One Shot / Re : Craint le vilain chaperon rouge (PV - Elianora)
« le: jeudi 20 novembre 2025, 15:22:14 »Le jeune loup croit avoir gagné. Il croit que je me suis évanouie avec la brume. Il respire plus fort, se redresse, se rengorge même d’un mensonge qu’il tente de se faire à lui-même.
Pauvre petit.
Je souris, un sourire fin comme une lame. Puis je m’élance.
Les ombres deviennent mes compagnes, les troncs mes complices. Je coupe à travers le bois, légère, rapide, presque irréelle. La brume se plie à ma vitesse. Le vent m’évite. Le monde retient son souffle quand je cours.
Le village n’est qu’une lueur au loin. La maison, petite, chaleureuse, fume déjà d’un parfum de bois brûlé et de soupe simple. Une odeur qui colle à la peau, douce, familière.
Je frappe comme une enfant perdue.
La porte s’ouvre, révélant une femelle lycan au poil tiédi par la chaleur du foyer, les mains encore farineuses. Ses yeux s’arrondissent en me voyant, silhouette rouge au milieu du gel.
“Oh, ma douce… mais que fais-tu dehors par un froid pareil ?”
Je baisse la tête, juste assez, mes doigts jouant nerveusement avec le bord de ma cape.
“Je… je voulais cueillir des fleurs pour mon papa éreinté par le travail… mais j’ai entendu des bruits étranges, dans la forêt. Des bruits… terrifiants. Alors j’ai couru, sans réfléchir. Je suis tombée sur votre maison. Je… je suis désolée…”
La femme s’adoucit, instantanément. Les mères ont ce cœur tendre qui se déchire devant la peur d’un enfant.
“Ne t’excuse pas, ma chérie. Entre. Tu es gelée !”
Elle m’attrape la main, quelle ironie cette chaleur, et me fait entrer.
“Je vais te préparer une bonne tasse de thé chaud. Mon fils ne devrait pas tarder, c’est un garçon fort, il pourra te raccompagner jusque chez toi.”
Je hoche la tête, docile.
L’intérieur est modeste, mais accueillant. Des herbes sèchent au-dessus du foyer. Deux chaises, une table ronde, une casserole qui mijote doucement. Je retire ma cape rouge et la dépose sur mes cuisses, laissant mes cheveux retomber en boucles humides et sages.
La mère s’affaire, bavarde doucement pour me rassurer. Je souris aux bons moments. Je serre mes mains avec la juste dose de tremblement. Je regarde la porte, à l’occasion, comme si j’espérais voir apparaître un protecteur providentiel.
En vérité, j’écoute.
J’écoute le battement de cœur qui approche. Le froissement nerveux d’un pas qui court. La respiration encore forte d’un jeune loup persuadé d’avoir vaincu ses illusions.
La poignée tourne.
Il entre. Ce jeune mâle aux muscles un peu plus saillants que je croyais avoir vu. La peur est encore dans ses pupilles. La forêt attachée à sa peau. Il relève les yeux, et me voit.
Je suis assise bien droite, mes doigts entourant la tasse chaude que sa mère vient de déposer. Une petite vapeur monte, douce, parfumée. Et je lui offre un sourire.
Juste une étincelle. Une lueur infime, mais inoubliable. Cette flamme qu’il a sentie dans les bois, cette voix sans visage, ce souffle qui a frôlé son âme.
Intérieurement, je me mordille la lèvre inférieure d’entrapercevoir ses muscles se tendre. Son cœur, de trébucher. Une vague de reconnaissance, impossible, insensée, traverse son regard.
Je baisse légèrement les cils, faussement timide, mais mes yeux brillent d’un éclat qui n’appartient qu’à moi.
La mère se retourne, joyeuse :
“Ah, Taren ! Tu tombes bien, mon chéri. Cette petite s’est perdue. Tu vas la raccompagner quand elle aura fini son thé.”
Je porte la tasse à mes lèvres. Une gorgée. Un souffle. Un sourire.
Et je murmure, juste assez pour lui :
“Quel hasard charmant, n’est-ce pas ?”
Une vibration infime, presque imperceptible, traverse la pièce. Un écho de la forêt. Un souvenir de ses frissons.
Je lève la tête. Nos regards se croisent et dans le mien il peut y lire la promesse malicieuse d’un conte qui ne fait que commencer.








