Évidemment... Reto ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, il avait vu... Il avait vu trop grand. Avec le recul, il se demandait pourquoi il avait voulu faire cette révélation à Kelly, et pourquoi il avait, naïvement, espéré que cette femme pourrait le comprendre. Certes, il y avait le traumatisme qu’elle avait vécue jadis, mais... Même sans ça, il ne voyait pas comment elle aurait pu accepter l’idée d’être avec un Lycan. Les êtres humains, a fortiori les Occidentaux, se refusaient à admettre ce qui crevait les yeux depuis des siècles : le monde, tel qu’on le percevait, était une illusion. La « réalité », celle qu’on pouvait sentir le long des doigts, n’était qu’une douce illusion, une interprétation factice du réel, tronquée par les limitations des cinq sens. Même sans admettre l’existence du fantastique, la science elle-même avait démontré, à travers la physique quantique ou la théorie de la relativité générale, combien la vision que l’Homme avait de la réalité était fausse et tronquée. Il y avait quantité de choses qu’un homme ne voyait pas. Quand on regardait un buisson, on croyait n’y voir qu’un tas de feuilles, mais, en réalité, il y avait, dans ce tas, tout un écosystème. On croyait être seul, mais, sur notre peau, il y avait des millions de bactéries microscopiques qui grouillaient le long des poils. Et ainsi de suite... L’Homme aimait cloisonner et s’enfermer dans une illusion du réel, et Kelly n’était tout simplement pas prête à admettre ce que Reto avait admis depuis longtemps.
*Je ne peux que la comprendre, il m’a fallu du temps aussi, à moi, pour admettre que j’étais un Lycan...*
C’était aussi une raison pour laquelle Reto était venu à Seikusu... Car Seikusu n’était pas une ville comme les autres, mais Kelly... Kelly avait encore besoin de temps. Du moins, c’est ce que l’homme espérait. Du temps pour lui laisser l’occasion de mieux comprendre ce qui venait d’arriver. Il hocha donc la tête.
« Bien sûr... Tu n’es pas ma prisonnière, Kelly. Je... Je pourrais t’envoyer un chauffeur, mais je pense que tu préféreras un taxi. »
Il lui fit signe de le suivre, et les deux remontèrent, retournant dans le débarras où Kelly, il y a de cela quelques minutes, s’était dissimulée.
« Si tu as mal à la nuque, on a des médicaments... Même si je pense que ça sera résolu d’ici demain matin. »
Reto parlait juste pour combler le silence, pas pour engager la conversation. Kelly n’était tout simplement pas en état de dialoguer. Ils arrivèrent dans un petit salon, et l’homme appela une compagnie de taxis.
« Un taxi va venir d’ici un quart d’heure... » précisa-t-il.
Reto laissa ensuite passer quelques secondes, et reprit :
« Je comprends que tu aies besoin de temps pour réfléchir, Kelly... J’aurais peut-être dû mieux préparer ce moment. Dans tous les cas, sache que ce que tu as vu dans cette chambre, c’est... C’est mon secret. Je ne te demanderais jamais de le partager avec moi. Je t’ai juste amené là-dedans car, sur le coup, ça me semblait être le meilleur moyen de te prouver mes intentions. »
L’homme se tut pendant quelques secondes, et élabora ensuite sa conclusion :
« Ce que je veux te dire, c’est que... Je ne te ferais jamais le moindre mal, et je veux au moins que tu sois sûre de cela... »