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« le: lundi 17 août 2015, 03:02:48 »
C'était un risque auquel je m'étais attendu. L'idée qu'elle s'en prenne à un innocent ne m'avait pas échappé, mais il avait bien sûr fallu qu'elle attrape une pauvre fillette qui revenait du marché. La situation virait à l'impasse, et pas seulement parce que mon assaillante me barrait la route. Si je faisais demi-tour, j'étais certain d'entendre une nuque se briser derrière moi. Je ne pouvais pas risquer bêtement une vie, simplement pour cacher mon immortalité et me préserver de la douleur. Je profitai de la situation pour reprendre un peu mon souffle, avant de lancer:
"En réalité, je préfère le terme 'pacifiste' à celui de 'couard inoffensif'. C'est différent."
Je bougeai doucement mon bras pour présenter mon bâton devant moi, accompagnant le mouvement d'un léger hochement de tête. J'allais déposer les armes, et me rendre. Qu'elle laisse la fillette tranquille. Quand j'ouvris la main et que le bâton tomba devant moi, ce fut pour mieux le rattraper dans sa chute avec le creux de mon pied et le lui envoyer au visage d'un même mouvement de la jambe. C'était une tactique que je réussissais avec brio, par force d'habitude: elle m'avait sauvé la mise plus d'une fois.
Mais la rencontre entre mon bâton et sa tête n'était qu'un début, une ouverture pour saisir la meilleure occasion que j'avais. Jamais je n'aurais espéré qu'elle ne pose pied au sol aussi facilement. Et comme elle s'était elle-même handicapé un bras en me croyant inoffensif, elle m'avait laissé le champ libre. A la suite de mon arme, je chargeais. Un petit saut, et je plaquais ma main sur ses yeux, mon genou contre son thorax, et un coup de poing dans le bras pour qu'elle lâche la gamine. Quand un homme d'un mètre quatre-vingt dix vous plaque de cette façon et sans prévenir, en général, vous le sentez passer. Avec l'élan, nous glissâmes sur le verglas qui commençait à fondre, et j’espérais bien qu'elle avait été sonnée une fois envoyée au sol. Le seul hic, c'était que la fillette était tombée avec nous. Ma main sur ses yeux servait surtout à éviter un second flash désagréable, mais je m'en servis pour serrer au niveau des tempes, pour qu'elle ne porte plus l'attention que sur moi. Pitié, oublie la fillette, oublie les passants! J'ajoutais sur un ton mi-moqueur:
"La différence, c'est qu'un pacifiste peut aussi se montrer agressif. Surtout s'il s'agit de protéger des innocents. Je n'ai certes rien d'un guerrier, mais la couardise ne fait pas partie de mes défauts."
La petite se redressa avec lourdeur, et se mit à pleurer. Son épaule n'avait pas du tout apprécié la rencontre avec le pavé et semblait lui faire atrocement mal. Elle se redressa à l'aide de son bras indemne et commença à s'éloigner en appelant sa mère d'une voix cassée, avant de s'interrompre en se tenant la gorge. Sa trachée avait été écrasée. Celle qui était en-dessous de moi ne plaisantait vraiment pas. J'appuyai davantage mon genou sur sa poitrine, la privant toujours de sa vue, l'autre main levée prête à réagir à tout assaut.
"Je ne sais pas qui t'envoie, mais avec ton petit numéro, la garde ne devrait pas tarder à rappliquer. Et vu la situation tu n'arriveras jamais à me tuer et à t'éclipser à temps. La partie est terminée."
Je craignais déjà que quelques gardes ne suffisent pas à la maîtriser. A vrai dire, elle s'était montrée si inexpressive jusque là que je me demandais si, elle, craignait quoi que ce soit. Et une autre chose m'effrayait. Si le temple avait déjà été attaqué, ce n'était pas parce qu'on m'en voulait personnellement. En général il s'agissait des gens que j'abritais ou de quelques fanatiques agressifs d'un autre culte. Quelqu'un m'en voulait. La cible, c'était moi, et seulement moi.
"Qui t'envoie? Pourquoi veut-on ma tête?"