Chapitre 3. La fin de l'innocence
«
Merci... »
Un homme d'une trentaine d'années se tenait assit dans une carriole tirée par deux chevaux. Juste derrière lui était allongée une jeune fille d'à peine neuf ans. Kotaro, l'homme, avait aidé la fille à fuguer après avoir découvert l'horrible secret qui la tiraillait depuis quelques jours. Elle était la fille de deux êtres morts remmenés à la vie par un nécromancien, et avait été élevée comme une fille normale. Jusqu'à ce qu'elle apprenne son fardeau. Quand elle lui en avait parlé, il ne l'avait pas crue au début. Puis il s'était souvenu que Harumi ne pouvait pas donner naissance, et qu'il était impossible que la jeune fille se fasse des films d'une horreur telle. Il avait été dégoûté par l'attitude du couple de créer ainsi un enfant. Il avait eu beaucoup de peines pour la jeune Magnolia et quand elle lui avait demandé de l'emmener avec lui, il n'avait pas pu refuser. Ce qu'il faisait là n'était pas légal ni moral, mais c'était certainement le meilleur choix pour elle. Le cadre offert par ses créateurs était malsain, et il fallait qu'il l'emmène ailleurs pour qu'elle puisse vivre hors de ce cauchemar ambulant.
«
Pourquoi... Pourquoi... » Répétait-elle en boucle, au bord du délire.
D'après ses parents, elle avait eu une grosse fièvre, et était certainement en train de faire une rechute. Elle était emmitouflée dans une couverture. Il faisait vraiment froid, mais il n'y avait rien d'autre. Il avait aussi prévu quelques provisions pour pouvoir tenir au moins un mois sans avoir à se rapprocher d'un village. Ils ne pourraient pas aller bien loin, mais ils devaient trouver un endroit pour s'installer. Kotaro ne pouvait pas décemment retourner à Ashnard en ayant aidé une jeune fille à fuguer, surtout avec elle. Et il était hors de question qu'il la livre à n'importe qui. Elle avait déjà trop vécu d'ignominies dans sa courte vie pour lui faire ça. Apprendre qu'on est une fille de deux morts... Rien que d'y penser Kotaro tremblait. La pauvre était totalement abattue, et il doutait qu'elle puisse se relever un jour. Il lui fallait un coup de fouet, quelque chose qu'elle aurait adoré voir. Son choix se porta assez rapidement sur Tekhos. L'une des villes les plus dangereuses de Terra pour les hommes. Il était probablement suicidaire d'envisager d'y aller. Mais pour la petite, il était prêt à le faire. Après tout, des hommes vivent bien à Tekhos et bien qu'ils soient pour la plupart des criminels, ils restent en vie. Il pensait ne pas risquer grand chose, excepté son honneur, en s'y rendant. Et si ça permettait de remettre un sourire sur ce visage, c'était un moindre mal.
Sauf que partir pour Tekhos ne s'improvise pas. Ils pourraient l'atteindre en un mois, en épuisant les chevaux, mais c'était sans compter les attaques des bêtes sauvages, les accidents, et toutes les conséquences. Il fallait bien se préparer pour ce périple. Lui qui n'avait pas beaucoup voyagé dans sa vie, se nourrissant de connaissances et enseignant son savoir à des enfants en tout genre, allait découvrir la capitale de la technologie et de la misandrie. Le sort voulut qu'ils croisèrent une procession de carrioles marchandes allant tout droit vers leur destination. Négociant un paiement, il réussit à faire en sorte qu'ils puissent les accompagner. La petite était endormie, et ne savait encore rien de ce qui l'attendait. Il voulait lui faire la surprise. Quand elle se réveilla, elle eut la surprise de voir d'autres personnes avec Kotaro.
«
Tu es finalement réveillée ?-
Où... Où sommes-nous ? Pourquoi il y a des gens ?-
Tu es bien curieuse. C'est une surprise ma petite.-
Une surprise... » répéta la jeune fille, dubitative.
Elle s'allongea à nouveau sur le bois dur du chariot et referma les yeux, ceux-ci ayant beaucoup pleurés ces derniers jours. Kotaro jeta un coup d'œil vers elle et décida de ne pas insister. Elle saurait bien assez tôt leur destination, qui n'était qu'une halte pour les marchands. Un d'eux lui avait demandé pourquoi il voulait aller jusqu'à Tekhos, et l'homme avait répondu vouloir y aller pour remonter le moral de cette fille qu'il avait fait passer pour une orpheline, ce qui techniquement n'était pas un mensonge. Son interlocuteur n'avait pas insisté.
Cela faisait trois jours que Magnolia et Kotaro avaient rejoint les marchands, et celui-ci commençait à discuter avec eux de choses et d'autres. Ils partageaient leurs savoirs et leurs expériences. Il apprit ainsi que les marchands allaient laisser les femmes négocier avec les tekhanes, et se tiendraient à l'écart de la ville, par mesure de sécurité. Certains objets de leurs marchandises étant précieux, ils n'allaient pas risquer de se les faire briser quand elles les contrôleraient tout simplement parce que ce sont des hommes. Et de toute façon, ils n'étaient pas les bienvenus par ici. Cela l'inquiéta un peu, mais il n'allait pas s'arrêter à mi-chemin. Il avait trouvé une escorte, et étaient déjà en route vers cette ville. Il était dorénavant trop tard pour reculer. Et de toute façon, ce n'était pas son genre de laisser une fille pleurer. Il préférait la voir sourire et rire aux éclats.
Sauf qu'elle restait allongée dans le chariot, se levant seulement pour manger et faire ses besoins. À chaque fois qu'il la voyait, elle avait les larmes aux yeux, comme si elle venait de pleurer. Mais il ne l'avait encore jamais surprise à verser une seule larme depuis qu'ils n'étaient plus seuls tous les deux. Dans un certain sens, il admirait sa force car se cacher ainsi pour épargner les autres de sa tristesse n'était pas donné à tout le monde, surtout à son age. Ce n'était pas des larmes d'enfants, qui interviennent pour qu'on le remarque, mais des larmes d'adultes. Elle avait grandi trop vite. Il laissa un marchand conduire son chariot pendant qu'il s'installa à côté d'elle, allongée comme à son habitude dans sa couverture.
«
Tu vas un peu mieux ? »
Elle la regarda, les yeux embués. Et il trouva la réponse dans son regard. Elle n'avait pas besoin de dire quoi que ce soit d'autre, la tristesse et la détresse se lisaient en elle comme dans un livre ouvert. Elle se força à répondre.
«
Un peu mieux, merci... »
Elle mentait, mais elle le faisait courageusement. Elle refusait que les autres la voient ainsi, même si c'était des efforts vains. Elle avait des longs moments de passage à vide où il semblait qu'elle était perdue dans ses pensées. Et quelques minutes plus tard, elle se repliait dans sa couette et se cachait la tête, sanglotant. C'était certainement à ces moments qu'elle versait ses larmes de douleur et d'incompréhension.
«
Ecoute... Tu ne peux pas rester toute ta vie comme ça. Il va falloir que tu remontes la pente un jour. Même si ce n'est pas encore le moment. Quoi que tu puisses penser de tout ça, de toi et de quoi que ce soit, tu restes Magnolia, une petite fille qui pleure.-
Je pleure pas...-
Non, c'est vrai, excuse-moi. Mais tu es triste et ça, tu en as le droit. Tu as aussi beaucoup de questions. Et il n'y a qu'avec le temps que tu trouveras des réponses. Je sais que c'est difficile pour toi, mais il va falloir que tu sois patiente. »
Elle ne répondit pas et regarda le vide. Kotaro abandonna. C'était encore trop tôt pour elle. Il lui signala juste une chose supplémentaire.
«
Tu sais où nous allons ? On va à Tekhos, la ville que tu voulais visiter. »
Un «
Ah » dubitatif fut la seule réponse qu'il obtint. Au moins, cette fois-ci, il avait eu une réponse.
Plusieurs jours passèrent encore où rien de significatif ne se déroula. Le voyage se déroulait tranquillement, sans heurts particuliers. Trois jours avant d'arriver à destination, la jeune fille se leva d'elle-même, chose qu'elle n'avait pas fait depuis sa fugue, et vint enlacer le dos de Kotaro, enfouissant sa tête sur son épaule. Lui ne bougea pas, ne voulant pas la faire fuir. Elle devait aller à son rythme. Mais il ne pouvait pas s'empêcher de sourire.
«
Merci... » lui murmura-t-elle.
Il ne répondit pas. Il n'y avait rien à répondre. Durant les jours qui suivirent, elle reprit des forces, même si elle passait le plus clair de son temps assise derrière Kotaro à réfléchir. Elle ne le quittait pas d'une semelle, comme si c'était la dernière personne en qui il avait confiance. C'était d'ailleurs le seul à qui elle adressait la parole. Pas pour parler de ce qu'il s'était passé. Ils s'échangeaient des banalités, mais c'était un bon début.
Puis ils arrivèrent à Tekhos, capitale de la technologie et aussi ville la plus puissante de Terra. La jeune fille était impressionnée par tant de grandeur et de démesure. Elle pouvait voir les bâtiments toucher le ciel tellement ils étaient hauts. Comme il était prévu, les hommes du convoi installèrent leur bivouac à un bon kilomètre de la ville pendant que les marchandes, accompagnées de Magnolia et Kotaro, se dirigèrent vers les portes. Les tekhanes inspectèrent la marchandise et regardèrent l'homme d'un œil mauvais, mais ne dirent rien et ils purent passer sans problèmes. C'est à l'intérieur que les choses furent un peu plus compliquées pour lui. Le duo se sépara de leurs compagnes de voyage et entreprirent de visiter la ville de fond en comble. Magnolia observait, comme si elle n'était pas concernée par ce qu'il se passait autour d'elle. Tout était trop irréel. Cette technologie, toutes ces choses qu'elle ne connaissait pas, et qui semblaient si essentielles pour les tekhanes, c'était étrange. Cela sonnait un peu faux, un peu enrobé dans un papier doré. Et elle entendait des remarques désobligeantes. Pas contre elle, mais contre celui qui lui tenait la main et qui semblait de plus en plus tendu.
«
Regardez cet homme. Qu'est-ce qu'il fait ici ?-
Il est seul avec une jeune fille ! Quel dégoûtant !-
Un pédophile ? Mais que fait la police ?-
La pauvre... Qui sait ce qu'il va lui faire ? »
Et bien d'autres. Comme en écho à ces remarques, Kotaro lui serrait la main de plus en plus fort, au point qu'elle finit par avoir mal.
«
Tu me fais mal...-
Excuse-moi, lui répondit-il en la lâchant immédiatement.
Je suis un peu nerveux. »
La jeune fille massa sa main qui était devenue un peu rouge.
«
Et voilà ! Il lui a fait mal à cette petite ! Ces hommes sont d'une indélicatesse...-
J'en ai marre. Il faut que je m'en aille, sinon je vais péter un plomb.-
D'a... D'accord. »
Elle n'osa même pas protester. Elle le comprenait un peu. Ils firent donc demi-tour.
«
Elle est où déjà la porte d'entrée ?-
Euh... Par là ? répondit la jeune fille sans aucune certitude.
-
On va essayer. »
Ils s'engagèrent donc totalement au hasard dans les rues de la capitale, jusqu'à être totalement perdus. Il y avait de moins en moins de monde dans les rues qu'ils prenaient, et ils finirent par se retrouver seuls. Puis, sans qu'elle comprenne comment ni pourquoi, elle se sentit s'élever. Une personne l'avait prise de dos et la serrait contre elle. Magnolia essayait de se débattre, mais celle qui la tenait avait une poigne trop puissante.
«
Reste tranquille petite, fit une voix de femme alors que la jeune fille était en train de hurler à l'aide.
-
Magnolia ? » fit Kotaro en se retournant.
C'est alors que la jeune fille vit trois femmes musclées entourer l'homme.
«
Qu'est-ce que tu croyais faire avec elle, hein ?-
Répond, mâle !-
Quoi, t'as perdu ta langue ? »
Une des femmes commença à lui donner un coup à l'épaule, dans le but de le déstabiliser et de le bousculer.
«
Je...-
Ta gueule ! Vous les hommes, vous mentez tout le temps !-
Mais... »
Un coup de poing dans le ventre eut raison de sa tentative de réponse. Il se plia en deux de douleur, et la jeune fille commença à crier à l'aide et à gigoter pour essayer de se libérer.
«
Mais tu vas arrêter oui ? »
Elle sentit un coup à la tête, puis ce fut le trou noir.
Elle se réveilla dans un lit. Se demandant où elle se trouvait, elle se redressa et regarda autour d'elle. Il y avait plein d'objets qui lui étaient totalement inconnus, et d'autres personnes allongées dans le même type de lit qu'elle. Et elle avait un mal de crâne lancinant. Magnolia se leva et se dirigea vers la porte. Avant même qu'elle puisse l'atteindre, celle-ci s'ouvrit et la jeune fille put voir une femme en blouse blanche. Elle devait avoir dans la trentaine d'années, et la regardait avec curiosité.
«
Ah, notre petite inconnue s'est réveillée. Pas trop mal à la tête j'espère ?-
Euh...-
Ne t'inquiète surtout pas ! continua-t-elle sans même lui laisser le temps de répondre.
Ce n'est qu'une vilaine bosse. Demain, tu ne la sentiras même plus. »
La jeune fille passa une main sur sa tête et eut un sursaut de douleur.
«
N'y touche pas, ça va se calmer tout seul.-
Euh... Excusez-moi...-
Tu as une question ? Ça tombe bien, moi aussi. Vas-y.-
Ou est Kotaro ?-
Kotaro ? Qui c'est ? Ta petite amie ?-
Non, c'est l'homme qui m'accompagnait.-
L'homme ? Non, je vois pas du tout qui c'est. Et c'est pas important. Tu sais où est ta maman ? »
La petite fille eut beau insister sur Kotaro, mais elle n'eut aucune information. En revanche, l'infirmière lui posa une batterie de questions visant à déterminer qui elle était et, à l'instar de Magnolia, elle n'eut strictement aucune réponse intéressante. Elle en déduit que ce "Kotaro" devait être l'homme qui l'avait élevée. Et il était urgent pour elle qu'elle soit éduquée au plus vite par une femme. Sauf que la petite insistait pour savoir ce qu'il était arrivé à l'homme, si bien qu'elle demandât à l'accueil de l'hôpital si un homme avait récemment été retrouvé avec une petite fille. Elle retourna ensuite la voir, l'air désolé.
«
Écoute... Je...-
Il est où ? demanda-t-elle une dernière fois, au bord des larmes.
-
Je suis désolée...-
Vous l'avez trouvé hein ?-
Il est mort. »
Magnolia resta quelques secondes silencieuse, à fixer la femme médecin, avant de fondre en larmes. Cette dernière eut beau tout tenter, elle ne pouvait pas calmer le chagrin de la jeune fille et la laissa donc seule avec ses sentiments. Pour Magnolia, le monde s'effondrait une seconde fois autour d'elle. Désormais, elle ne pouvait avoir confiance en plus personne, et elle se sentait condamnée à être seule pour le reste de sa vie. Elle commença à se haïr, ainsi que cette vie qui courrait dans ses veines, vie issue de magie et de nécromancie. Elle voulait en finir. Ne plus vivre, ne plus souffrir. Qu'on la laisse tranquille.
Sauf qu'elle restait là, assise à pleurer toutes les larmes de son corps.
Combien de temps était-elle restée ainsi ? Elle n'aurait pas pu répondre à cette question, elle sait juste que ça s'arrêta lorsqu'une autre femme vint s'asseoir à coté d'elle et lui parler.
«
Bonjour. Tu t'appelles comment ? »
La petite leva son visage éploré et l'observa. Elle avait un sourire compatissant et assez engageant, ce qui l'incita à répondre malgré tout ce qu'elle ressentait. Elle rebaissa la tête, réprima un sanglot et lui fit :
«
Magnolia...-
Magnolia ? C'est un très joli prénom. Moi c'est Chizuka. Ecoute, j'ai... J'ai entendu parler de ce qu'il t'est arrivé. Si tu as besoin d'aide, quoi que ce soit, tu peux me le demander d'accord ?-
Hummm...-
Tu es orpheline, c'est ça ? Je garde d'autres filles qui n'ont plus de parents. Si tu veux, tu peux rester avec moi. Tu es d'accord ?-
Hummm...-
Si tu veux, reste à l'hôpital cette nuit. Avec la bosse que tu as, ils ne refuseront pas de te garder. Comme ça, tu auras le temps de réfléchir.-
Hummm... »
La femme lui ébourifa les cheveux, se leva et la laissa seule une nouvelle fois. La jeune fille n'avait presque pas écouté. Elle avait juste compris qu'elle l'accueillait chez elle, et qu'elle avait d'autres enfants. Pourrait-elle démarrer ainsi une nouvelle vie ? Cela ne coûtait rien d'essayer après tout... Et puis elle n'avait pas d'autres choix. Elle était seule dans une ville qu'elle ne connaissait pas, et sa passion pour Teckos avait fortement diminué depuis qu'elle s'y trouvait. Les personnes étaient comme des humaines normales, et il n'y avait aucun homme. Même celui qui l'avait accompagnée était mort tragiquement.
Y aller ? Ne pas y aller ? Essayer une nouvelle vie ou abandonner totalement ? La jeune fille ne pouvait pas choisir définitivement. Son cœur était à vif et il lui faudrait un certain temps avant de pouvoir y réfléchir totalement. Elle décida juste de laisser passer ce temps, quitte à accepter la proposition de la femme temporairement. Après tout, elle pourrait toujours faire sa décision là-bas. Elle s'allongea sur le lit, essuya les larmes qui perlaient encore sur son visage et regarda le plafond pendant un temps indéterminé, avant qu'une infirmière lui apporte un plateau repas. Après avoir mangé lentement, elle s'allongea de nouveau, et un sommeil réparateur vint l'envelopper.
«
Magnolia ? »
L'intéressée ouvrit difficilement un œil et aperçut la femme qui lui avait proposé de l'héberger.
«
Je suis désolée de te déranger, je peux te parler deux minutes ? »
La jeune fille ouvrit le second œil et s'assit sur le lit. Elle avait espéré pendant une fraction de secondes avoir cauchemardé, que tout soit une gigantesque plaisanterie, que ses parents et Kotaro l'attendent avec un énorme paquet cadeau... Mais elle revint vite à la dure réalité et sentit son cœur se fendre à nouveau.
«
Comme je te disais, j'ai d'autres enfants que je garde. Ils ont été abandonnés ou sont orphelins. Je ne tiens pas à ce que tu me dises ce qui t'est arrivé tout de suite, tu as le temps ne t'inquiète pas. Je t'accueillerai quoi qu'il arrive. Tu es une petite fille qui a besoin de l'amour d'une mère et c'est tout ce qui compte à mes yeux. »
La petite fille la regarda longuement. Pouvait-elle vraiment vivre tranquillement dans cette ville, alors qu'elle n'avait strictement aucune attache ? Chizuka semblait penser que oui, et cela incita Magnolia à faire de même. Ou du moins à l'espérer. Elle se leva et se pressa contre celle qui allait devenir sa mère adoptive, tout en lui murmurant un «
Merci » reconnaissant.
Elle suivit donc cette femme et sortirent toutes deux de l'hôpital. Elles montèrent dans une voiture, ce qui était une grande première pour la jeune fille qui lui posa quelques questions, auxquelles Chizuka se fit un plaisir de répondre. Cette dernière habitait dans un des nombreux gratte-ciels de la ville, et il fallait prendre l'ascenseur pour monter jusqu'au 17
è étage. Elle sonna une fois à la porte d'entrée et n'attendit pas qu'on lui ouvre, entrant immédiatement. À peine quelques secondes plus tard, une autre femme sensiblement du même age fit :
«
Tu es de retour ma chérie.-
Oui, et j'ai ramené la jeune fille dont je t'ai parlée, répondit la concernée.
Viens, ne sois pas timide. »
Magnolia s'avança donc, et fit connaissance de sa seconde mère adoptive, Itoyo. Elle paraissait gentille aussi, mais un peu plus sèche. Puis elle rencontra les autres enfants et là, la fille sentit bien le choc des cultures. Masami, l'ainée qui devait avoir à peine quelques années de plus qu'elle, l'accueillit chaudement avant de lui poser plusieurs questions dont elle peinait à saisir le sens. La cadette, qui avait 7 ans, lui fit un petit signe de la main avant d'aller se cacher, timide.
«
Ne t'inquiète pas, elle est toujours comme ça avec les inconnues. Ça ira mieux demain. »
La petite fille ne se formalisa pas devant ce caractère. De toute façon, elle n'avait pas vraiment envie de se sociabiliser pour le moment : la blessure était encore trop présente dans son cœur. Elle continua à parler avec Masami. Il s'agissait presque d'une discussion à sens unique, car Magnolia ne répondait pas à la majorité des questions de l'autre fille. L'après-midi passa très vite, entre moments creux qu'elle passait à se morfondre sur son sort et discussions avec les autres membres de la famille. Lorsque la nuit vint et qu'elle fut enfin seule dans son lit, elle pleura doucement. Elle avait beau chercher un sens à sa vie, elle n'en trouvait pas. Tout ce qu'il se passait autour d'elle semblait irréel, et n'appartenant pas à ses habitudes de vie. Les filles étaient bien gentilles, et la troisième fille qui avait à peine deux ans était mignonne, mais ce n'était pas ce qu'elle avait vécu pendant 9 ans. Et il y avait aussi le fait qu'elle n'était pas comme elles. Magnolia se sentait comme la seule représentante de sa race, condamnée à la solitude éternelle.
Elle passa trois jours ainsi, et trois nuits à pleurer. Et elle avait pris sa décision : elle ne pouvait pas vivre comme ça. Elle n'avait plus aucune attache avec ce monde, plus rien qui l'incitait à continuer à vivre et elle n'en pouvait plus de souffrir quotidiennement, de ressasser son passé jour après jour sans voir aucune amélioration à son futur. Une nuit alors que tout le monde dormait, elle sortit discrètement de la maison et prit l'ascenseur l'amenant sur le toit. Le vent soufflait fort, mais elle ne s'en préoccupait pas. Elle regardait fixement le rebord pendant qu'elle s'en approchait. Elle voulait sauter, en finir avec la vie une bonne fois pour toutes. Et que ses souffrances se terminent enfin, qu'elle puisse être en paix pour l'éternité. Elle sauta.
Voulut sauter. Car au moment où elle vit le vide vertigineux juste en dessous d'elle, Magnolia fut prise d'une panique soudaine et recula précipitamment, tombant sur les fesses à une dizaine de mètres du rebord. Elle n'avait jamais eu aussi peur de sa vie. La peur de mourir mêlé à l'instinct de survie de la petite fille avait été détonnant. Et elle se mit à pleurer bruyamment pour la première fois depuis bien longtemps, et à hurler son désespoir au monde entier. Pourquoi donc la vie avait été aussi cruelle avec elle ? Pourquoi devait-elle avoir une telle malédiction sur sa tête ? Elle resta longtemps ainsi, posant ses questions à tout le monde et à personne à la fois et à laisser parler sa colère. Au bout d'une heure, eut-elle l'impression, elle se reprit et laissa couler ses larmes, sanglotant comme elle avait pris l'habitude de faire. Et un visage lui vint à l'esprit, un seul. Celui de Kotaro, celui qui l'avait aidée, le seul qui avait été totalement sincère avec lui. Sa mère, son père... Tous les autres l'avaient trahie, pas lui. Elle repensa à sa mort, quand ils étaient dans cette ruelle sombre, à cette attaque surprise, et à son réveil. Elle se souvint de certains de ses mots.
«
Un jour, tu auras la vie que tu désires. Si tu le désires vraiment. Il faut du courage pour faire ce que l'on veut dans ce monde. Et je sais que tu en as, du courage. Tu n'en manques pas. C'est pour ça qu'il faut que tu étudies, pour savoir ce que tu veux vraiment faire pour plus tard.-
Tu sais, tu es encore loin de la vérité. Il faut que tu persévères. Je n'aime pas te voir faire cette tête, on dirait une petite peste. Alors garde ce si beau sourire que tu as quand tu es heureuse, et les autres le seront tout autant que toi, tu verras. Et tout sera plus facile avec ce sourire.-
Je veux que tu sois heureuse. D'accord ? »
Être heureuse, vivre heureuse et jusqu'à la fin de sa vie... C'est ce qu'il lui demandait. C'est tout ce qu'il attendait d'elle. Et Magnolia restait là, à se morfondre sur son sort, à pleurer alors qu'il s'est sacrifié pour qu'elle vive heureuse. Elle se sentit égoïste sur le coup. Elle regarda ses mains et se surprit à sourire. Elle ne pouvait pas se suicider, c'était au-delà de ses forces. Elle essuya ses larmes et, doucement, retourna à l'appartement.
Chapitre 4. Le début de l'adolescence
Témoignage de Ryoko Fujihima :
Vous voulez que je vous parle de Magnolia ? C'état une fille très gentille, on s'amusait beaucoup elle et moi. J'avais 7 ans quand elle est arrivée à la maison, et je me souviendrai toujours de son regard, celui qu'elle m'a adressé la première fois. On aurait dit qu'elle était malheureuse, très malheureuse. Et ça a continué pendant au moins un mois. Elle était presque tout le temps enfermée dans sa chambre à pleurer un certain "Kotaro". Je sais pas du tout qui c'est, mais j'ai appris que c'était un homme. Brrrr... Dégoûtant ! Je sais pas pourquoi elle le pleurait, peut-être parce qu'il l'avait violée... On peut s'attendre à tout avec les hommes ! C'est pour ça qu'il y en a presque pas. Ils sont détestables. Bref, oui, Magnolia. La pauvre... Elle avait vécu un grand malheur pour qu'elle se mette dans cet état, mais j'ai jamais su quoi. Peut-être que ma grande soeur le sait mieux que moi. C'était la confidente de Magnolia. Vous devriez aller la voir pour avoir plus d'infos sur elle. Moi je m'amusais beaucoup avec elle. Au début, c'était facile car elle n'y comprenait rien, mais après c'était plus marrant. Elle commençait à être meilleure, et les parties étaient plus sympas. Puis c'est arrivé... Je l'ai toujours regretté, car j'aimais bien ma grande soeur, mais rien n'était comme avant. On était obligées...
Témoignage de Masami Fujihima :
Magnolia... Oui, je je souviens bien d'elle. Elle n'est pas arrivée à la naissance comme les autres. Elle avait déjà 9 ans quand elle est venue, et moi j'en avais deux de plus. Dès que je l'ai vue, j'ai senti qu'il y avait quelque chose de particulier avec elle. Et a force qu'on se parle de choses et d'autres, je suis devenue sa confidente. Elle me racontait tout ses petits secrets, ce qu'elle avait fait en cours, ce qu'elle aimait ou aimait pas, son amour secret... Oui, elle aimait quelqu'un à l'école, une jeune fille de son age. Je la connaissait pas vraiment, c'était juste une fille comme les autres, rien de spectaculaire. Pendant 4 ans j'ai été sa meilleure amie. Et puis... Et puis j'ai fait une énorme bourde. Je m'en veux aujourd'hui encore. La pauvre a dû souffrir encore une fois. Moi qui voulais juste l'aider... Elle me faisait confiance, et elle m'a révélé son secret. Celui que j'avais cherché il y a des années, pour me dire que finalement c'était pas grave. Au début, ça commençait bien, elle me disait juste que ses parents habitaient à coté d'Ashnard. Franchement, je m'en fiche, qu'elle soit d'Ashnard, de Nexus, de Tekhos, ou même du fin fond de la forêt. C'est Magnolia, et elle restera toujours Magnolia. C'est ce que je lui ai répondu quand elle s'était inquiétée. Et puis... Elle m'a dit que ses vrais parents étaient morts. Je m'en fichais aussi, mais elle a dit ensuite qu'ils étaient morts avant sa naissance. Là j'en suis restée conne. J'ai pas pu en placer une sur le coup. On a étudié un peu la biologie à l'école, y compris la reproduction entre un mâle et une femelle qui était si important pour la nature et dont les Tekhanes ont réussi à s'affranchir, et vu que Magnolia venait d'Ashnard, c'était pas possible qu'elle soit clonée. Elle m'a ensuite dit que ses faux parents étaient des magiciens, et qu'ils avaient réussi à enfanter une femme déjà morte par un homme déjà mort. L'histoire était vraiment morbide, je trouve pas d'autres mots. J'ai eu une réaction un peu défensive, ma soeur l'a vue, et elle est repartie pleurer, persuadée que je la prenais déjà pour un monstre. Avouez que si quelqu'un vous dit ça, vous auriez réagi vous aussi. Elle n'a que 13 ans et elle sait que c'est l'enfant de personnes mortes ! Et elle le sait depuis qu'elle a 9 ans ! Franchement, quand elle l'a apprit, je comprend pourquoi elle a fugué. C'est vraiment horrible d'apprendre ça pour quelqu'un d'autres, alors pour soi-même... Elle s'est enfermée dans sa chambre et j'ai eu beau taper et m'excuser, elle m'a jamais répondu et elle a pleuré comme une madeleine. Je savais pas qu'elle prendrait aussi mal ma réaction. Et moi j'avais un peu peur pour elle. Si jamais ses "parents" avait fait une erreur quelque part, elle pouvait se disloquer comme dans les films. Et je voulais pas du tout que ça arrive. Vu que nos parents étaient allées chercher nos soeurs, j'ai attendu leur retour, puis j'ai pris Itoyo à parti et je lui ai annoncé la vérité. Elle paraissait effrayée elle aussi pour ce qu'il pouvait arriver à Magnolia, et à ce moment j'étais persuadée avoir fait le bon choix.
Témoignage de Itoyo Fujihima :
Ah, Magnolia. C'était une gentille fille. Pas vraiment de défauts, même si elle était très mélancolique. Elle pensait beaucoup au passé, et avait parfois du mal à voir le présent et l'avenir. Elle avait des assez bons résultats à l'école même si c'est un homme qui l'avait enseignée avant qu'elle arrive sur Terra. Cela montre bien sa persévérance, d'avoir apprit autant avec un homme. Elle en voulait, elle voulait mordre la vie à pleines dents. Bon, au début c'était pas ça. Mais ensuite, elle a commencé à se faire à son nouvel environnement. Au début, la garder était temporaire, mais on a jamais retrouvé ses parents, ni même n'importe quel membre de sa famille, comme si c'était des fantomes. Et par rapport à l'homme qui l'accompagnait, rien du tout non plus. Il était impossible de savoir à qui elle était, et elle est donc restée chez nous. Elle s'entendait bien avec toute la famille, et c'était la seule qui pouvait approcher Fumie, la petite qui avait deux ans quand Magnolia est arrivée. Au début, elle ne voulait même pas que quelqu'un lui parle à part ma chérie et moi. C'est elle qui l'a convaincue à s'ouvrir aux autres. Certainement avec ses propres expériences, ça a du l'aider pas mal. J'ai apprit son secret que quatre ans plus tard, et c'est pas Magnolia qui me l'a avoué. C'est Masami qui est venue me voir et qui m'en a parlé. Une fille de deux cadavres. J'ai franchement eu peur pour elle, car la magie est beaucoup moins fiable que la technologie. Je l'ai emmenée directement à l'hôpital le plus proche pour savoir s'il n'y aurait pas de problèmes avec elle. Elle y est restée trois jours, et rien n'a été trouvé. Enfin si, mais pas grand chose. Sa croissance a été accélérée au début de sa vie pour une raison inconnue. Vous auriez du voir son sourire quand la médecin lui a annoncé ! C'était impossible de la calmer, elle sautillait de partout, super contente. Je voyais bien que c'était une barrière dans son coeur qui faisait qu'elle se sentait différente des autres. Maintenant qu'elle savait qu'elle était exactement comme les autres, elle n'aurait plus peur. C'était le but. C'est vraiment ce qui aurait dû se passer. Car petit à petit, elle commençait à s'isoler des autres, je ne savais pas pourquoi. Elle n'invitait plus d'amies, elle ne restait pas à discuter un peu plus tard, rien du tout. Elle s'isolait petit à petit, et elle était de plus en plus triste.
Témoignage de Masami Fujihima :
Je ne sais pas comment l'information a pu passer, mais quand Magnolia est revenue à l'école, on m'a demandé plusieurs fois pourquoi elle n'était pas là. J'ai juste répondu d'aller voir directement avec elle car j'en avais aucune idée, ce qui était faux bien sûr. Sauf qu'ensuite, on a commencé à me poser des questions plus dérangeantes, comme d'où elle venait exactement, qui était ses parents... Et surtout pourquoi elle cachait tout. Impossible de répondre. Je continuais à prétendre que j'en savais rien, jusqu'à ce qu'ils évoquent la vérité. Je ne sais pas comment ils en sont arrivés là, mais ils y sont arrivés. Et au vu de la grimace que j'ai fait, ils ont vite su qu'ils étaient tombés dans le mille. Et ce fut le début de la fin pour elle. Elle n'avait plus aucun ami, plus personne à qui se confier. Même Ryoko et moi on ne pouvait rien faire. On la supportait, mais de loin. De très loin. On ne voulait pas être exclues comme Magnolia, on avait peur.
Témoignage de Chizuka Fujihima :
Mais bien sûr que je me souviens de Magnolia ! Son histoire était vraiment poignante. Je l'ai rencontrée quand je suis allée faire des vaccins de routine à l'hôpital, et on a raconté à coté de moi qu'une petite fille avait été trouvée dans le coma et qu'on ne savait pas où elle habitait, ni même qui c'était. Mon instinct de mère protectrice a pris le dessus et je suis allée la voir. J'ai bien fait : elle n'avait pas de famille, et elle était trop fragile émotionellement pour être placée dans un internat. Les petites filles peuvent parfois être cruelles entre elles, et je ne pense pas qu'elle l'aurait supporté. Déjà que dans un contexte calme et tranquille il lui est arrivé beaucoup de problèmes... Rien du tout les premières années, mais ensuite tout s'est enchaîné très vite. Ma chérie m'a avertie de la condition de Magnolia, à savoir qu'elle est issue de deux corps morts, et j'ai approuvé sa décision de l'ammener à l'hôpital. Qui sait ce qu'elle aurait pu avoir comme problèmes ! On est jamais certaines avec la magie.
Et finalement, rien. Ce fut un grand soulagement pour moi, le fait de savoir qu'on ne doive pas l'opérer ou ajouter des implants pour palier des problèmes divers. Elle semblait si heureuse en rentrant... Malheureusement, ça n'a pas duré. Peut-être qu'elle s'est fait huer, ou quelque chose du genre. Mais je voyais la petite Magnolia dépérir petit à petit, et j'avais du mal à le supporter. Elle était déjà remontée de si loin qu'il était inconcevable qu'elle retombe comme ça. Du coup, j'ai fait la seule chose qu'il me semblait bon de faire : je l'ai envoyée voir une psy assez bien réputée, Chiyako Mitakashi.
Témoignage de Chiyako Mitakashi :
Magnolia... Attendez une seconde, je consulte mes fiches.
Oui, je vois qui c'est. Une petite fille comme plein d'autres en apparence. Quand elle est arrivée chez moi, elle semblait totalement perdue. Elle semblait un peu solitaire et avait des pensées extrémistes. Elle était persuadée que l'homme est l'égal de la femme. Quelle idée ! Elle avait juste besoin d'être recadrée.
Témoignage de Chizuka Fujihima :
Ensuite elle a fugué. Je l'ai cherchée pendant pas mal de temps aux endroits qu'elle avait l'habitude de fréquenter, mais je n'ai eu aucun indice sur où elle était allée. Si ça se trouve elle s'est faite capturer... Rien que d'y penser j'en tremble ! Terra n'est pas un endroit pour les petites filles solitaire...
Témoignage de Eihi :
Oui la petite ! Je m'attendais pas à la revoir ! Elle et son père avaient voyagé avec nous quatre ans plus tôt. Ils étaient partis d'Ashnard je crois. Ou pas loin en tout cas. Ils nous ont accompagnés jusqu'à Tekhos. Et revoilà la petite Magnolia, toute seule, après quatre ans. C'est rare de revoir des personnes comme ça, surtout pour les gens du voyage comme nous qui avons aucune obligation fixe. On voyage au gré du vent et de nos humeurs. La totale liberté. Quand même, j'ai mis un petit moment à la reconnaître. Si elle m'avait pas dit qu'un homme l'avait accompagnée jusqu'à cette ville, je n'aurais jamais su qui c'était.