissant des indices faisant penser à une attaque des forces israéliennes. C’était indéniablement un homme dangereux, un redoutable terroriste, un poseur de bombes qui cherchait à échauffer les crises identitaires. Récemment, il avait profité des vagues de réfugiés en Europe pour faire sauter plusieurs camps de réfugiés en Hongrie. Il avait également détruit une synagogue aux Pays-Bas, en cherchant à accuser les réfugiés syriens.

C’était donc un homme très dangereux, qui ne sévissait pas que sur Terre, mais qui venait de Terra. Deacon était un terroriste indépendant, affilié à Terra avec les Sons Of Men, une milice tekhane promasculine. Un homme que Barbara traquait, car elle le soupçonnait d’être lié au trafic d’armes qu’elle pistait. Il avait en effet fait affaire avec Oswald Cobblepot, pratiquant, en-dehors d’activités terroristes, un trafic d’armes assez redoutable, ses clients privilégiés étant les dictateurs et seigneurs de guerre africains, ainsi que les fondamentalistes islamiques du Moyen-Orient.

Un homme charmant, donc, qui soufflait sur les braises du chaos et du désespoir.

Et qui était un ancien scientifique tekhan aussi pervers qu’intelligent.

« Deacon est là, Stéphanie...
 -  Deacon ?! Merde ! Tu te sens prête contre lui, Barbara ? Je peux envoyer des renforts...
 -  Non... Non, ça ira. De toute façon, je viens juste pour récupérer des informations, pas vrai ?
 -  Oui, mais... Enfin, sois prudente. Ah, et... Je viens d’obtenir le plan, je te l’envoie. »

Prudente comme toujours, Barbara prit la peine de le consulter, et constata qu’il y avait effectivement une salle de conférences dans les derniers étages, pile sous les onsens. Elle mit fin à la communication, puis sortit de ses affaires son Bat-grappin, et le configura en mode « Tyrolienne ». Ensuite, elle cibla une zone à l’aide de son Bat-casque, puis tira. Deux filins partirent, un devant, allant se ficher sur sa cible, et un derrière, venant se planter dans le mur. Barbara s’élança ensuite, et, sous le couvert de la nuit, fila vers un balcon.

Elle se posa sur ce dernier. La chambre, derrière, était silencieuse, plongée dans la pénombre, et elle entreprit d’ouvrir la véranda, puis s’y immisça, et s’approcha du couloir.

Personne. La fortune lui souriait.

Barbara fila sur la gauche, s’aidant du plan de l’hôtel pour rejoindre la cage d’ascenseur. Là, elle sortit un nouveau gadget, qui se glissa dans l’interstice au milieu des battants de l’ascenseur, puis elle appuya sur un bouton... Ce qui fit que le petit appareil se détendit, des écarteurs venant pousser les portes. Barbara se faufila dans l’ouverture, s’agrippant à une échelle de maintenance, puis récupéra son écarteur, laissant la porte se refermer, et elle se mit à grimper.

Arrivant vers les derniers étages, elle se glissa dans un conduit d’aération, et avança prudemment, voyant, par les grilles d’aération, des Yakuzas, ainsi que de superbes serveuses dans des robes chinoises moulantes et partiellement transparentes. Sa route la conduisit au-dessus de la salle de conférence, où elle put voir Deacon, en discussion avec Tatsu.

« Nous n’avons pas encore récupéré l’appareil, mais notre offre a vivement intéressé la vendeuse...
 -  Pourquoi m’avoir appelé, alors ? Le SHIELD me poursuit, je ne peux pas me permettre de me promener comme ça !
 -  Nous avons... Disons que, vu les sommes qu’elle demande, on ne peut pas se permettre de simplement compter sur sa bonne foi. Elle nous a remis des documents techniques, mais... Nos scientifiques ont du mal à les comprendre.
 -  Oh... Je vois. »

Le duo se mit à marcher, quittant la salle, laissant Barbara en pleine interrogation.

*L’appareil ? Une vendeuse ? De quoi est-ce qu’ils parlent ?!*

Dans la tête de Barbara, les questions se multipliaient, mais la prudence, encore et toujours, restait de mise. Elle sortit donc un autre appareil de sa ceinture, une sorte de caméra optique, et la fit passer par la grille, s’en servant pour inspecter les environs. L’appareil ne détecta rien, et elle se laissa descendre, en ouvrant la grille. Il y avait encore, le long de la table, des documents, qu’elle commença à éplucher, les photographiant... Puis elle se redressa soudain. Il n’y avait personne de visible, mais... La combinaison de Barbara était une combinaison de WayneTech, et elle l’avertissait d’une présence, détectant des interférences électroniques.

« Qui est là ?! »

Il allait falloir entrer, parce qu'il ne serait pas très productif de se retrouver à passer inopinément à travers la verrière sur laquelle il se tenait sous couvert de camouflage optique pour aller botter des culs une fois Inque débarquée avec la Fata Morgana. Et toutes les informations ne circuleraient pas au niveau de ce putain de dernier étage : si les bains chauds qui se reflétaient sur le toit de verre et laissaient mirer les étoiles du ciel nocturnes étaient particulièrement attrayantes, ce serait ailleurs qu'auraient lieu les affaires. Terry récolta la localisation d'une grande salle de réunion un ou deux étages plus bas et opta pour l'infiltration à ce niveau, non sans se dire qu'il parviendrait de toute façon à s'aiguiller au gré des mouvements des hommes de main. De ce qu'il capta avant d'ôter de la verrière ses senseurs sonores, un des invités venait d'arriver. Un certain Deacon, dont les Yamaguchi-Gumi parlaient d'un ton qui oscillait entre l'admiration et le dégoût. Bien que le nom ne parla pas à Batman, il n'eut pas de mal à comprendre qu'il s'agissait très sûrement d'un gros poisson -qui annonçait à sa façon l'arrivée de sa propre proie.

Les capteurs ôtés et l'étage des onsens scruté depuis le haut une dernière fois, McGinnis fila. Pour économiser un peu son costume, il désactiva un temps le camouflage et erra habilement le long du mur Est du Vista à la recherche d'un point d'accès à exploiter. La fenêtre d'une suite laissée ouverte pour l'aération s'imposa à lui comme une évidence et la chauve-souris se faufila sans peine à l'intérieur de la chambre plongée dans le noir, ne marquant un arrêt que lorsque l'occupant -un vieux ramolli de la cinquantaine au ventre aussi bedonnant que son crâne était dégarni- manqua un ronflement. Une fausse alerte qui lui fit presser le pas et emprunter le couloir sous l'activation de son camouflage optique, étudiant depuis un coin de mur les mouvements des yakuzas en armes pour pouvoir les éviter sans trop de difficulté. Si il envisagea un instant d'emprunter l'escalier de service, Terry se prit finalement le luxe d'une bonne vieille virée dans les conduits étroits de la climatisation pour se faufiler jusqu'à la salle de conférence. Peu habitué à ne pas être soutenu à distance par Wayne, McGinnis manqua de se perdre une fois ou deux mais quelques petites araignées-espions balancées en éclaireur eurent tôt fait de lui donner une vision 3D assez précise pour établir une carte convaincante. Après un peu d'errance, Terry arriva à la salle à l'instant où Deacon et un autre homme en sortaient.

Son idée était simple, peut-être trop : il allait se coller dans un coin de la pièce pour y attendre Inque et la Fata Morgana, comptant sur l'effet de surprise pour la lui ravir avant de se barrer en grandes pompes. Bien sûr, il y aurait quelques gueules cassées au passage, probablement des coups de feu et une poursuite houleuse livrée par sa contemporaine... Mais, dans l'absolu, rien d'insurmontable. Une fois Inque semée, Batman pourrait disparaître et retourner à son époque. La Fata en sécurité, il trouverait bien à s'arranger pour refaire un petit saut dans le temps histoire d'aller déboîter la criminelle en fuite. Simpliste au possible, mais efficace. D'après Terry.
Ça commença à coincer quand une invitée surprise se faufila dans la salle de réunion par un chemin similaire à celui qu'il avait emprunté. Médusé, le Batman du futur vit s’arque-bouter les délicieuses courbes d'une Batgirl du passé -pour lui, du moins- afin qu'elle glisse sans bruit hors de sa conduite de climatisation.

<J'le crois pas, ça... de tous les connards en costume que je pouvais croiser, je tombe forcément sur quelqu'un de la Bat-family. J'ai vu ce costume dans la cave de Wayne... Merde, à qui il a dit qu'il était, déjà ?>

Terry savait pertinemment que ce genre de situation pouvait arriver. Bruce et Weller l'avaient averti avant son départ, insistant même sur le fait qu'il se rendait en une ville bien particulière du Japon où avaient tendance à se croiser tout ce que la création avait pondu de super-héros. Dans l'absolu, croiser une Batgirl (ou même Batman !) n'avait rien d'étonnant. Dans la pratique, c'était une autre paire de manche. Si cette fille s'emparait de la Fata pour la refiler à Wayne... Et bien, les choses tourneraient peut-être bien sinistrement pour la ligne temporelle qui en viendrait à se créer. McGinnis préféra ne pas se manifester. La gonz' était sûrement là pour les yakuzas, elle. Une fois qu'elle aurait les infos qu'elle désirait, elle dégagerait sûrement et lui laisserait le champ libre. Oui. Sûrement.

- Qui est là ?!

Tendue comme un arc, la Girl. Pas de doute, elle avait l'esprit affûté et sûrement dans le casque quelques petits gadgets qui sortaient de chez Wayne-Powers. Enfin Waynetech, à cette époque. Que faire, jouer la carte de la discrétion et la boucler en espérant que l'orage passe ? Non. Elle ne lâcherait sûrement pas le steak comme ça, le chercherait et le débusquerait ne serait-ce que par déduction logique. Se montrer ? Ca entraînerait trop de questions à gérer ensuite. Se barrer ? Hors de question, l'affaire était trop bien engagée et Inque ne tarderait pas à débarquer.

<Chier, chier !>

Comme elle juste avant, Terry entreprit de sortir du boyau d'aluminium. Agile comme un félin, il se glissa à terre après avoir ôté la grille. Néanmoins, il ne se "montra" pas vraiment à la Batgirl : par précaution, il avait gardé actif son camouflage. Comme elle, le Batman se tenait prêt à réagir au quart de tour. Tous deux avaient été bien entraînés, probablement par la même personne... A presque 40 années d'intervalle. Pour montrer patte blanche dans la limite du possible, Terry désactiva partiellement son camouflage et se matérialisa sous les yeux de la Girl en adoptant la forme de deux gants noirs flottant dans l'air.

- On est dans la même équipe, vous et moi, entama-t-il sans grande conviction. Vous savez sûrement que c'est du gros qui se pointe, comme vous savez qu'on à pas de temps à perdre à se foutre sur la gueule. Est-ce qu'on cherche à savoir respectivement ce qu'on fout là, où est-ce qu'on fait notre job ?

Si elle ne le croyait pas (et à vrai dire, Terry n'espérait pas une seconde qu'elle lui propose un highfive dans la minute en se prétendant être son amie), les choses se compliqueraient drastiquement. Les secondes filaient dramatiquement alors que dans les ascenseurs s'acheminaient les premiers convives de cette sauterie au destin terrible, précédés de peu par Deacon et son acolyte. Tous Bat que ces deux là furent, Terry les voyait mal survivre à l'averse de plomb que les yakuzas en armes feraient pleuvoir entre les murs de La Vista.
Et si tout merdait ici, Inque se ferait la belle. Si il perdait sa seule piste...

Barbara était convaincue de ne pas être seule, et, quand on était proche de Bruce Wayne, on apprenait à compter sur sa paranoïa. Visuellement, elle était seule... Mais le casque ne ressentirait pas ces interférences s’il n’y avait pas, à proximité, quelqu’un... Barbara ne voulait s’éviter aucune surprise, et ce d’autant plus qu’elle savait que les Guramu avaient depuis longtemps établi un marché avec des trafiquants d’armes tekhans. Le camouflage optique en faisait donc partie, et, quand elle entendit du bruit, elle sutque l’individu était là. Sa main tenait entre ses doigts un Batarang, et, muscles bandés, elle était prête à agir, quand elle vit des mains apparaître, comme par magie, à hauteur d’un corps humain de taille normale. Une voix jaillit alors rapidement, et elle fronça les sourcils, incapable de la reconnaître. Un homme... Qui lui disait qu’ils étaient tous les deux dans la même équipe.

« Je connais chacun des membres de mon équipe, répliqua la jeune femme, et ta voix n’en fait pas partie. Et, si tu faisais partie de la Batman Incorporated, Batman m’aurait averti de ta présence. »

La femme était méfiante, bien évidemment.

« J’ai lancé une reconnaissance vocale... »

Barbara réfléchissait vite. Quel qu’il soit, cet homme avait raison. Deacon et Tatsu étaient partis chercher les plans de cette fameuse arme que les Yakuzas devaient acheter. Quelle que soit cette arme, elle ne disait rien qui vaille à Barbara. Les Guramu étaient des criminels sans scrupule, contrairement à d’autres clans yakuza qui avaient un véritable code de conduite. Ils n’hésiteraient pas à utiliser une telle arme, ou à les vendre à des individus horribles. Mais, d’un autre côté, Batgirl ne comptait pas lancer un potentiel ennemi derrière elle.

« Aucune identification connue dans la base de données du Bat-ordinateur... Il ne fait pas partie d’Incorporated, Babes. »

Voilà qui n’était guère surprenant. Elle fronça les sourcils, le Batarang toujours là, relevant la main.

« Je vous laisse dix secondes pour me dire qui vous êtes, et ce que vous faites là...
 -  Tu ne peux pas perdre trop de temps, Barbara... Mais je suis Deacon et Tatsu grâce aux caméras de sécurité de l’hôtel. »

Barbara en avait conscience, ce qui rendait la situation encore plus tendue.

<Le vieux Wayne aurait pu m'avertir que ses boys de l'époque travaillaient en équipe... 'fin, ses girls. Vieux saligaud. Il ne faut pas que je me fasse remarquer et tout et tout, mais à côté de ça je n'ai pas la moitié des infos utiles.>

Dur d'expliquer à quelqu'un que vous n’étiez techniquement pas encore né. Les parents de Terry ne se connaissaient même pas, à cette époque précise ! Il allait falloir jouer la chose différemment, avec un peu de finesse... Ce qui faisait précisément défaut à McGinnis, qui réfléchissait à toute allure tout en gardant une oreille attentive sur leur environnement. Si on arrivait à les surprendre maintenant, tout l'effet de surprise se ferait la malle. Comme Inque, sur qui il galérerait à remettre la main si elle fuyait avec le vent et les coups de feu qui ne manqueraient pas de retentir dès qu'on verrait le bout de leurs casques pointus. Et elle qui ne le lâchait pas du regard... Il n'allait quand même pas la cogner pour se dégager ! Pour prouver sa bonne foi, ça ne serait pas la meilleure stratégie. Qu'elle fasse toutes les reconnaissances dont elle était capable, le résultat était connu d'avance pour Terry. Il laissa filer et s'amusa intérieurement du diagnostic. Amusant malgré tout de se dire qu'on existait pas.

- Vous ne croiriez pas à mon identité, celle du costume comme celle en-dessous. A défaut de dire qu'on est de la même équipe, disons qu'on est du même côté. Sinon, on se serait déjà mis sur la gueule, ne serait-ce que pour clore cette discussion qui nous fait perdre un temps très, très précieux. Vo-

Il s'arrêta net. Son costume amplifiait les sons, entre autres choses. Suffisamment pour capter la conversation sur le palier, qui lui indiqua qu'au moins deux types allaient passer la porte. Sûrement talonnés par d'autres gus chargés de la surveillance. D'une pensée, Terry camoufla à nouveau ses mains pour disparaître entièrement même si Batgirl risquait de mal le prendre.

- Entrez votre cul dans une aération ou quelque chose, mais vite, ils sont sur le pas de la porte ! Vite !

* _  * _ *

Alors qu'il posait la main sur la poignée de porte de la salle de réunion, Tatsu s'arrêta. Peut-être aurait-il pu entendre une voix monter de la pièce normalement vide, si son portable ne diffusait pas depuis dix bonnes secondes le dernier hit de J-pop à la mode qu'il avait installé en guise de sonnerie. Deacon soupira d'agacement pendant que les gorilles dans leur sillage se gardèrent bien de laisser paraître un avis sur les goûts de leur boss. Impassibles, ils restèrent stoïques tandis que Tatsu entamait une discussion qui devait tenir en quelques courts mots. Un instant plus tard, le clapet de son téléphone claqua sèchement en se refermant et il posa les yeux sur le terroriste.

- La femme arrive, avec le colis. Sa voiture vient d'entrer au parking, elle sera ici d'ici cinq minutes. Nous pouvons donc commencer à discuter sérieusement, Deacon-san.

Et il ouvrit la porte.

Difficile de trouver dans des bases de données quelqu’un qui n’existait pas encore... Mais ça, Barbara ne pouvait pas le savoir, et elle optait plutôt pour un agent issu d’une quelconque organisation secrète cherchant à obtenir l’identité de la Bat-family... Et la liste ne manquait pas. CADMUS, ARGUS, le SHIELD, Spyral... Il y avait une telle liste d’organisations gouvernementales ou paragouvernementales liées aux activités paranormales que Batgirl n’avait que l’embarras du choix. Elle était donc évidemment bien loin de se douter que l’homme invisible devant elle venait d’un futur éventuel, et, pour l’heure, sa vigilance était forte. Il n’était pas difficile de savoir pourquoi. Le seul moment où elle s’était relâchée, elle avait fini en fauteuil roulant pendant des années, et son père avait été capturé et torturé par Le Joker. La situation aboutissait sur une sorte d’impasse entre la méfiance de Batgirl et l’incapacité de Terry à pouvoir lui expliquer d’où il venait... Quand l’élément déclencheur éclata, non seulement du côté de Terry, mais aussi du côté de son oreillette.

« Deacon revient ! Barbara, fous le camp !! »

Deacon était un terroriste, quelqu’un qu’elle aurait pu arrêter ici et maintenant... Mais elle devait aussi savoir pour qui Deacon travaillait, et ce qui se passait ici. Se ruer comme une idiote sur le premier nom de sa liste de suspects ne serait guère malin, et Terry lui glissa de se planquer. Batgirl fronça les sourcils, et tendit sa Bat-griffe vers la gaine d’aération par laquelle elle était venue. Cependant, juste avant de partir, elle fixa l’homme (du moins, elle pensait le fixer, à défaut de pouvoir le voir), et lâcha une ultime phrase :

« Ce n’est pas encore terminé. »

Elle s’envola ensuite, et fila dans la gaine, puis resta là, enclenchant une vision spéciale de son Bat-casque, lui permettant de voir à travers les murs, et de repérer les sources de chaleur. La porte s’ouvrit donc sur Tatsu et sur Deacon.

« C’est une technologie impressionnante, lâchait Deacon quand la porte s’ouvrit.
 -  C’est bien pour ça qu’elle la vend à un prix très excessif...
 -  Et elle a raison. L’information a toujours été le nerf de la guerre. Je suis bien placé pour le savoir. »

Le duo marchait lentement. De quoi pouvait-il bien parler ? Et qui était donc ce mystérieux type invisible ? Tatsu alla s’asseoir, tout en pianotant sur son portable, tandis que Deacon, restant debout, regardait autour de lui.

« Vous savez, je ne me déplace pas jusqu’ici pour rien... Mais nous avons besoin d’informations sur tous ces gens en costume. C’est une véritable guerre secrète qui est en train de se mener, dont votre peuple, comme le mien, n’a pas conscience. Et, honnêtement, on ne saurait le leur reprocher. Dans cette société comme dans la mienne, l’information est parasitée. Une nouvelle forme de censure, consistant en une surabondance d’informations, en mettant au même niveau toutes les données. Savoir qu’une star de cinéma a couché avec une autre, au détriment de sa femme et de ses trois enfants, fait encore plus de bruit qu’un massacre en Centrafrique.
 -  Que voulez-vous, les gens ne pensent qu’à ce qui les entoure de près... Et puis, la majorité des individus ne savent pas où situer l’Afrique sur une carte... Et puis, qu’est-ce qu’on en a à foutre, honnêtement, des Centrafricains ?
 -  Précisément. Un monde sans tous ces justiciers était un monde plus stable. Les États sont faciles à contrôler et à anticiper. Il suffit de commettre un attentat chez eux pour leur faire perdre la raison. Mais, des solitaires, des individuels... Je les redoute encore plus que ce SHIELD monolithique qui ne parvient même plus à trouver le bout de sa propre queue. Voilà pourquoi je veux ces données, et pourquoi je sais pertinemment que nous ne sommes pas les seuls sur le coup.
 -  Oui, il y a d’autres clans... Ils ne devraient plus tarder, d’ailleurs.
 -  Parfait... Nous aurons un cadeau à leur fournir, alors.
 -  Hum ? »

Deacon tourna sa tête vers l’endroit où se trouvait Batman Beyond, et un sourire mesquin éclaira ses lèvres blanches. L’un de ses doigts vint tapoter ses lunettes rouges.

« Ce sont des lunettes de vision tekhane... Ton système de camouflage est efficace, mais je te vois... Coucou. »

Une onde électromagnétique jaillit alors des lunettes, et éteignit pendant quelques secondes les ampoules, tout en brouillant le système électronique de Batgirl, qui grogna. Il en alla de même pour l’armure de Terry, où tous les systèmes se retrouvèrent inefficaces.

« La technologie Wayne...
 -  Putain, c’est qui, ce mec ?
 -  Il n’est pas seul... Il y en a un autre, dans le conduit... »

Tatsu grogna, et avait dégainé son pistolet. Deacon leva alors la main, et actionna un aimant. Le conduit de ventilation se mit à vaciller, puis une plaque s’arracha, et Batgirl tomba, rebondissant sur la table, avant de tomber à côté de l’autre mec, tous ses systèmes en berne.

« Batgirl ? »

Barbara secoua la tête, et, repassant en visée normale, elle lança son Batarang, et dévia le pistolet de l’homme, qui tira dans le mur. Elle regarda ensuite l’autre Batman, et, consciente que l’urgence s’imposait sur les questions, le harangua :

« Gare à Deacon ! »

L’homme disposait clairement de technologies tekhanes de pointe... Ce qui ne faisait que le rendre encore plus dangereux.