Yukio Onoki apparaît elle-même dans l’embrasure de la porte. Je suis surpris, au point de ne pas m’attarder sur l’élégante robe blanche qu’elle porte, bien loin des tenues que je lui ai connues au Lycée Mishima. Que fait-elle là ? Rien que ça, et voilà que tous mes discours pré-établis s’effondrent. D’ailleurs, je n’ai même pas le temps de poser la moindre question, que l’explication arrive : « (…) ils seront sans doute trop occupés (…) ». Et voilà, les grands de ce pays ont autre chose à faire que d’écouter un professeur, a fortiori étranger !
Reste à savoir comment je vais me rattraper, et ne pas mettre Yukio mal à l’aise :
« Eh bien, Yukio, c’est assez personnel. C’est pour cela que je voulais voir vos parents. C’est pour parler de votre scolarité. Elle est certes qualitative, mais… »
Je ne sais comment lui expliquer ce que j’ai vu, ce que j’ai ressenti. Et je vois son visage aux yeux interrogateurs, mais aussi étrangement froids. Je ne lui connaissais pas ce regard, il m’inquiéterait presque si nous n’étions entre gens du monde.
« Mais je me fais du souci pour vous. Pas sur votre travail, bien au contraire. Enfin, je ne sais comment vous le dire... »
C’est anormal qu’un homme d’Eglise ayant parcouru l’Afrique en tous sens, et ayant affronté de fort différents interlocuteurs, patauge à ce point. Mais je suis loin d’être en état de calme. Tout d’abord, sans un regard vraiment direct, j’ai cerné le « petit bout de femme » qui me fait face ; plus vraiment une lycéenne, c’est comme si elle avait encore plus d’assurance en étant chez elle. Yves, reprends-toi !
« J’aurais préféré le dire à vos parents, pour ne pas vous froisser, ni vous blesser… »
La blesser ? Là, Yves, pas de danger ! Tu n’as pas, face à toi, l’une de ces lycéennes de Mishima que tu trousses sur sa table de classe, et encore moins la dévouée Sushiko qui te suce à chaque fois qu’elle veut un point de plus sur sa copie. Là, c’est Yukio qui te fait face, celle dont la personnalité te met mal à l’aise parfois, celle que tu soupçonnes d’exercer une pression sur ses camarades, celle qui… porte une adorable robe blanche avec de jolies fanfreluches noires. Allons, Yves, imagine qu’elle est peut-être nue dessous, et tu vas soudain la considérer sous un autre jour !
Déclic salutaire ! Prenant ma respiration, déglutissant discrètement, je me lance enfin :
« Voilà Yukio, vous m’inquiétez, enfin les autres élèves m’inquiètent. Mais vous aussi avec elles… »
Yves, tu bafouilles encore ! Imagine ce joli corps nu sous la robe. Ne fais plus attention à son regard fixe qui, à lui seul, serait une arme mortelle. Pense plutôt que tu vas la baiser dans son propre lit, et que ce même regard te suppliera de la prendre encore et encore. Oui, sens ton sexe qui gonfle un peu sous ton pantalon ; pas trop, juste de quoi te préparer. Voilà, imagine qu’elle vient s’agenouiller, imagine ta main dans ses cheveux, imagine ses yeux qui brillent, imagine ses lèvres qui coulissent. Voilà, Yves, tu es bien, tu es avec une élève que tu vas aussi te faire avec tout l’amour divin qui est en toi.
Je me sens si bien, comme dans un état second :
« Donc, Yukio, je trouve que, lorsque les autres élèves sont avec vous, elles sont euh différentes. Vous, d’ordinaire, êtes seule, comme inatteignable même. Pourtant, dès que l’une d’elles s’approche de vous, c’est comme si elle n’a plus de personnalité, comme si elle fait ce que vous lui dites et rien d’autre. C’est comme si vous avez une totale emprise sur elle, et qu’elle est votre… »
Le mot se bloque dans ma bouche, in extremis ! En allant prononcer « soumise » me vient l’image de Yukio, attachée poignets et chevilles en croix sur son lit, et que je baise sauvagement en invoquant je ne sais quel exorcisme pour chasser un démon de son corps.
Là, c’est sûr, Yves, tu dérailles. Ne mélange pas tout ! Ca, c’était avec Ayoki, et son fantasme de se faire sexuellement exorciser ; rappelle-toi, tu as soi-disant chassé le démon du sexe de son corps, en la sodomisant sur ton lit dans la sacristie, et en récitant des psaumes qui n’existent nulle part ailleurs. Vu comment elle a crié, et toi aussi, heureusement que les portes de l’église étaient fermées ! Mais, sur ce coup-là, tu n’as pas été très efficace ; pas de souci au lit car elle y a perdu avec plaisir son pucelage anal, mais plutôt quant à ta chasse aux démons puisqu’elle a été renvoyée de Mishima une semaine plus tard pour s’être offerte à une vingtaine d’élèves lors d’une soirée.
Allez, cesse cette digression, et reconcentre-toi sur Yukio… qui, tiens donc, semblait aussi avoir une emprise sur Ayoki.
« Enfin, qu’elle n’est plus elle-même, quoi. Mais, vous non plus, en ces moments-là, n’êtes davantage celle que je connais d’ordinaire. Vous semblez plus, comment dire, distante, presque moins concentrée sur mes cours, et vous avez un regard qui, parfois, m’a surpris. »
Ouf, ça y est, j’ai glissé quelques phrases, même si je ne suis pas fier de cet amalgame approximatif de mots. Yukio n’a pas bougé, pas même un regard différent, pas même une moue de ses lèvres. Elle a une maîtrise inouïe de ses émotions ; ça me perturbe, et ça m’inquiète même un peu. Instinctivement, je passe la main sous ma chemise de lin blanche, pour resserrer ma fidèle croix. Dieu, si tu m’as envoyé, chez un être possédé par le Diable, tu aurais pu me prévenir d’avance ! Je n’ai rien sur moi, hormis ma croix et ma foi, et l’apparente immobilité de Yukio me fait penser à un démon qui, tapi derrière ses yeux me fixant toujours, est prêt à bondir sur moi.