Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Messages - Anakha Baley

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1

Anakha l’écoute sans interrompre. Quand Damian expose son objectif, rendre les siens moins dépendants du sang humain, le chef de la nuée hoche imperceptiblement la tête. Il reconnaît la noblesse froide d’un but qui protège des innocents, et il entrevoit aussi le danger : un peuple d’immortels affranchi de ses chaînes, désormais plus libre et potentiellement plus féroce encore. L’idée le frôle, l’inquiète, et l’intrigue à la fois.

"C’est une visée respectable… et périlleuse."

Sa voix, grave, n’est ni approbation béate ni condamnation.
"Un substitut au sang allège un fardeau… et augmente la menace si on le manie sans garde."

Un silence passe, traversé d’un bourdonnement lointain. Dans l’esprit d’Anakha, une pensée glisse comme un éclat de métal : si Damian réussit, les vampires n’auront plus besoin de se nourrir. Mais que deviennent des immortels privés de faim ? Que font des prédateurs sans proie ? Peut-être qu’ils se rongent entre eux… ou qu’ils se mettent à rêver d’autres conquêtes. Ce monde, alors, deviendrait un désert parfait pour leurs ambitions. Et pourtant, une part de lui espère que Deirdre, où qu’elle soit, verrait là un signe d’humanité, un effort pour que d’autres ne souffrent pas.

Il tique, presque dans l’ombre, un mouvement si minime que seul lui le sentirait comme une piqûre. Il avait déjà offert un échantillon en geste d’approche ; il pensait que c’était suffisant. Mais ce que Damian propose n’est pas rien : fournir une alternative qui pourrait réduire les prélèvements permanents. Pour Anakha, c’est une opportunité, et bien peu en comparaison de ce qu’il cherche. S’il doit céder un point pour obtenir un instrument, il peut le faire. Toujours temps de revenir sur sa décision plus tard.

Il ajoute, en un souffle presque privé que la plume près de son cœur semble accompagner :
"Je peux te laisser une journée. Je serai là quand tu partiras et je serai là quand tu reviendras."

Les mots sont simples ; leur portée est mesurée. Anakha n’a pas l’intention d’abandonner son œuvre pendant une journée. Au contraire : pendant que Damian s’absente, la machine qu’il a lancée ne s’arrêtera pas. Les pondeuses s’activent en continu ; les récolteurs pompent le bouillon nutritif ; les naissances s’accélèrent. Durant la journée, plusieurs troupes partiront déjà dans diverses directions pour harceler et prendre d’assaut les hameaux voisins. Chaque prise servira de noyau, chaque bassin de gestation installé le long d’un cours d’eau deviendra une annexe qui, plus tard, rayonnera vers d’autres régions. Anakha le prévoit : on étendra la ruche par points d’appui successifs, d’abord dans les Contrées du Chaos, territoires fragmentés, mal gardés, riches en proies faciles, avant de songer à attaquer des nations plus organisées. Pour l’instant, écraser les peuples humains en masse serait de l’imprudence : trop de monde, trop de résistance coordonnée. On agrandit par taches, par annexes, par relais.

Il laisse Damian mesurer cela, puis reprend, plus précis :
"Si tu veux préserver un village, indique-m’en un. Je suspendrai les prélèvements et les pontes sur ce point précis tant que tu me fournis des résultats tangibles et que tu respectes nos accords. Cela ne signifie pas que je ne l’explorerai pas, mais ce sera fait sans se faire remarquer, et nul n’y sera tué."

Anakha n’insiste pas davantage sur la portée réelle de sa promesse. Il sait que Tekhos a déjà labouré ce terrain : des laboratoires entiers ont disséqué, étudié, tenté de comprendre la biologie formienne pendant des années. Rien n’en est sorti que des hypothèses et des impasses. Ce souvenir le rend méfiant, mais aussi confiant : si les savants de Tekhos n’ont rien percé, alors Damian, lui aussi, aura du mal à saisir l’essence réelle de la ruche. Ses recherches ne menaceront pas l’ensemble, elles n’en gratteront que la surface.

Il dit plutôt ce qui l’intéresse immédiatement : l’efficacité, le contrôle, la garantie qu’on ne lui vole pas sa proie ni sa recherche.

Il marque une pause, pose la main sur la plume à sa poitrine comme pour sceller une promesse muette, puis énonce, presque en note finale :
"Pendant que tu t’éclipses, la ruche avance. Des troupes partiront, des annexes pousseront. Mais si ta voie réduit la nécessité de réduire des vies, alors je réduirai le mal où je le peux. Pour l’instant, nous commençons par les Contrées du Chaos."

Ce que signifie "commencer" dans sa bouche est vaste. La ruche croîtra : d’abord des poches de contrôle, des épicentres de gestation appuyés sur la rivière ou sur des mares, puis des ateliers organiques où la chair se muera en architecture. Les relais psychiques, synchronisés, feront en sorte que chaque anneau se nourrisse du précédent ; la vallée se transformera en cerveau décentralisé, chaque point d’appui étant une extension du centre. C’est une logique d’empilement, non une charge frontale.

Déjà, sous ses yeux, la vallée semble respirer. Les toiles palpitent au rythme d’un cœur invisible ; les couloirs de chair se dilatent et se resserrent comme si l’air lui-même obéissait à une pulsation interne. Des murmures parcourent la trame psychique, bribes de pensées de ses créatures qui se mêlent aux siennes. La ruche n’est plus un projet : c’est un organisme en expansion, une conscience embryonnaire qu’il sent grandir autour de lui, impatiente de s’étendre.

Anakha n’avait nul besoin de se déplacer pour suivre ses troupes. Chaque œil sur le terrain serait le sien, et chaque décision serait la sienne : un réseau de relais retransmettrait son regard, ses ordres, sa volonté. Ce corps cependant était probablement plus puissant que la plupart de ses créations. Il comptait le renforcer encore, maintenant qu'il disposait d’un "atelier" digne de ce nom : un endroit où tissus et nerfs pourraient être modelés, où la chair se prêterait à l’architecture comme la pierre l’est pour un bâtisseur. Les humains qui parlaient de "se forger un corps" n'avaient aucune idée de ce que ce mot pouvait vouloir dire.

Il se détourne ensuite, sans chaleur, mais avec une décision limpide : préparer le nœud, déposer le spécimen choisi, organiser la garde. La brume reprend son chemin. Il avait un instant songé à faire suivre le vampire. Mais  c'eut été vain. Soit il restait à portée de ses relais, et il y aurait des yeux pour le voir, soit ce n'était pas le cas, et aucune de ses créatures ne pourraient le suivre.
Les pondeuses continuent, inlassables. Et Anakha, fidèle à sa logique, restera là, maître d’un empire qui naît, calculant chaque perte comme on compte des pierres sur une carte, prêt à agrandir sa toile jusqu’à ce que Deirdre ne soit plus une absence, mais une certitude, ou un souvenir qu’il pourra enfin consumer. Il n'avait pas répondu à Damian sur le dernier point ... L'espoir pouvait tuer plus sûrement qu'une dague, disait-on... Prendre soin d'elle d'une façon qu'il comprendrai ...

2
La question de l’autre résonna dans la brume. "Pourquoi ? "
Un mot lourd, pas un reproche, mais une exigence glaciale.

Anakha ne détourna pas les yeux. Sa voix s’éleva, grave, rauque, comme sortie des profondeurs de sa carapace.
"Parce qu’on m’a arraché ce qui m’ancre. Elle s’appelait Deirdre."

Il n’expliqua pas tout, pas comme on confie une confidence à un frère d’armes. Mais ses yeux fauves se durcirent, et ses ailes frémirent à ce souvenir.
"Elle m’a sauvé. Elle m’a aimé. Elle m’a donné un gage…" Sa main chitineuse frôla la plume incrustée dans son torse. Elle pulsa, réponse douloureuse à son nom. "Et au matin, il ne restait rien. Rien qu’une absence qui brûle encore."

Un silence pesa, lourd comme une chape. Puis Anakha reprit, plus bas, sa voix vibrante de cette rage froide qui l’habitait.
"Alors j’ai fait de cette douleur une arme. Tu demandes pourquoi ? Parce qu’à chaque battement, la brûlure me dit d’avancer. Parce que je la cherche. Et parce que pour la retrouver, j’ai besoin d’une armée."

Il ne savait pas pourquoi il en avait parlé. Peut-être parce qu’il avait senti, dans le timbre de Damian, une parenté invisible, ce vide qui forge ou détruit. Mais il n’avait pas cherché à forcer son esprit. Lorsqu’il l’avait effleuré par ses relais, il n’avait trouvé qu’une paroi lisse, glaciale, infranchissable. Pas une proie. Pas un disciple. Mais un semblable, d’une autre voie.

Il redressa la tête, reprenant son ton sec, utilitaire.
"Tu veux comprendre ma nuée ? "

Un rampant s’avança aussitôt, chitine sombre luisant dans la brume, pattes griffues repliées pour paraître moins menaçant. Anakha n’avait pas eu besoin de bouger : sa pensée seule l’avait tiré du flot. La créature attendait, immobile, son exosquelette vibrant doucement de la pulsation mentale qui la liait à son maître.

"La voici. Est-ce suffisant pour ton étude ?" demanda-t-il. Sa voix était dure, mais pas ironique. "Ou souhaites-tu un autre type ? Carapacé ? Anthropomorphe ? Arachnomorphe ? Dis, et je te l’apporterai."

Il n’avait rien à craindre. Tekhos avait passé des années à disséquer des spécimens, à sonder leur chair et leur nerf. Tout ce qu’ils avaient obtenu n’était que poussière de compréhension. Les secrets de la ruche ne s’ouvraient pas au scalpel ; ils vivaient dans la trame psychique, dans la pulsation invisible des relais. Qu’importe donc qu’un vampire en dissèque un. Anakha saurait de toute façon ce qu’il voyait, à travers les yeux du spécimen.

En contrebas, Erstonia cessait d’exister.

Les carapacés avaient brisé les dernières défenses et fondaient sur les derniers survivants. Les parasites libérés s’enroulaient autour des corps des femmes, et les gestes d’horreur prirent, en peu de temps, une conséquence cruelle et fonctionnelle : l’impregnation. Toutes étaient sans ménagement immobilisée et pénétrée par ces être diformes aux multiples tentacules qui exploraient l'ensemble de leurs corps. Même une fois l'insémination passée, la saillie continuait, afin de provoquer la sécrécrétion en plus grande quantité du fluide nécessaire à la croissance des parasites. Les femmes capturées furent retenues, protégées des mutilations lorsqu’une gestation offerte servait les desseins de la ruche. Les tentacules, les sondes biologiques des parasites, déclenchèrent des grossesses accélérées ; au fil des heures, des embryons organiques se formèrent, nourris par le corps de leurs mères.

La logique était simple et cruelle : on laissait les hommes périr, et l’on conservait les femmes vivantes autant que nécessaire pour engendrer la chair utile. Les corps des mères, quand le projet l’exigeait, furent nourris, abrités, reliés à des canalisations d’eau et de nutriments ; les naissances fournissaient des éléments qui grandiraient, puis se joindraient à l’armée ou s’épanouiraient en structures.

Les derniers cris s’éteignaient, remplacés par d’autres, plus obscènes : ceux des captives saillies par les parasites. Les hommes, eux, mouraient déchirés, disloqués, avalés. Mais les femmes étaient retenues, forcées, protégées dans leur douleur parce qu’elles servaient. Les tentacules, appendices nerveux et chitineux, s’enroulaient autour d’elles, déclenchant des gestations fulgurantes. Leurs ventres gonflaient en quelques heures, quelques minutes, parfois. De leurs corps jaillissaient des embryons translucides, poisseux, qui se redressaient déjà pour ramper vers leurs semblables.

Ces naissances n’étaient pas la fin : elles étaient les fondations. Certaines larves se fixèrent aussitôt aux murs et aux toits, leurs corps se fendant comme des fleurs monstrueuses. Leur chair s’ouvrit en corolles chitineuses, d’où jaillirent des filaments translucides qui palpitaient. C’étaient les relais : des organismes vivants, branchés dans le réseau, transmettant la volonté d’Anakha de proche en proche.

D’autres larves rampèrent vers la rivière. Elles s’immergèrent, se gonflèrent, et commencèrent à bâtir des poches vivantes, membranes souples qui s’élargissaient au fil de l’eau absorbée. Ce furent les premières couveuses. Leur peau battait comme un cœur, pompes organiques aspirant le courant pour nourrir les embryons qu’on y déposerait.

La ruche ne se contentait pas d’utiliser des cadavres. Elle engendrait des organismes qui grandissaient, qui respiraient, qui palpitaient de leur propre vie. Les murs allaient se tendre comme des muscles. Les couloirs vibreraient d’un souffle chaud. Les piliers seraient des créatures figées, vivantes, leurs carapaces soudées entre elles. Chaque élément croissait, non pas bâti, mais enfanté.

Déjà, les premiers contours se dessinaient. Sur la berge, les carapacés avaient creusé un bassin large, détournant une partie du courant de la rivière. Les larves y furent déposées, et leur croissance prit vitesse. Le bassin devint salle de gestation : un réservoir tiède, parcouru de membranes translucides où flottaient des embryons, alimentés par des fibres nerveuses qui puisaient directement dans les corps des mères attachées à la rive. Ces dernières gémissaient encore, mais leur rôle n’était plus de résister : elles étaient devenues sources.

Autour de ce cœur central, les premières chambres annexes s’élevaient. Des cocons se fixaient les uns aux autres, durcissaient, fusionnaient pour former des alvéoles. Certaines servirent à stocker la nourriture, restes de proies, chairs broyées, sang accumulé. D’autres, encore plus vastes, seraient des salles de maturation : des couloirs où les larves grandiraient en rampants, carapacés, anthropomorphes, selon le besoin.

Les récolteurs allaient de corps en corps, nourrissant les pondeuses de force, enfouissant leur tube au fond de leur gorge pour y pomper un épais liquide nourricier conçu à partir de leurs récoltes. Ils alimentaient de même toutes les créatures qui venaient au monde, véritable source d'énergie de la ruche, adaptant le liquide au besoin de chacune des tâches de la nuée.

Les relais, eux, se multipliaient. Chaque poutre, chaque racine, chaque pierre servait d’ancrage à de nouveaux bulbes translucides, reliés par des filaments vibrants. La vallée tout entière se transformait en toile nerveuse.

Anakha observa un instant ce début de royaume. Ses yeux fauves brûlaient d’un éclat froid. Erstonia n’était plus un village : c’était un terreau. Deux cents âmes avaient suffi à enclencher la croissance d’une ruche. Et ce n’était qu’un commencement.

Il ramena son regard sur Damian, sa silhouette dressée au milieu des troncs, la brume écarlate palpant encore le sol autour de lui. "Alors ?" Sa voix résonna, implacable. "Suffira-t-elle ? Ou veux-tu un autre modèle ? Et auras tu besoin de quelque chose pour ton laboratoire ? Un emplacement particulier ? Je ne sais pas la clef de quoi est-ce que tu souhaites trouver. Mais si tu m'aides correctement, je suis disposé à te rendre la pareille"

3
La brume écarlate s’insinuait entre les troncs, rampait dans les ruelles d’Erstonia, noyait les barricades et les toits pointus. Les villageois voyaient des monstres partout : un rampant devenait cent, un carapacé dix. Chaque ombre se dédoublait, chaque cri résonnait sans origine.

Mais dans la forêt, Anakha n’était pas dupe. Ses créatures n’avaient pas besoin de voir : elles vibraient, elles traquaient, elles sentaient. Le brouillard n’était pas un voile pour elles, mais une chape protectrice.

Le chef de la nuée écarta une aile, la chitine de son armure grise captant les reflets pâles de la lune. Ses yeux fauves se fixèrent sur Damian, à travers les branchages. Ses nouveaux iris s’étaient habitués à l’inconcevable vélocité du vampire — un mouvement qui, autrefois, lui aurait échappé. Impressionnant, certes. Mais pas suffisant pour le déstabiliser.

Il ouvrit la bouche, et sa voix profonde résonna, grave, mesurée, parmi les troncs.

"Tu ajoutes de la nuit à ma nuit. C’est utile."

Il marqua une pause, inclinant légèrement la tête, ses iris flamboyants toujours ancrés dans ceux de Damian.

"Mais ta brume… dès qu’elle sert mon dessein, cesse de t’appartenir."

Le silence pesa un instant, rempli seulement par le claquement des crochets et le bois des barricades qui cédait en contrebas. Anakha reprit, plus dur :

"Alors parle. Quelle faim te pousse ? Qu’attends-tu en retour ?"

En même temps, il laissa ses relais effleurer l’esprit de l’inconnu. Il ne chercha pas à forcer : juste un contact, une impression. Mais il rencontra une barrière, dure, lisse, glaciale. Pas un esprit ouvert, pas une proie vulnérable. Un mur. Une silhouette mentale aux contours nets, mais imprenables. L’intrusion s’arrêta là. Ses yeux se plissèrent : méfiance redoublée.

Autour d’eux, l’assaut continuait.

Dans le village, les hommes reculaient pas à pas. Leurs flèches ricochaient contre les carapaces, frappaient parfois leurs propres alliés dans la confusion. Le sol était jonché de cadavres disloqués : entrailles fumantes, membres arrachés, visages écrasés sous les pinces.

Et les femmes… elles hurlaient. Les parasites tentaculaires, jaillis des carapacés, les plaquaient au sol, palpant, sondant, pénétrant. Certaines criaient à la mort, d’autres suppliaient d’être achevées. Mais déjà les spasmes les trahissaient : des gémissements brisés se muaient en soupirs obscènes, des sanglots éclataient en cris déchirés de plaisir. Dans la brume, nul ne pouvait distinguer où finissait la terreur et où commençait la jouissance. Ce mélange monstrueux emplissait les ruelles, vrillait les oreilles des survivants.

Pour les hommes encore debout, c’était un supplice pire que la mort. Ils entendaient les voix de leurs sœurs, de leurs épouses, de leurs filles. Des cris arrachés par la douleur, mêlés à des gémissements qui semblaient jouir de l’abomination. Leurs mains tremblaient. Certains lâchaient leurs armes. D’autres frappaient dans le vide, comme des fous, incapables de supporter ce qu’ils entendaient. Chaque souffle n’était plus qu’attente du prochain coup, du prochain hurlement, du prochain spasme.

La voix d’Anakha monta de nouveau, claire malgré le tumulte. Elle dominait le chaos, presque solennelle.

"Tes ombres couvrent mes pas. Tes ronces étouffent leurs signaux. Tu peux être un allié."

Il fit un pas vers Damian, ses ailes bruissant derrière lui, et son ton tomba comme une lame :

"Mais on ne donne rien pour rien. Dis-le. Qu’espères-tu gagner ?"

Et tandis qu’il parlait, l’essaim poursuivait son avancée dans la brume, méthodique, implacable.

4
L’essaim n’avait pas ralenti.

Dans les ruelles d’Erstonia, les cris commençaient à s’élever, déchirés, étouffés, noyés sous le grondement muet de la nuée. Les rampants se coulaient dans les granges, sous les planchers, surgissant pour trancher des jarrets avant que les proies n’atteignent les portes. Les carapacés éventraient les palissades, bois éclaté sous les pinces et les lames. Les anthropomorphes bondissaient de toit en toit, laissant derrière eux des cadavres étouffés dans les draps. La résistance s’organisait, oui… mais trop tard. La cloche sonnait, les miliciens hurlaient, et déjà les cocons nerveux s’accrochaient aux charpentes pour dresser de nouveaux relais psychiques. Sans Anakha pour guider directement, l’essaim avançait plus lentement, mais il avançait, inexorable.

Lui, il avait les yeux fixés ailleurs.

Le vampire avait bougé. Trop vite, trop fluide, un mouvement que peu d’humains auraient pu suivre. Mais ses nouveaux yeux fauves l’avaient saisi, sans perdre une miette de cette vélocité inhumaine. Et malgré lui, Anakha en fut impressionné. Ses pupilles se rétrécirent, s’adaptant, mesurant chaque geste, chaque tension du corps adverse. Mais être capable de voir ne signifiait pas pouvoir agir assez vite au besoin ... Et encore moins pouvoir le suivre s'il décidait de fuir et de signaler sa présence au monde. Et Anakha n'était pas encore prêt à subir une attaque combinée de plusieurs nations, surtout si Tekhos choisissait de participer ...

L’armure chitineuse craqua doucement lorsqu’il écarta une aile. Il avait confiance. Si ce qu’il pressentait était vrai, sa chair renforcée pouvait encaisser des tirs de railgun. Mais aucune armure n’était parfaite. Il savait que toute cuirasse avait ses interstices, ses points faibles. Et la force brute de cet être lui restait inconnue.

Il écouta. La voix portait la froideur du calcul, sans ferveur, sans soumission. Pas une menace, pas une supplique. Une proposition. Fascination et pragmatisme mêlés.

"Tu dis pouvoir être utile…", énonça Anakha, et au même instant, en contrebas, un carapacé ouvrit ses élytres dans un craquement humide. "En quoi ?".

Le chasseur terranide prisonnier des ronces s’agita, tirant en vain sur la liane qui lui sciait la peau. L’essaim encerclait toujours l’intrus, crocs et pinces tendus, mais aucun ordre n’avait jailli pour frapper, laissant le chasseur comme un cobbaye, un exemple à laisser à son interlocuteur. La chasse continuait, mais l’instant s’était figé entre eux deux.

En contrebas, les villageois croyaient leur résistance ralentir l’assaut. Quelques barricades tenaient encore, arcs décochaient des traits paniqués, forçant les rampants à se disperser. Mais ce n’était qu’une illusion : la nuée se réorganisait, bâtissait de nouveaux relais de fortune dans les greniers et les poutres. Dès que la toile serait complète, la vague se refermerait.

Anakha, lui, attendait la réponse du vampire. Ses yeux fauves brillaient d’un éclat de défi, mélange de curiosité et de menace.

En contrebas, Erstonia se débattait dans son agonie.

Les villageois s’étaient regroupés sur la place centrale, là où l’essaim ne pouvait encore les atteindre, tant qu’il n’aurait pas tissé plus de relais ou qu’Anakha ne les aurait pas rejoints. Deux miliciens, à peine mieux équipés que des chasseurs, tentaient d’organiser une ligne derrière des tables renversées. Des flèches partaient, sifflaient dans la nuit, certaines trouvant leur cible. Un rampant s’effondra, transpercé à travers la gorge. Un autre recula en claquant des crochets. L’espoir vibra un instant, fragile, dans le cœur des défenseurs.

Puis les carapacés atteignirent les barricades.

Le bois vola en éclats sous leurs pinces, les lames osseuses labourant les tables comme si elles n’avaient été que foin sec. L’un d’eux, massif, stoppa sa charge, ses élytres se soulevant dans un craquement. De l’ouverture, un grouillement immonde jaillit : une masse de petites créatures aux multiples tentacules chitineux, peu aptes à se déplacer seules mais avides. Elles se jetèrent sur les femmes terranides, les ligotant dans une étreinte visqueuse, les immobilisant au sol.

Un instant, certains crurent qu’elles étaient épargnées. Les parasites ne mordaient pas, ne déchiraient pas : ils s’enroulaient. Mais l’illusion s’éteignit aussitôt dans les hurlements. Les tentacules palpèrent, sondèrent, pénétrèrent. Les cris se muèrent en sanglots d’horreur.

Les hommes, eux, n’eurent pas cette “clémence”.
Un jeune terranide, arc encore en main, fut saisi par les pinces d’un carapacé. Son torse craqua, ouvert en deux, avant d’être porté à la gueule du monstre. La chair disparut dans un bruit de succion immonde, et les entrailles fumantes éclaboussèrent les planches. D’autres furent littéralement déchiquetés, les rampants se disputant des morceaux encore chauds, leurs crochets claquant dans un festin obscène.

Les anthropomorphes frappaient dans l’ombre. Une silhouette surgit d’une fenêtre entrouverte, attrapa un homme-chat par derrière et l’entraîna dans la maison, les cris cessant aussitôt. Plus loin, une femme-lynx fut saisie, projetée au sol, les tentacules l’enserrant déjà. Elle se débattait, hurlait, mais ses griffes n’entamaient pas la chitine gluante.

Sur la place, la cloche du temple résonnait encore, portée par un vieil homme-chat qui refusait de lâcher la corde. Ses mains saignaient, sa gorge se brisait à force d’appeler à l’aide. Mais chaque son de la cloche semblait attirer davantage l’horreur, comme un phare dans la nuit.

À travers les relais psychiques improvisés, Anakha sentait tout : la peur brute, les prières étouffées, les chairs déchirées, les cris des femmes capturées. La toile mentale vibrait de leur panique, se gorgeait de leur désespoir.

Un relais après l’autre, l’essaim avançait, méthodique, implacable.

5
Anakha accueillit Deirdre contre lui sans un mot, ses bras massifs s’ouvrant simplement pour l’y recevoir. Elle se coula dans son étreinte comme l’eau d’une rivière trouve son lit, et lui referma aussitôt son corps autour du sien. Ses muscles d’acier se tendirent, la maintenant serrée contre son torse nu. Pas pour la contraindre mais pour l’abriter, pour la garder, pour faire rempart de sa chair.

Il inspira lentement. L’air froid entra dans ses poumons comme une morsure, mais ce n’était pas cela qu’il cherchait. Ce qu’il voulait, c’était l’odeur qui venait d’elle : humidité des feuilles, cendres encore fumantes, sueur de combat et parfum plus subtil, qu’il n’aurait su nommer mais qu’il grava dans sa mémoire. Chaque inspiration le calmait un peu plus, ses grognements rauques se transformant en un souffle plus régulier.

Sa main se mit à bouger, presque malgré lui. Ses doigts rugueux glissèrent le long de sa colonne, traçant les reliefs humides de son dos. Ils descendirent jusqu’à la cambrure de ses reins, puis plus bas encore, effleurant la rondeur de ses fesses qu’il pétrit un instant, d’une pression ferme mais lente. Ses paumes suivirent ensuite la longueur de ses cuisses, reviennent sur ses hanches, puis remontèrent jusqu’à sa nuque, où elles restèrent, lourdes, massant doucement la naissance de ses cheveux trempés. Ce n'était pas une invitation. Simplement une détouverte du corps lové contre le sien.

Ses gestes étaient maladroits, hésitants parfois, mais chaque caresse portait une gravité brute : celle d’un homme qui ne savait pas dire, alors il touchait. Il la parcourait lentement, comme pour apprendre par ses mains ce que ses yeux seuls ne suffisaient pas à comprendre.

À chaque respiration, sa poitrine se soulevait. Sa cage thoracique massive écrasait doucement la tunique humide de Deirdre, et il sentit ses propres pectoraux durs presser ses formes plus tendres. À chaque inspiration profonde, il la soulevait presque, et à chaque expiration il redescendait dans une pression lente, lourde, régulière. Ce mouvement créait un rythme muet, une pulsation que son corps imposait malgré lui, berceuse charnelle calée sur son souffle.

Son bas-ventre, lui, ne changeait pas. Sa virilité, gonflée en permanence, pressait contre le ventre de l’ange-fée par la seule force de la proximité. Ce n’était pas un appel, pas une demande : juste un état constant de son corps, une tension qu’il ne contrôlait jamais vraiment. Mais il ne tenta rien de plus, se contentant de l’envelopper, de l’abriter, de se lover autour d’elle comme une cuirasse chaude.

Ses doigts reprirent leur lente ronde, suivant une trajectoire presque circulaire : dos, reins, fesses, cuisses, hanches, nuque, et retour. Parfois il s’arrêtait plus longtemps, pétrissant une hanche, glissant son pouce sur le creux d’une fesse, pressant sa paume sur le haut d’une cuisse. Puis il remontait, caressant la ligne de son dos jusqu’à la nuque, où il massait encore un peu, avant de recommencer. C’était mécanique et tendre à la fois, répétitif comme un battement de cœur, comme s’il avait besoin de ce mouvement pour s’ancrer lui-même.

Sa tête se pencha. Son front trouva les cheveux humides de Deirdre, y resta posé, lourd. Sa bouche, maladroite, se posa par deux fois sur son crâne, dans des baisers brefs, secs, presque fébriles. Ses lèvres n’avaient pas l’habitude de ce genre de geste, mais il le fit quand même, comme si ses instincts seuls guidaient sa main et sa bouche.

Le feu craquait doucement, ses braises rougeoyantes jetant sur leurs corps mêlés une lumière chaude. Le dos d’Anakha luisait par endroits d’humidité et de sueur, ses muscles saillant sous la peau marquée. À chaque inspiration, ses omoplates se soulevaient, à chaque expiration elles redescendaient, imprimant ce rythme calme à la jeune femme contre lui.

Ses doigts se firent plus lents, plus délicats encore. Il les laissa courir sur la courbe de sa cuisse, puis les remonta pour suivre la ligne de sa taille. Ses paumes chaudes glissèrent ensuite jusqu’à son dos, qu’il couvrit toute entier comme pour l’envelopper dans ses mains. Enfin, il les laissa descendre encore, pressant sa hanche pour la rapprocher, scellant contre lui cette proximité déjà totale.

Il ne dit rien. Son souffle rauque parlait pour lui, grondant doucement à son oreille, se mêlant à sa respiration plus légère. Ses bras, repliés autour d’elle, se resserrèrent, l’emprisonnant dans une chaleur qui n’avait rien d’un combat, mais tout d’un serment silencieux. Ses doigts continuaient à parcourir son dos, ses reins, sa nuque, ses cuisses, dans un cycle lent et sans fin.

Son corps entier vibrait de cette tension contenue, mélange d’instinct, de désir et de tendresse brute. Mais il ne céda pas. Il resta immobile, sinon pour ces caresses lentes, la tenant serrée, son torse nu pressé contre sa poitrine, sa virilité tendue mais muette contre son ventre.

Et dans ce silence, Anakha sut que c’était assez. Pas besoin de mots. Pas besoin de rugir ni de prendre. Il suffisait d’être là, de l’entourer, de brûler doucement pour deux.

6
La plume brûle. Chaque battement de son cœur l’enfonce davantage dans la chair, comme si elle cherchait à lui perforer l’os. La douleur n’a rien perdu de sa morsure. Elle est devenue une compagne, gravant le souvenir de Deirdre plus sûrement qu’aucune mémoire. Son visage, ses lèvres, sa chaleur… et puis l’absence. Il ne lui reste que ce gage d’amour, transformé en supplice.

Anakha ouvre les yeux. Le reflet de la lune se prend dans ses iris fauves, plus vifs, plus agressifs qu’autrefois. Sa silhouette n’est plus celle de l’homme trouvé sur un champ de bataille : Son corps est désormais gainé d’une chitine grise, organique, veinée de lignes sombres qui épousent chaque muscle comme une armure vivante. Ses yeux fauves brillent dans la nuit, agressifs, inhumains. Dans son dos, de grandes ailes membraneuses s’étendent, semblables à celles d’un insecte gigantesque : fines, veinées, presque translucides par endroits, mais vastes et puissantes, capables de couvrir son ombre tout entière. Sur son pectoral gauche, juste sous la clavicule, une plume bleue irisée est incrustée dans la carapace, horizontale, luisant d’une clarté froide à chaque battement de son cœur.

Derrière lui, l’essaim respire. Des dizaines de créatures, fruits de sa volonté et de sa semence, bruissent d’impatience.

Les rampants, hexapodes nerveux de 4 pieds de haut, penchés en avant, à peine plus hauts qu’un enfant, mais terriblement rapides, se coulent déjà dans les herbes hautes, chitine sombre collée au sol. Leurs pattes griffues frappent sans bruit, leurs crochets claquent dans l’air. Ils sont rapides, invisibles, parfaits pour couper la fuite.

Les carapacés suivent, masses cuirassées, quadrupèdes marchant à la fois sur jambes et sur bras, pinces et lames dressées devant eux. Leurs lourdes élytres vibrent parfois, comme si elles cachaient des ailes prêtes à se déployer. Chacun est un bélier vivant, taillé pour éventrer une palissade.

Plus haut, dans les arbres et sur les toits, se glissent les anthropomorphes. Bipèdes, quatre bras repliés contre eux, visages masqués d’une chitine sombre où brillent des orbites vides. Leurs yeux n’ont aucune utilité : ils ne sont là que pour imiter. Leur chasse se fait au son, à l’odeur, aux vibrations. Ils avancent sans un bruit, toujours à portée de bond.

Entre les branches et les charpentes, les arachnomorphes tissent leurs toiles nerveuses, érigeant des relais psychiques de fortune : excroissances translucides qui lient chaque unité à la conscience d’Anakha. Plus loin, dans les bois, des tours plus massives, tissées depuis des jours, palpitent d’un éclat humide, irradiant sa volonté dans toute la vallée.

Et, plus loin encore, sur les falaises de l’Ouest, les scarabées géants s’ébranlent. Deux mètres au garrot sans la corne, cuirasses hérissées de crocs chitineux. Trop massifs pour la discrétion, ils ne participeront pas à l’assaut. Mais quiconque tentera de fuir vers les hauteurs trouvera leur ombre et le gouffre.

C’est alors qu’Anakha le sent. Une pensée étrangère a effleuré le réseau, glaciale, étrangère. Une présence solitaire, là-haut, sur la falaise. Ce n’est pas Deirdre. Ou peut-être ? Ses souvenirs sont flous, ses certitudes fragiles. Il n'avait pas connaissance de tous ses pouvoirs alors. Alors il ne prend pas de risque. Quelques rampants se détachent déjà de la masse, accompagnés d’un scarabée, et commencent à contourner l’intrus. Pas d’assaut direct : seulement l’ombre, l’étau qui se referme lentement, à distance.

En contrebas, Erstonia dort encore.

Sur la palissade, un garde renard plisse les yeux. Le vent lui porte une odeur qu’il ne connaît pas, entre la charogne et la braise. Ses oreilles se dressent. Un instant, il croit voir une ombre bouger entre les arbres. Il tend l’arc. Derrière lui, le village sommeille, inconscient.

Un mouvement. Une silhouette bipède se hisse d’un bond sur le chemin de ronde. Trop près. Trop vite. Le garde n’a pas le temps de crier. Ses orbites vides se fixent sur lui, puis les bras se déploient. Quatre. Trop de bras. Le premier coup tranche la corde de son arc. Le second lui ouvre la gorge. Le garde s’effondre sans un son.

Plus loin, dans les maisons des faubourgs, d’autres tombent ainsi, égorgés dans leur sommeil, étranglés dans leur lit. Le massacre est déjà en cours.

Les rampants franchissent la rivière au sud dans un clapotis à peine audible.
Les carapacés atteignent la palissade, pinces levées, prêts à trancher le bois.
Les anthropomorphes escaladent les façades, se hissent jusqu’aux greniers, se glissent dans les charpentes.
Et dans les ruelles, des cocons nerveux apparaissent déjà, fils translucides s’accrochant aux poutres, au sommet des toits, dans l’ombre des granges. Le village devient une toile.

La cloche du temple retentit soudain, brisant le silence comme un cri. Un vieil homme-chat, sorti d’un rêve brûlant, l’a frappée de toutes ses forces. Le bruit se répand comme un cri dans la vallée. Des chiens-loups aboient, affolés, avant d’être réduits au silence. Des volets claquent, des silhouettes se précipitent vers la place. Dans l’auberge, les tables basculent pour former des barricades. Les miliciens hurlent des ordres, arcs levés, trop peu nombreux, trop mal préparés.

Tout autour d’eux, l’essaim resserre l’étau.

Pas un cri, pas un rugissement. L’assaut est muet. Seule résonne la cloche, désespérée, tandis que la chasse commence.

7
Anakha resta immobile. Ses yeux fauves ne quittaient pas Deirdre, mais son corps entier semblait figé par ce qu’elle venait de dire. Le feu crépitait, jetant sur son visage des ombres rouges et noires, et dans cette lumière vacillante on aurait pu croire qu’il n’était qu’une statue de pierre brute, un roc sculpté par la douleur. Mais ses yeux seuls bougeaient, brûlants, dévorant chacun de ses mots, chacun de ses tremblements.

Quand elle parla de ses cinq ans, de sa mère tombée et de son père lui enfonçant cette plume sanglante dans la chair, Anakha sentit un frisson courir le long de son dos, violent, incontrôlé. Son souffle rauque se bloqua dans sa gorge, comme si l’histoire qu’elle déroulait n’était pas seulement un souvenir lointain mais une lame qui s’enfonçait, ici et maintenant, dans sa propre poitrine. Il aurait voulu rugir, protester, hurler sa colère contre ce père qui avait fait d’elle un outil de vengeance plutôt qu’une enfant. Mais aucun son ne sortit. Seule sa mâchoire se crispa, ses crocs se serrèrent, et son torse massif vibra d’un grognement retenu.

Il se pencha un peu plus, son front pressant contre le sien, comme s’il avait peur qu’elle s’effondre sous le poids de ses propres aveux. Son souffle chaud, irrégulier, caressait ses lèvres sans les toucher. Sa main, toujours posée sur sa cicatrice, se crispa plus fort, ses doigts rugueux s’ancrant à sa peau comme pour y puiser une part de ce fardeau. Et lorsqu’elle termina, lorsqu’elle lui avoua qu’elle n’avait jamais voulu autant qu’il soit celui qui connaisse ce secret, alors Anakha céda. Pas aux mots. Aux gestes.

Sa main libre quitta enfin celle qu’il tenait, mais ce ne fut que pour venir encadrer son visage. Son pouce, maladroit, passa sur sa joue humide, effaçant une larme qui avait échappé malgré elle. Il ne dit rien. Mais son regard, ses yeux fauves vibrants d’une intensité brute, parlaient à sa place : elle pouvait s’effondrer, elle pouvait hurler, elle pouvait brûler jusqu’à se consumer. Lui resterait.

Ses lèvres se posèrent sur son front, brutales, presque maladroites, mais tenues là, longtemps, comme un serment muet. Le feu crépitait, le vent portait encore l’odeur âcre de sève et de pluie, mais tout cela n’existait plus. Il n’y avait que ce contact, sa chaleur à elle et sa brûlure à lui, soudés dans une proximité sans masque.

Quand enfin il se redressa, ses doigts glissèrent le long de son flanc pour revenir à la cicatrice. Il la suivit du bout des doigts, lentement, comme pour en graver le tracé dans sa mémoire. Et sa gorge vibra, une parole rauque, brisée, finit par s’échapper :

Tu n’étais qu’une enfant.

Ses yeux, pourtant, restaient ancrés dans les siens. Pas de pitié. Pas de faiblesse. Mais une fureur contenue, dirigée contre le monde, contre ce destin qui l’avait marquée.

Il inspira profondément, son torse puissant se soulevant dans un souffle tremblant. Puis il parla à nouveau, d’une voix basse, chaque mot semblant lui arracher un peu de chair :

"Tu crois porter un fardeau. Moi je vois une preuve. La preuve que tu as survécu à ce que personne n’aurait dû supporter. La preuve que tu es plus forte que tous ceux qui ont voulu t’effacer."

Sa main se posa à nouveau sur la sienne, la serrant avec force.

Et je ne laisserai plus personne t’imposer ça seul.

Le silence revint, lourd, vibrant. Anakha ne le rompit pas. Il ne savait pas enrober ses promesses de belles paroles. Mais il agissait. Toujours. Sa main descendit, se logea à sa taille, puis il l’attira doucement contre lui, jusqu’à ce que son front retrouve le creux de son cou. Il la garda là, serrée, respirant son odeur, sentant ses frissons.

Ses doigts continuaient à caresser la cicatrice, non plus comme une blessure, mais comme une marque sacrée. Et dans ce geste, il y avait une forme de vénération muette, brute, maladroite, mais d’une sincérité brûlante.

Enfin, dans un souffle qui vibra contre son oreille :

Ce pouvoir qui te consume… alors je brûlerai avec toi.

Il ne dit rien de plus. Ses bras firent le reste : ils se refermèrent sur elle, non pour l’emprisonner, mais pour l’engloutir dans sa chaleur. Comme si, par sa simple étreinte, il voulait lui arracher un peu de ce fardeau, en porter sa part, et lui rappeler que désormais, elle n’était plus seule à affronter les tempêtes.

Ses bras restèrent longtemps autour d’elle, sa chaleur l’entourant comme un manteau plus sûr que n’importe quelle armure. Il ne parlait plus, son souffle lourd se perdait dans ses cheveux, mais ses gestes suffisaient : ses doigts caressant toujours sa cicatrice, sa main serrée à la sienne, tout son corps tendu vers elle.

Puis il se redressa légèrement. Ses yeux fauves cherchèrent les siens, brillants d’une intensité farouche. Et sans un mot, Anakha abaissa son visage vers elle.

Le baiser fut d’abord hésitant. Ses lèvres, sèches, maladroites, effleurèrent les siennes comme si c’était un territoire inconnu, plus redoutable encore que les champs de bataille. Puis, lentement, il s’y ancra, sa bouche pressant la sienne avec une gravité brûlante, contenue, sans violence. Un baiser sans promesse autre que celle qu’il avait déjà dite : rester.

Ses doigts glissèrent jusqu’à sa nuque, la tenant avec une douceur rare, tandis que l’autre main, encore posée sur sa cicatrice, la protégeait comme un sceau. Son souffle vibrait entre leurs lèvres, presque tremblant, comme si c’était lui cette fois qui craignait de se briser.

Quand il rompit enfin le contact, ce ne fut que pour murmurer, bas, contre sa bouche :

Tu n’es pas seule.

Et dans ce simple geste, dans ce baiser, Anakha avait dit tout ce qu’il ne savait pas mettre en mots.

8
Anakha ne parla pas. Pas tout de suite. Ses yeux, fauves et sombres, restaient fixés sur elle comme si chacun de ses mots avait ébranlé quelque chose en lui. Il écoutait sans ciller, comme frappé par une vérité qu’il ne s’attendait pas à entendre. Les flammes du feu jouaient sur le visage de Deirdre, révélant tour à tour sa force nue et les ombres de ses blessures, et Anakha se surprit à se tendre vers elle, comme si son corps voulait réduire cette distance dérisoire qu’il y avait entre eux.

Chaque mot qu’elle avait prononcé l’avait marqué au fer rouge. Elle avait parlé de ses cicatrices invisibles, de son sang mêlé, de ce rejet qu’elle avait subi toute sa vie. Elle avait évoqué la cruauté des siens, l’épée levée contre elle simplement parce qu’elle était née différente, parce qu’elle représentait une union qu’on jugeait impure. Anakha, le mercenaire, l’homme marqué par les fers, sentit cette confession se graver en lui comme une blessure de plus, sauf que celle-là, il ne voulait pas la refermer.

Il aurait voulu répondre. Lui dire que ceux qui avaient tenté de l’effacer n’étaient rien face à ce qu’elle était, que sa lumière brillait bien plus fort que leurs jugements. Mais aucun son ne franchit sa gorge serrée. Les mots se coinçaient, étouffés par quelque chose de trop grand pour lui : l’admiration brute, le respect, cette envie violente de la protéger encore et encore.

Alors il fit ce qu’il savait. Ses mains, larges et rugueuses, agirent à sa place. Il recouvrit la sienne, ses doigts calleux enfermant les siens avec une force contenue, presque trop grande, comme s’il craignait qu’elle s’efface au moindre souffle de vent. Ce n’était pas une caresse délicate, pas un geste appris : c’était instinctif, brutal de sincérité. Une manière de dire je t’ai entendue, je ne te lâche pas.

Puis, maladroitement, il se pencha. Sa nuque ploya, son torse massif se rapprocha, et il abaissa son front contre le sien. Son souffle rauque se mêla au sien, chaud, irrégulier, encore marqué par l’émotion qu’il ne savait pas contrôler. Là, dans ce contact brut, il lui donna tout ce qu’il n’arrivait pas à dire : son admiration muette, son envie de la retenir, la promesse silencieuse qu’elle n’était plus seule.

Ses yeux se fermèrent une seconde. Dans cette obscurité, il écouta le rythme de sa respiration, sentit la chaleur de sa peau contre la sienne. C’était comme un ancrage, comme si ce simple geste suffisait à l’empêcher de dériver dans un monde qu’il comprenait si mal. Elle, en revanche, il comprenait : pas ses origines, pas ses combats passés, mais cette force farouche qui transperçait ses mots et qui l’attirait irrésistiblement.

Son autre main, jusque-là posée sur ses genoux, remonta avec lenteur. Il hésita, comme si chaque centimètre parcouru demandait un effort. Ses doigts glissèrent le long de son flanc, effleurèrent la courbe de sa taille, puis s’arrêtèrent sur le point exact qu’elle avait désigné quelques instants plus tôt. Là où la cicatrice brûlait encore.

Il la trouva sans mal. Après tout, il l'avait déjà vue. Sa paume large recouvrit la marque, sa chaleur brute contrastant avec le frisson qui traversa Deirdre au contact. Sa main se crispa d’abord, comme s’il voulait la protéger de cette blessure invisible, puis ses doigts se détendirent et suivirent doucement le tracé, maladroits mais pleins d’une tendresse farouche. Il ne cherchait pas à effacer la cicatrice. Il ne la voyait pas comme une faiblesse. Il voulait seulement la toucher, pour la connaître, pour comprendre ce qu’elle représentait.

Il resta ainsi longtemps, immobile, ses deux mains l’enserrant : l’une sur sa cicatrice, l’autre serrée à la sienne. Pas un mot. Pas une explication. Seulement sa force offerte comme un rempart silencieux, son front appuyé contre le sien, son souffle mêlé au sien. Pour une fois, Anakha n’était pas le guerrier brutal, ni la bête rugissante. Il n’était qu’un homme, figé dans une admiration muette, incapable de lâcher celle qui avait osé se mettre à nu devant lui.

Et quand enfin il rouvrit les yeux, ce fut pour la regarder droit, sans détour. Ses iris fauves brillaient d’une intensité presque douloureuse. Sa gorge vibra, ses lèvres s’entrouvrirent. Une seule phrase s’éleva, basse, rauque, vibrante comme un grondement retenu :

"Cette cicatrice… d’où vient-elle ?"

Le murmure ne se perdit pas dans le craquement du feu. Au contraire, il semblait emplir tout l’espace. Ce n’était pas seulement une question. C’était un aveu. Qu’il voulait savoir. Qu’il voulait porter un peu de ce poids, comprendre ce qu’elle avait enduré. Dans ses yeux, il n’y avait ni curiosité malsaine ni pitié, mais une inquiétude brute, presque douloureuse, et l’admiration silencieuse d’un homme qui voyait en elle non une blessure, mais une preuve de courage.

Ses doigts restèrent posés sur la cicatrice, chauds, immobiles, comme pour signifier qu’il ne la lâcherait pas tant qu’elle n’aurait pas décidé elle-même de lui confier son histoire. Et dans le silence qui suivit, il demeura là, tendu vers elle, brûlant d’envie de la réconforter sans savoir comment, se contentant de lui offrir ce qu’il avait de plus vrai : sa présence, sa chaleur, sa force, et ce regard qui la plaçait au-dessus de tout.

9
La plume brûle. Chaque pulsation de son cœur l’enfonce plus profondément dans la chair, comme si elle cherchait à perforer l’os. La douleur, constante, insupportable, est devenue une compagne. Elle n’éteint pas le souvenir de Deirdre : elle le grave. Le visage de la demi-ange, ses lèvres, sa chaleur… puis l’absence. Au matin, il n’y avait plus qu’un lit froid et ce gage d’amour transformé en supplice.

Anakha sait qu’elle vit encore. Il le sent. Et chaque battement douloureux le pousse à avancer, à bâtir, à conquérir.

Derrière lui, l’essaim attend. Des dizaines de silhouettes grouillantes, fruits de sa semence et de son pouvoir. Les corps luisent sous la lune, couverts de chitine, de chairs cicatricielles, d’appendices tranchants. Certains rampent sur plusieurs membres, d’autres marchent presque droit, gardant une silhouette vaguement humaine où brillent des yeux vides. Tous respirent au même rythme, un grondement discret et profond qui se mêle au vent nocturne.

Là où son esprit seul ne pourrait les atteindre, des relais psychiques s’élèvent, tours de chair et d’os formées à partir de ses premières expériences. Reliés à lui par un fil invisible, ces organismes transmettent ses pensées de proche en proche. Un murmure suffit, et l’ordre parcourt la nuée comme une onde nerveuse. Ses créatures n’ont pas besoin de voix. Elles obéissent à la volonté nue, totale.

En contrebas, le village terranide s’étend dans un repli de terrain, invisible à qui ne connaît pas la vallée. C’est un lieu choisi par la nature pour survivre :
Adossé à une colline qui fait office de rempart naturel.
Bordé par un lac à l’est, dont les eaux noires reflètent les étoiles.
Protégé par une rivière sinueuse qui coule au sud, servant à la fois d’abreuvoir et de barrière.
Entouré de bois épais au nord, formant un écran parfait contre les regards.

Un nid idéal. Stratégiquement isolé, mais fertile et défendable. C’est ici qu’Anakha bâtira sa première ruche. De ce village, il étendra son territoire, toujours plus loin, jusqu’à ce que les mondes mêmes cèdent. Jusqu’à ce que Deirdre soit à portée de ses bras.

Il observe les toits pointus, les lueurs des feux qui s’éteignent, les silhouettes endormies derrière les vitres. Mais plus que tout, il scrute. Chaque pensée étrangère qui effleure ses relais est examinée, fouillée, disséquée. Une partie de lui espère, absurdement, reconnaître une fragrance mentale, une étincelle semblable à celle de Deirdre. Rien, pour l’instant. Mais il cherche encore. Il cherchera toujours.

Ses troupes se déploient. Les plus massives bloquent les sentiers à l’ouest. Les rampants s’infiltrent le long des berges au sud, coupant l’accès à l’eau. Les carapacés grimpent dans les arbres au nord, prêts à fondre comme des prédateurs ailés. À l’est, sur la colline, il place ses créatures les plus vives, celles capables de poursuivre quiconque tenterait de fuir.

L’encerclement est parfait. Invisible. Irréversible.

Il ferme les yeux, inspire. Toute la vallée respire avec lui. La douleur au cœur pulse, mais il la canalise, la transforme en arme. Son sourire s’étire, cruel et froid.

Un murmure, à peine audible, s’échappe de ses lèvres :

"Maintenant."

Le mot file dans les relais, se démultiplie, se grave dans chaque créature. Pas un cri, pas un hurlement de guerre : seulement le silence oppressant de la chasse. L’essaim bouge comme un seul corps, chaque pas, chaque souffle synchronisé.

Dans la vallée endormie, le dernier instant de paix s’achève.

10
Les contrées du Chaos / Ruche d'Anakha [Entrée libre Sans limite]
« le: mardi 02 septembre 2025, 13:52:02 »

Ruche :
Population : ≈ 2000 à 2500 organismes vivants (ruche en expansion constante)
Composition : 45% rampants, 30% carapacés, 10% anthropomorphes, 10% pondeuses et relais.
Défense : Essaim en croissance, perception psychique partagée, carapaces lourdes aux abords.

Perché autrefois dans une vallée oubliée, Erstonia n’est plus un village, mais le premier organisme territorial de la nuée d’Anakha.
Ses fondations humaines ont disparu, remplacées par une architecture vivante qui croît, s’adapte et respire.

Les anciennes maisons terranides se sont changées en alvéoles charnelles.
Les poutres sont devenues des tendons, les murs des membranes translucides parcourues de veines.
La palissade s’est muée en couronne chitineuse hérissée de crochets et de glandes défensives.
Le temple abrite désormais un cœur-matrice, un organe vibrant dont les pulsations rythment celles de la ruche entière.
L’auberge, jadis centre du hameau, est devenue le premier bassin de gestation : les pondeuses y sécrètent une lymphe nutritive où flottent des embryons translucides qui se reforment, se divisent, se spécialisent.

La rivière du sud, détournée, alimente ces bassins.
Sa couleur, jadis claire, s’est changée en rouge noirâtre, saturée de matière organique.
Sur ses rives, d’anciennes femmes terranides, désormais hôtes permanentes, nourrissent les incubateurs par pulsations périodiques.
Certaines, figées dans une transe catatonique, respirent au même rythme que la ruche : ni mortes, ni vraiment conscientes.

La falaise de l’ouest sert d’abri aux carapacés lourds, gardiens dormants qui s’animent à la moindre alerte.
Leur carapace s’ouvre parfois pour libérer des nuées de petits organismes rampants, parasites aveugles qui colmatent, réparent ou dévorent les intrus.
La forêt du nord, envahie de relais psychiques, palpite d’une lumière sourde : chaque tronc creux abrite une antenne vivante qui transmet les ordres d’Anakha à des kilomètres à la ronde.

Le lac, lui, a été sanctifié en un immense miroir nutritif.
Sous sa surface, des poches de couvée s’étendent : un entrelacs de membranes et de vaisseaux où s’élèvent de nouvelles générations.
La brume au-dessus de l’eau n’est plus naturelle — elle pulse, rougeâtre, au rythme des pondeuses.

La population croît d’heure en heure :

Les rampants patrouillent entre les alvéoles et les berges.

Les carapacés bâtissent les structures, se greffant parfois eux-mêmes à la paroi.

Les anthropomorphes, premières générations stabilisées, veillent et adaptent les fonctions de la ruche.

Les pondeuses et relais nerveux régulent la température, la croissance et le lien psychique global.

L’ensemble forme une entité cohérente : un cerveau étalé, une cité vivante en constante expansion.
Les nouveaux nés rejoignent la masse ; les plus anciens se fondent dans les murs ou deviennent de nouvelles fondations.
La vallée entière semble respirer, vibrer, penser, une pensée collective, froide et méthodique, entièrement tournée vers l’expansion.

Erstonia n’est plus un lieu : c’est un être.
Un organisme colossal dont la chair s’étend déjà au-delà de la vallée.
Les hameaux voisins sentent les vibrations sous leurs pieds, les forêts perdent leur faune, et les rivières commencent à charrie un goût de fer et de sel. Là où autrefois le marteau du forgerons résonnait à l'approche du village, ce sont les cris de plaisir et de désepoir qui accueillent aujourd'hui le visiteur imprudent.



Spoiler: "anciennement" (cliquer pour montrer/cacher)

11
Anakha déposa Deirdre sur une pierre plate hors de l’eau, puis s’avança, le regard fauve scrutant les environs. La tempête avait tout éventré : branches, troncs, pierres retournées. Mais leurs affaires étaient quelque part, semées par le cyclone.

Deirdre n’attendit pas ; elle fouillait déjà du côté opposé, ses ailes repliées dans son dos. Anakha ne protesta pas. Il savait qu’elle n’était pas femme à rester immobile. Alors ils cherchèrent ensemble.

Le sol était lourd, détrempé. Chaque pas s’enfonçait avec un bruit de succion, chaque mouvement soulevait l’odeur forte de terre retournée et de sève répandue. À plusieurs reprises, Anakha dut pousser un tronc arraché ou soulever une grosse pierre, libérant sous son poids un morceau de tissu, une sacoche entrouverte, un éclat métallique.

Peu à peu, tout reparut : les vêtements de Deirdre, détrempés mais entiers, ses armes gisant sous un amas de feuilles, son sac accroché à une racine arrachée. Elle poussa un souffle de soulagement en récupérant son équipement, ses doigts glissant presque avec tendresse sur le métal de ses lames. De son côté, Anakha retrouva son manteau, un peu poussiéreux mais resté sec sous un pan de roche, et ses bottes jetées plus loin par le vent. Ils rassemblèrent tout au pied d’un rocher, un souffle rauque d’Anakha ponctuant enfin la fin des recherches.

"Nous sommes chanceux, on dirait."

Ils se rhabillèrent, presque à regret, les tissus collant encore à leur peau humide. Le silence, entre eux, était celui de l’apaisement après la tempête. Puis Anakha disparut quelques instants, suivant les traces à l’orée de la clairière. Lorsqu’il revint, ses épaules ployaient sous le poids d’un cerf brisé par la tempête. Il le jeta près du foyer improvisé, avec un bruit sourd.

"On mangera."

Il se mit aussitôt au travail. Ses gestes étaient secs, précis : il fendit du bois, empila les branches sèches arrachées par la tempête, frappa pierre contre acier. Les étincelles jaillirent, vite avalées par l’amadou, et bientôt une flamme crépitait, réchauffant la nuit humide. L’odeur âcre du bois brûlé recouvrit peu à peu celle des feuilles mouillées, et ils mirent une partie de leurs vêtements à sécher.

Il dépeça l’animal avec une habitude brute, ses mains agissant sans hésitation, comme s’il avait répété ce geste toute sa vie. La chair fut tranchée, séparée des os, et il suspendit une patte au-dessus du feu tandis qu’il disposait racines et baies sur une pierre chauffée. Les senteurs de viande grillée, de sève fumante et de graisse qui crépite emplirent l’air, couvrant peu à peu la lourde odeur du sol détrempé.

Lorsqu’il vit Deirdre frissonner, privée de sa cape trempée, Anakha enleva son propre manteau sec et le lui posa sur les épaules.

"Prends ça."

Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il secoua la tête, presque agacé.

"Je n’ai pas besoin de chaleur. Pas comme toi."

Il ne dit rien de plus, reprit place près du feu. Le silence dura, rythmé seulement par le crépitement des flammes et le sifflement discret du vent qui s’apaisait dans les arbres. Puis, lorsqu’il jugea la viande cuite, il coupa un morceau et le lui tendit.

"C’est coriace. Mais ça tiendra au ventre."

Il attendit qu’elle croque avant de prendre le sien. Leurs gestes étaient simples, presque ordinaires. Un morceau de racine, une baie chaude, un bout de viande cuite. C’était de la cuisine de fortune, mais à deux, cela devenait presque un repas. Anakha mâchait lentement, comme s’il découvrait ce que signifiait manger avec quelqu’un d’autre que lui-même.

Le silence, pourtant, n’était pas lourd. Il se remplissait de petites choses : un soupir de satisfaction de Deirdre, un léger sourire échangé lorsqu’elle se tâcha de jus rougeâtre, une remarque étouffée sur la saveur des baies. C’était banal, et pourtant précieux.

Après un moment, il lâcha un souffle qui ressemblait presque à un rire rauque.

"Je n’aurais jamais cru… partager ça avec toi."

Ses yeux la fixaient, brillants d’une intensité qu’aucune banalité ne pouvait masquer. Puis il reprit, plus bas, comme pour lui-même :

"La chaleur… ce n’est pas pareil, pour moi. Le froid ne me mord pas. Le feu ne m’apaise pas. Je ne sais pas si je suis né comme ça ou… Je sais peu de choses sur moi, en vérité."

Il marqua un silence, le regard noyé dans les flammes.

"Même mon nom… ce n’est que celui inscrit sur mes papiers. Il n’éveille rien en moi. Il paraît que j’ai failli mourir sur le champ de bataille de Tekhos. Je me suis réveillé à l’infirmerie. Mais tout ça n’a aucun sens."

Il secoua la tête.

"Non… ça n’a aucun sens."

D’un geste soudain, il plongea la main dans le feu, saisit un tison rougeoyant. La branche grésilla dans sa paume fermée, une odeur âcre de chair brûlée s’éleva. Mais Anakha ne détourna pas les yeux d’elle. Quand il ouvrit la main, la chair était noircie, à vif ; déjà, pourtant, la blessure commençait à se refermer.

"Je suis plus difficile à tuer qu’il n’y paraît. Beaucoup ont essayé."

Son regard s’assombrit, et ses mâchoires se crispèrent. *J’ai essayé*, ajouta-t-il en lui-même.

"J’ai tâché de mener mon enquête. Mais quand j’en ai eu assez de me faire rire au nez par l’administration tékhane et ma supposée famille, j’ai décidé de partir. Depuis, je parcours le monde. En ne rendant de comptes qu’à moi-même. Et j’ai découvert… beaucoup de choses étranges."

Il reposa le tison, son profil découpé par la lumière rouge du feu.

"Alors… quand je t’ai vue frissonner, ça m’a rappelé que c’est toi qui es vivante. Moi… je ne fais que brûler."

Ses yeux fauves se détournèrent vers la flamme, mais sa voix se fit plus basse, comme un serment intime :

"C’est pour ça que je veux que tu gardes la chaleur. Et que je garde la plume."

Il resta silencieux un moment, ses doigts jouant machinalement avec une brindille.

Il ne dit rien de plus. Ses yeux, pourtant, en disaient davantage que tous les mots qu’il aurait pu trouver.

12
Un instant, Anakha resta figé. Ses yeux fauves, encore assombris par l’effort et la fièvre, fixaient les ailes déployées de Deirdre comme s’il voyait un sacrilège. L’idée même d’arracher une plume, une part vivante d’elle, le glaça. Sa gorge se serra, un grognement rauque lui échappa, plus proche d’une protestation que d’une réponse.

Sa main se leva pourtant, lente, hésitante, tremblante. Ses doigts effleurèrent les plumes irisées, caressant leur douceur irréelle comme s’il craignait qu’elles se brisent sous son toucher. Chaque frisson qui parcourait ses doigts lui donnait l’impression d’un blasphème.

Et pourtant, son regard croisa celui de l’ange-fée. Cette lumière inébranlable, cette certitude claire dans ses yeux. Elle voulait cela. Elle le lui confiait. Pas une punition. Pas une mutilation. Un don.

Alors il inspira profondément, posa son front contre le sien un court instant, puis serra la mâchoire. Ses doigts se refermèrent sur une plume, plus bas, là où l’arrachement serait moins cruel. Et, dans un geste à la fois brutal et précis, il tira.

La plume céda dans un frisson, légère mais lourde comme un serment. Deirdre tressaillit, ses ailes frémirent, et Anakha, aussitôt, resserra son étreinte pour l’empêcher de chanceler. Ses bras l’enveloppèrent, son torse brûlant la soutint, et il serra la plume contre lui comme s’il avait arraché un fragment d’étoile.

Il la contempla, un instant, hypnotisé par ses reflets, avant de la porter contre ses lèvres, maladroitement, dans un baiser court et fiévreux.

Ses yeux se fermèrent un instant, son front reposant de nouveau contre elle. Sa honte, sa peur, ses doutes, tout cela s’effaçait derrière ce geste simple. Il n’avait plus besoin de promettre. La plume suffisait.

Anakha contempla un instant la plume, entre ses doigts encore tremblants. Elle brillait doucement, nacrée malgré l’humidité, comme si elle avait capté et gardé en elle la lumière du cyclone. Il n’avait rien pour la ranger, rien pour la protéger, et l’idée de la voir s’envoler au prochain souffle de vent lui était insupportable.

Alors, sans réfléchir davantage, les yeux plongé dans ceux de Deirdre comme s'il lui faisait un serment, il la plaqua contre son torse, juste au-dessous de sa clavicule, juste au dessus du coeur. Ses dents se serrèrent, et il enfonça ses propres ongles dans sa peau, ouvrant une plaie nette. Le sang perla, chaud et sombre. Dans ce sillon rouge, il glissa la plume, lentement, jusqu’à la loger sous la peau.

La brûlure lui arracha un grognement rauque. La chair se referma presque aussitôt, comme si son corps refusait de rester ouvert, mais l’ombre nacrée demeura, prisonnière, tatouée de l’intérieur. Une cicatrice mince se dessina en croissant, marquant à jamais l’endroit où il l’avait enchâssée.

"Là, dit-il simplement, la voix grave. Elle ne me quittera jamais."

Il passa ses doigts rugueux sur la cicatrice naissante, comme pour s’assurer qu’elle ne disparaîtrait pas. Puis, plus doucement, il ajouta, presque dans un souffle :

"Comme moi pour toi"

Alors seulement il la reprit dans ses bras, la soulevant sans effort. Pas par nécessité, ils auraient pu marcher, mais par désir brut de la garder serrée contre lui, de prolonger encore cette proximité. L’eau glissa de leurs corps quand il quitta la rivière, chaque pas lourd mais sûr.

La rive accueillit leurs pas. Autour d’eux, les arbres déracinés et la terre éventrée témoignaient encore de la tempête, mais Anakha n’y prêta aucune attention. Tout son monde s’était réduit au poids de la femme dans ses bras et à la plume scellée dans sa chair.

"On retrouvera nos affaires", dit-il en avançant. "Et j’allumerai un feu."
*Pas pour nous réchauffer… juste pour te voir dormir dans sa lumière.*

Ses mots étaient simples, rugueux, mais portés d’une intensité nue. Ses bras la serraient avec une douceur dont il ne se croyait pas capable. Il brûlait de recommencer avec elle le ballet qu'ils avaient dansé quelques minutes plus tôt. Mais nécessité faisait loi, et s'il pouvait envisager perdre ses vêtements, il n'était pas question qu'il la laisse perdre ses armes. Et dans la cicatrice qui battait encore à sa poitrine, il sentait l’écho d’elle, déjà inscrit dans son sang.

13
Son front resta appuyé contre le sien, lourd, comme si l’idée même de lever les yeux l’écrasait. Son souffle rauque emplissait encore l’air, mais ce n’était plus seulement la fièvre de leur étreinte : c’était le poids de ce qu’il devait dire. Il aurait préféré se taire, se perdre dans ses caresses, prolonger cet instant où tout semblait encore suspendu. Mais Deirdre avait posé la question. Et il savait qu’elle ne méritait pas un silence.

Il se retira lentement, haletant, son sexe vibrant encore, gonflé et douloureux d’avoir quitté la chaleur de ses profondeurs. Le manque lui arracha presque un grognement, mais il s’imposa ce vide, parce qu’il devait parler. Pourtant, il ne la lâcha pas : ses bras l’enserraient toujours, la gardaient contre lui comme s’il craignait qu’elle s’évanouisse s’il desserrait l’étreinte.

"Quelque chose… a pris racine en toi."


La voix était basse, étranglée, étrangère presque. Il laissa planer le silence, incapable de trouver aussitôt les mots. Sa main descendit d’elle-même vers son ventre, le frôlant avec une maladresse tendre, comme si ce simple geste pouvait désigner ce qu’il n’arrivait pas à nommer.

"Je l’ai déjà vu. Pas une fois… plusieurs. Chaque fois que… je me suis donné ainsi."

Son souffle vibra contre son oreille, rauque, honteux.

"Ça n’a jamais été la même chose. Parfois, c’était… une forme faible, fugace, qui se dissipait presque aussitôt. Parfois, c’était… plus fort. Quelque chose qui respirait. Qui bougeait. Qui vivait."

Ses doigts pressèrent doucement son ventre, malgré lui.

"Et parfois… c’était moi qui l’ai pris. Qui l’ai absorbé, avant qu’il ne devienne… autre chose."

Il s’interrompit, sa mâchoire se crispant. Les souvenirs qu’il évoquait étaient lourds, poisseux, plus lourds que la tempête elle-même.

"Je ne sais pas ce qui naîtra de toi. Je n’ai jamais su. Chaque femme… chaque fois, c’était différent. Une chose fragile. Ou monstrueuse. Parfois douce, parfois affamée. Mais jamais… jamais semblable."

Il inspira, son torse vibrant contre son dos.

"Ce n’est pas dangereux, non. Pas pour toi. Pas pour ton âme. Je le crois. Mais… tu le sentiras. Tu le porteras. Et ça grandira, quoi que je fasse."

Ses lèvres cherchèrent sa tempe, sans force, juste un effleurement maladroit.

"Je ne peux pas l’empêcher. Pas plus que je ne peux prédire ce qui viendra."

Son souffle se fit plus tremblant, plus bas encore :

"Et c’est ça qui me ronge. Pas la peur que tu sois brisée. Je ne crois pas qu'on puisse te briser. Mais la honte… de t’imposer ça sans choix."

Il cacha un instant son visage dans son cou, comme s’il espérait disparaître. Sa verge, pourtant, restait dure, tendue, appuyée contre sa cuisse, preuve muette que même dans sa honte il restait prisonnier d’elle. Sa main sur son ventre tremblait toujours.

"Tu ne dois pas croire que tu es… comme les autres. Je n’ai jamais eu peur ainsi. Jamais eu honte de cette manière. Parce qu’aucune… je ne les ai regardées comme toi. Parce qu’aucune n’a eu ce pouvoir."

Ses mots étaient hachés, maladroits, mais chargés d’une sincérité nue.

"Je veux que tu saches… je serai là. Quoi qu’il en sorte. Je ne fuirai pas. Même si je dois encore l’absorber. Même si c’est un monstre. Même si c’est pire."


Il la serra plus fort, comme pour la protéger d’une menace invisible.

"Tu n’auras pas à le porter seule."

Un silence retomba. Puis, d’une voix basse, épuisée, presque suppliée :

"Pardonne-moi."

Il resta là, collé à elle, sa main sur son ventre comme sur un secret qu’il n’osait plus nommer. Ses gestes s’adoucirent, ses doigts glissant lentement de sa peau à sa hanche, de sa hanche à sa cuisse, caresses lentes, presque tendres. Il voulait la serrer, mais ne souhaitait pas l'emprisonner. Il n’osa plus parler. Mais son étreinte disait tout : sa peur, sa honte, et cette promesse brute qu’il n’avait jamais faite à personne avant elle.

14
Le cri de Deirdre éclata, et le monde bascula.

Le cyclone rugit autour d’eux, furieux, colossal. Les arbres se pliaient, les branches s’arrachaient, les pierres elles-mêmes vibraient sous l’onde. Même au cœur de l’œil, là où ils s’étaient unis, l’air hurlait, chargé d’électricité et de puissance brute. Anakha, l’homme comme le monstre, en eut un instant la peur. Non pour lui, jamais, mais pour elle. La voir secouée, consumée, traversée par une force si démesurée lui glaça les veines autant qu’il l’embrasa.

Alors il la serra de toute sa force, son torse plaqué contre son dos, ses bras verrouillés autour d’elle. Pas pour la briser. Pour la couvrir, la protéger, pour faire barrage de son corps contre la fureur des éléments. Ses grognements rauques vibraient dans son oreille, et son bassin continuait d’entrer en elle, implacable, répondant à ses contractions par des coups de reins profonds, irrésistibles. Mais derrière la sauvagerie, il y avait cette peur nue : que le vent l’arrache, que le monde la dévore, qu’elle disparaisse dans la tempête qu’elle avait libérée.

Et puis, il céda. Son corps s’arc-bouta, son rugissement fendit l’air et se mêla au cyclone. Il jouit en elle avec une violence incontrôlable, vagues brûlantes qui jaillirent en pulsations sauvages, emplissant son ventre comme une lave en fusion. Chaque spasme l’arrachait à lui-même, chaque décharge le plongeait plus profond en elle, et malgré cela il la maintenait encore, bouclier de chair contre la tempête, comme si son propre plaisir devait céder la place à sa survie.

Il ne s’arrêta pas. Son sexe, gonflé, palpitant, resta bien ancré en elle. Même après l’orgasme, même après le rugissement, il ne défaillit pas. Son souffle rauque se calma peu à peu, mais sa virilité demeurait tendue, lourde, prisonnière de ses parois brûlantes. Et tandis que la tempête grondait encore, il la caressa. Sa main sur sa poitrine, douce malgré ses doigts rugueux. Son autre main, entre ses cuisses, qui s’était tue, mais qui revenait tracer des cercles lents et tendres sur son ventre, sur ses hanches, comme pour lui rappeler qu’il était encore là. Pas seulement pour la posséder. Pour la garder. Pour l’apaiser.

Ses lèvres cherchèrent sa tempe, puis sa joue, y déposant des baisers haletants, maladroits, mais étrangement tendres. Ses yeux fauves, mi-clos, fixaient son visage, guettant la moindre trace de douleur, le moindre signe qu’il allait trop loin.

Il resta ainsi, lové contre elle, la tenant toujours, l’abritant de son corps, sa hampe toujours enfouie en elle, vibrant encore malgré tout. Et dans ce cocon violent, il sut à peine penser. Les ravages du cyclone, les arbres déracinés, la terre éventrée : tout cela n’existait pas. Son monde s’était réduit à elle, à ce qu’elle venait de lui donner, à ce qui prenait racine dans le secret de ses chairs mêlées.

Puis, d’une voix basse, éraillée par l’effort et le souffle :

"Il pourrait… arriver des choses, sous peu… mais… c’est sans danger."

Il n’osa pas dire davantage. Comment l’avouer ? Comment lui confier que déjà, dans le secret de leurs corps, une étincelle s’était accrochée à elle ? Qu’une présence invisible, insatiable, avait commencé à croître, nourrie par ses flots et par son abandon ? Il n’en savait pas la forme, ni l’issue, seulement qu’elle boirait chacun de ses frissons, se repaîtrait de sa moiteur, l’attiserait sans répit. Plus elle coulerait, plus cela enflerait vite. Et s’il devait s’éloigner trop longtemps, hors de sa portée, cela ralentirait… mais jamais ne s’arrêterait.

Plus tard. Demain, il lui expliquerait. Mais à quoi bon briser cet instant...

Il la serra un peu plus fort, son front glissant contre son épaule. Son souffle tremblant vibrait encore, mais ses gestes s’étaient faits tendres, lents, comme si chaque caresse voulait la convaincre que, malgré le monstre, malgré la tempête, il resterait là.

Et dans cet instant suspendu, au milieu du chaos, il sut qu’il n’y aurait plus de retour en arrière.

15
Chaque poussée la brisait et la consumait, mais Anakha ne ralentissait pas. Pas parce qu’il se perdait, mais parce que quelque chose en lui exigeait plus. Son plaisir restait suspendu, contenu derrière une barrière invisible qui l’empêchait d’exploser. Le monstre en lui grognait, réclamant davantage. Pas son propre déchaînement, non, mais celui de sa partenaire.

Ses coups de reins étaient implacables. Sa hampe, lourde, vibrante, fouillait, tournoyait, cognait comme pour forcer son corps à s’ouvrir, à céder, à couler. Chaque mouvement de son bassin était plus qu’un va-et-vient : une recherche fiévreuse, presque acharnée, pour trouver, frotter, appuyer là où ses sensations convergeaient. Et chaque torsion lui arrachait des contractions qu’il buvait comme une offrande, mais jamais assez. Il voulait qu’elle se brise, qu’elle ruisselle, qu’elle s’abandonne tout entière.

Ses mains, rugueuses, tenaient son corps fermement, comme pour l’empêcher de fuir. L’une pressait sa hanche, la ramenant contre lui à chaque coup, la marquant de ses doigts. L’autre suivit ses courbes, caressant son dos, sa taille, puis sa fesse, qu’il pétrit avec une fièvre brute. Ses doigts glissèrent plus bas, traçant la ligne intime de son sillon, jusqu’à frôler sa feuille de rose. Un effleurement d’abord, presque maladroit, mais chargé d’une sensualité sourde, comme si son corps cherchait, encore, un autre chemin pour la faire céder. La pulpe de son doigt la titilla doucement, hésitante, puis plus insistante, chaque frôlement ajoutant une brûlure neuve à celles qui la traversaient déjà.

Et il le sentit. L’air bougea autour d’eux. Des souffles invisibles vinrent caresser leur peau moite, soulevant ses cheveux, faisant frissonner les éclaboussures de la rivière sur leur chair. Les feuilles mortes, jusque-là figées au sol, se mirent à tournoyer en silence. Anakha grogna, le cœur battant : c’était sa magie. Pas appelée par la guerre, mais par ça. Par lui. Chaque gémissement de Deirdre, chaque spasme de son ventre appelait les vents eux-mêmes, comme une offrande de plus qu’il ne voulait pas lâcher.

Ses grognements rauques emplissaient son oreille, mais ses yeux fauves restaient fixés sur elle, guettant le moment exact où son corps basculerait. Ses dents frôlaient sa gorge, sa mâchoire vibrait de grondements retenus, et sa langue goûtait le sel de sa peau. Chaque contraction qu’il sentait en elle résonnait comme une étincelle qui l’attisait encore, mais il ne pouvait pas céder tant qu’elle n’avait pas fini.

Puis, dans un mouvement haletant, il l’attira doucement contre lui, l’allongeant sur le flanc. Son torse brûlant se colla à son dos, son souffle rauque envahit sa nuque, et son membre, déjà ancré en elle, s’y replongea dans un claquement humide qui fit vibrer l’air. En cuillère, il la maintenait contre lui, non pour l’emprisonner mais pour la garder, la couvrir, l’entourer de toute sa force. Chaque poussée se fit plus profonde encore, cognant contre ses parois les plus intimes, tournoyant contre son col, tandis que ses bras la serraient comme si elle risquait de disparaître.

Sa bouche se perdit à sa gorge, à son oreille, la mordillant, l'embrassant, la marquant de grognements rauques. Ses dents effleuraient sa peau sans la percer, comme si l’instinct du monstre ne cessait de lutter avec sa volonté de la protéger. Sa main sur sa poitrine se faisait plus insistante, ses doigts pinçant son téton durci, tirant légèrement avant de relâcher, dans un rythme qui répondait à ses coups de bassin. Et son autre main, libre à présent, glissa plus bas. Elle longea la ligne de son ventre, descendit avec une lenteur fiévreuse entre ses cuisses entrouvertes, jusqu’à trouver cette source de chaleur moite et palpitante.

Ses doigts de guerrier caressèrent son intimité sans finesse, mais avec une ferveur brûlante. Il la toucha d’abord timidement, puis plus franchement, son pouce cherchant, pressant, frottant sa perle d’Aphrodite avec la même brutalité contenue que ses coups de reins. Chaque va-et-vient de son bassin s’accompagnait d’une caresse circulaire, un rythme instinctif qui liait son sexe à ses doigts, pénétration et stimulation se répondant dans une cadence sauvage.

La sang mêlé pouvait sentir toute sa force concentrée là : dans son sexe tendu qui vrillait en elle, dans sa main qui pressait son bouton de plaisir, dans ses bras qui la maintenaient tout contre lui, dans ses grognements rauques qui vibraient contre son oreille. Tout son corps criait pour qu’elle cède, pour qu’elle se brise, pour qu’elle l’inonde enfin.

Et tout en elle vibrait sous lui. Ses tremblements, ses gémissements, ses contractions brûlantes lui disaient qu’il approchait, qu’elle n’était plus loin. Lui grognait, haletait, mais se retenait encore, enfermé dans cette attente féroce. Sa verge, gonflée, tordue, cognait sans cesse au même endroit, son bassin calant son rythme sur le sien, jusqu’à ce que la tempête éclate enfin.

Anakha n’avait pas besoin de mots. Son corps parlait pour lui.
Il ne jouirait pas avant elle. Il ne le pouvait pas.

Et dans cette position où il l’avait emprisonnée, pressée tout entière contre lui, mordue, caressée, pénétrée jusqu’au bout, son monstre et son homme vibraient à l’unisson dans une seule prière muette : qu’elle se brise enfin, qu’elle se livre, qu’elle l’inonde de tout ce qu’elle retenait encore.

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