Lorsqu'elle réalise que le jeune homme est en train de fondre en larme, c'est déjà trop tard ; celui-ci s'éloigne déjà vers l'arrière du véhicule. Le sourire d'April se mue en une expression stupéfaite.
"Hey, le prend pas comme ça, c'était juste..."
Elle se redresse et fait quelques pas ;
"Non mais... hé, c'est juste que d'habitude les gens n'agissent pas ainsi !"
Elle hausse les épaules en essayant de sourire nonchalamment -mais le cœur n'y est pas, et ça doit se voir.
"Désolée va, pleure pas comme ça, on va -EH !!"
April se jette directement en direction de Ludya alors qu'il s'élance à l'extérieur, pour le rattraper. Trop tard ; elle le rate d'une bonne seconde, se rattrape au métal froid des portes de la fourgonnette. Le vent froid lui fouette le visage, et elle passe la tête par l'ouverture en mettant sa main en visière pour se protéger des flocons qui viennent s'écraser sur son visage. L'abyssian file en travers la neige, à toute vitesse.
"REVIEEEENS !!"
Putain, mais c'est pas possible ?! Il est complètement instable ce gamin ! Elle fait volte face et se précipite vers le sac de Ludya qui était resté posé au sol, l'attrape par la bretelle et le jette sur son - "HHHHNNNGG ?!". Qu'est-ce que c'est que ça ?! Le sac doit peser une bonne vingtaine de kilos, c'est à peine si elle arrive à le soulever. Elle pousse une grognement de frustration et se décide à abandonner le paquetage -tout comme elle abandonne son écharpe trempée- pour se lancer à la poursuite du fugueur.
Elle s'élance de toutes ses forces et bataille contre le vent qui tente de la repousser, aveuglée par la neige. C'est à peine si elle le voit, dans la nuit, à travers les flocons de plus en plus denses et, elle a beau courir de toute son énergie, pousser de toute sa volonté sur ses jambes trop lourdes, elle ne parvient plus à gagner de terrain sur lui. Elle craint même d'en perdre, tant sa gorges la brule et tout son corps s'engourdit.
"Lud-...LUUUDYAAAAAAAA !!"
Ça n'est pas un cri très puissant, mais elle est certaine qu'il l'a entendu -au moins un peu. Il ne se retourne pas. Elle s'efforce de tenir le rythme ; elle ne rattrapera pas, d'accord, mais au moins... elle ne doit pas le perdre. Le suivre jusqu'à... où qu'il aille. Elle ne veut pas appeler ses supérieur pour leur dire qu'elle l'a perdu. Elle a déjà trop fait d'erreurs ces derniers temps. Non, il faut qu'elle règle cette histoire elle même, qu'elle leur montre qu'elle est capable de gérer la situation et de réparer ses erreurs... Elle commence à entendre le bruit des voitures ; une route ? Ludya la devance ; qu'il bifurque par la gauche ou la droite, April pourra gagner du terrain en coupant. Mais il ne bifurque pas. Il s'élance directement entre les voitures. April aurait certainement ressenti les effets de l'angoisse, s'il y avait encore une quelconque place pour des émotions parasites dans son organisme. Le sort de l'abyssian se réduit dans l'esprit de sa poursuivante à une bref calcul : si il a pu passer, il n'a pas ou peu ralenti. Dans tous les cas, il faut continuer à courir.
Elle arrive devant la quatre bande, ralentit le pas. Sa vue est trouble ; elle cligne des yeux, hébétée, tente de suivre le mouvement des véhicule et d'anticiper... Les deux premières voies lui offrent une ouverture ; elle bondit par dessus la barrière, effrayée par sa propre témérité, et sprint à travers les deux premières voies. Une voiture vrombit tout près d'elle et manque de la faucher. Elle gémit de terreur, se jette désespérément en avant entre les monstres de fer rugissant qui tentent de lui barrer la route. Un poids lourd fond sur elle dans un crissement de pneus, prêt à l'écraser ; elle plonge pour se sauver, mais le pare-choc lui attrape les jambes et l’envoi tourbillonner par dessus la barrière, et elle s'écrase dans la neige pour y faire quelques tonneaux désordonnés. L'adrénaline la remet sur pieds, mais une douleur impérieuse lui fait aussi plier le genou ; sa cuisse droite, meurtrie, cède sous son poids et la fait tomber sur le flan.
Elle geint de douleur, se laisse rouler sur le dos ; elle réalise lentement qu'elle est hors de danger. Sa panique se calmant, ses forces l'abandonnent aussi sûrement que l'eau quitte un récipient troué. Impuissante à faire le moindre mouvement, elle se contente de fermer les yeux pour les protéger de la neige qui se dépose grain par grain sur son visage. Elle n'a pas la moindre idée de l'endroit où elle se trouve, ni de l'endroit où se trouve Ludya. Elle a froid, elle a mal, et n'a plus la volonté d'effectuer le moindre mouvement. Ses doigts anesthésié par le froid reposent, comme morts, hors de ses manches où la neige s'est déposée. Elle commence à prendre conscience que sa jambe blessée n'a plus de botte.
C'est son tour de pleurer, péniblement. Dans la poche de son manteau, son téléphone portable vibre sans même qu'elle s'en aperçoive.