Dormir dans un lit... A bien y réfléchir, ce serait nettement préférable à ses nuits à la belle étoile. Des nuits nerveuses et agitées, surtout quand on était seul, car on n’était jamais à l’abri de maraudeurs, ou de bêtes sauvages. Il fallait trouver un bon endroit pour se coucher, en ne dormant que d’un œil. Au moins, ici, il ne risquait pas d’être réveillé par le tranchant froid d’une lame sous sa gorge. Et, en prime, il dormirait même avec une belle femme. Que demande le peuple ? Cahir esquissa un léger sourire, et se rapprocha de la femme, rentrant dans sa chambre. Perturbée, Eclipse avait ôté ses bas trempés, et il s’écoula un long moment avant qu’elle n’accepte qu’il dorme avec elle. Il comprit qu’elle avait du peser le pour et le contre.
«
Ne vous inquiétez pas, je ne ronfle pas » lâcha-t-il, comme pour essayer de détendre l’atmosphère.
Eclipse avait ôté son peignoir. Demain serait une autre journée. Il fallait que le duo se renseigne sur cette malédiction, afin de comprendre comment la conjurer. La nécromancienne fila sous la couverture, et lui laissa un peu de place. Étrangement, Cahir se sentait un peu gêné et honoré à l’idée de dormir dans un lit. Les soldats ne dormaient pas dans de confortables lits, mais sous des tentes puantes, au milieu de la sueur, des insectes, des grognements et des renâclements, le sommeil rythmé par les bruits de pas des patrouilles extérieures. C’est ainsi qu’un soldat se devait de dormir, pas dans un lit douillet, avec une délicieuse femme à côté de lui. Il rejoignit malgré tout la dame, sentant rapidement sa gêné disparaître, au profit d’éléments physiques et matériels : des frissons de plaisir remontant depuis ses jambes jusqu’à son dos. Le lit était confortable, et rappelait cruellement à Cahir son manque de sommeil. En même temps, dormir dans une cellule n’était jamais très facile, surtout quand on était suspendu.
Il se retourna vers la nécromancienne, qui s’était tournée un certain nombre de fois dans le lit. En souriant légèrement, Cahir se rappelait son ancienne femme, qui avait toujours pour manie de s’entortiller dans le lit... Une autre raison de préférer les lits de camp. Il la prit doucement, l’amenant à se retourner. Leurs regards se croisèrent, et il avança un peu plus ses mains, en posant une sur sa nuque. Eclipse était toute frêle, et il n’eut aucune difficulté à la prendre, et à la plaquer contre son torse trempé.
«
Ne t’en fais pas, Eclipse. »
Il se coucha lentement sur le dos, Eclipse sur lui, la tenant entre ses bras, et vint délicatement lui caresser le dos. Ce n’est pas parce qu’on était un soldat qu’on était forcément une brute épaisse dénuée de la moindre sensibilité, et Cahir sentait la nervosité d’Eclipse. Il ne la comprenait pas. Traiter avec les fantômes, n’était-ce pas son domaine ? Il était convaincu qu’elle devait lui cacher quelque chose, qu’il y avait quelque chose qu’elle soupçonnait, et que lui n’avait pas compris. Il lui frottait donc le dos, afin de l’aider à se détendre, savourant cette peau douce et chaude. Le sommeil gagna aussi assez rapidement l’apatride.
*
* *
Rêve ou réalité ? La nuance, parfois, est subtile. L’homme dormait toujours, et des flammes bleues léchaient le lit, enveloppant les deux éphémères amants. La pièce était plongée dans la pénombre absolue, à l’exception de ce corridor de petites flammes. Rien ne pourrait réveiller Cahir, mais ce n’était pas lui que le visiteur cherchait à réveiller. Nimbé dans l’obscurité, il observait la femme se trouvant sur lui, sentant un curieux sentiment l’envahir. Une sorte de plaisir... Un sentiment troublant, qu’il décida de partir.
«
Eclipse... » lâcha-t-il d’une voix d’outre-tombe.
L’homme n’avait aucune réelle apparence. Il avait bien un corps, mais ses mains étaient noires, rabougries, décharnées. Quant à son visage, il était dissimulé dans l’ombre, et c’était sans doute mieux.
«
Il ne se réveillera pas... » poursuivit-il, faisant allusion à son amant, à ce mystérieux homme.
Les flammes bleues étaient discrètes, faibles, éclairant simplement le couple.
«
Tu empestes la vie, Eclipse, c’est si décevant... La peur, je la perçois... Mais elle est l’apanage des vivants, pas de ceux qui ont domestiqué la Mort. Comme toi... »
Le nécromancien connaissait Eclipse. C’était bien pour ça qu’il venait la voir. C’était une visite de courtoisie, en quelque sorte.