Et la nunaat sombra.Attendez, est-ce que je suis dans un rêve ? J'ai cette sensation d'être là sans l'être, de voir mon corps comme si j'étais quelqu'un d'autre, d'être en face de moi sans pouvoir me contrôler. Est-ce que je suis...morte ? Non, s'il-vous-plaît...Je ne peux pas partir ainsi. Miuggrayd...Je n'ai pas encore accompli ma mission. Je...Je devais venger les miens. Je suis désolée, Père. Je n'apporte que le déshonneur sur notre famille. Déjà de par ma survie, d'avoir été la seule et unique encore debout, mais surtout, de n'avoir pas réussi à vous rendre hommage, ni fier comme il se doit...
Tout est sombre autour de moi. Pas même une étoile ne vient éclairer mon chemin dans ce désert obscur baigné d'une aura mystique impalpable. Mes lèvres s'entrouvrent comme pour crier, mais aucun son ne sort. Rien ne vient troubler ce silence de mort. Je me laisse happer par cette force invisible qui m'attire comme un aimant dans un sommeil qui me semble infini, ce sommeil que je ne veux pourtant pas du tout...
___***___
Aujourd'hui, je suis descendue dans les plaines. Ce n'est pas un fait rare, mais il est pourtant important de le noter. J'ai prévenu mon père que je partais cueillir quelques plantes pour célébrer la future union de Mebe et Drom. Ils se connaissent depuis si longtemps mais, étant de grands timides tous les deux, ils ne se sont déclarés qu'il y a quelques mois. Il n'a pas fallu longtemps pour que ça finisse par un mariage. Cela m'arrache un sourire. Certes, c'est un peu niais mais ça reste mignon. Ce n'est pas à moi que cela arriverait. Il est vrai que je suis toute jeune encore et que je ne connais rien à l'amour, mais je ne m'y suis jamais intéressée et j'ai cette sensation que c'est quelque chose qui n'est pas fait pour moi. Mon père me rabâche que ma mère m'aurait dit qu'il y a de l'amour pour toute personne sur Terra, même pour une bourrue comme moi, mais ces paroles sonnent creuses. Non pas que mon père est un menteur mais vu mon caractère, le garçon manqué que je suis, j'émets de réels doutes. C'est aussi cela de vivre dans une grande fratrie composée que de garçons, mis à part ma personne. Mais je ne m'en plains pas. Malgré l'absence de ma mère, j'ai toujours été heureuse. Et c'était tout ce que je souhaitais aux futurs jeunes mariés !
L'air est si agréable, plus doux que dans les hauteurs du village. Il faut dire que les plaines ne subissent pas les blizzards violents, ni même les tombées de neige incessantes. Ici, cela respire le printemps ou même l'humidité des forêts. La végétation y pousse joyeusement, et ce n'est pas pour rien que je me retrouve ici aujourd'hui. C'est un sourire aux lèvres que j'avance vers la lisière pour y récupérer de la digitale pourpre. À l'aide de ma serpe, je cueille quelques plantes supplémentaires pour faire des guirlandes afin de décorer la scène, mais aussi quelques petites choses en plus pour préparer de succulentes boissons. Ce soir, c'est plus qu'une simple fête ! C'est l'amour qu'on célèbre ! ...Ergh. J'ai eu un léger dégoût dans le fond de la gorge, qui m'est remonté. Un frisson me prend un instant dans le dos. Bon, faisons vite. Je dois encore faire le chemin retour, la besace pleine, jusqu'au village, et préparer tout ce que j'ai ramené. Personne ne pourra résister à mes cocktails !
Adieu le printemps, en route vers les glaces éternelles ! Le vent se met doucement à hurler à travers les montagnes, soulevant des tourbillons de poudreuse, obscurcissant le ciel déjà bien gris. La tempête fait rage, engloutissant tout sur son passage, mais je reste debout. J'avance péniblement à travers ce chaos blanc, mes sabots marquant à peine le sol balayé par une épaisse couche de neige fraîche. Je n'ai pas froid. Les Nunaats ne le craignent pas. Des légendes disent que c'est pour cela que nous avons la peau bleutée, voire violacée. Je sais, par des échos, qu'on nous dit sauvages, mais surtout très cruels. Comment peut-on nous décrire ainsi alors que ma mère était une crème ? Alors que nous vivons principalement reclus dans les montagnes. Il n'y a quasiment aucun étranger qui ose s'aventurer à travers les glaces pour rejoindre le village et échanger avec nous. Mais les Nunaats n'ont que faire de ces paroles.
Les yeux plissés pour éviter le vent qui me fouettait le visage, je scrute l'horizon. À mesure que j'avance, la neige craquant sous chacun de mes pas, les ombres des bâtiments du village se dessinent faiblement à travers la tempête. C'est le sourire aux lèvres que je me dirige vers ma maison, accélérant le rythme, histoire de mettre à l'abri mes plantes, durement récoltées à la sueur de mon front.
Cependant, alors que j'approche du village, un frisson étrange me travers l'échine. C'est désagréable. J'ai un très mauvais pressentiment. Une
atmosphère sinistre s'installe assez rapidement. Pourtant, c'est censé être un jour de fête, non ? Mis à part le vent qui crie sa présence, pas un bruit. Où sont les chants d'amour ? Où sont les gens qui crient pour installer les tables ? Où sont les cuistots qui hèlent pour terminer le repas ? Aucun son. Aucune lumière. Rien ne venait briser ce silence qui me rend nauséeuse. Difficilement, j'avale ma salive, m'arrachant la gorge comme si j'avalais des rasoirs...
Je...Je ne sais décrire ce que je vois devant moi. La neige...est rouge. Le vent hurle, interrompant uniquement le silence pesant au sein du village. Celui que j'avais laissé si animé est désormais un énorme tombeau taiseux. Les portes des maisons étaient ouvertes, non pas pour accueillir les invités, mais pour démontrer les scènes sanglantes qui s'y sont déroulées. Mon père ? Mes frères ? Tous éparpillés autour du village, ils ont dû se battre pour protéger tout le monde mais...Des corps gisent ici et là, dans des positions...Un peu comme s'ils avaient été des marionnettes. Ils sont désormais les témoins muets du massacre qui m'a rendue orpheline.
Je sombre. Ce doit être un mauvais rêve. Je vous en prie...À bout, je m'effondre à genoux, des larmes gelant sur mes joues. Ma gorge se noue. J'ai beau hurlé, personne n'entend ma peine. La tempête ne cesse de battre la poudreuse qui recouvre petit à petit le corps de mes proches, faisant disparaître à jamais les Nunaats. Le blizzard étouffe mes pleurs, mes cris de désespoir, lui si indifférent à ma douleur...Lui qui ne fait qu'accroître ma solitude. Lui qui fera cesser d'exister...
Je ferme doucement les yeux. À quoi bon vivre maintenant ? Qu'est-ce qui m'attend ? Je m'allonge dans ce lit de glace. La mort me paraît être une bonne amie. Neige, absorbe-moi. Nourris-toi de moi, comme tu l'as fait de mes frères, de mes pères...Une douce lueur caresse mon visage. Je sens même mon corps se chauffer un peu. Serait-ce la délivrance ?
___***___
- Miuggrayd...Un son, comme un bourdonnement, résonne dans ma tête. Je sens mon corps si lourd que même mes paupières peinent à s'ouvrir. Une légère lumière m'éblouit mais rapidement, une ombre semble approcher de moi. Ma vision est trouble et je ne parviens pas à distinguer le visage de ce compagnon, si cela en est un. Suis-je encore en train de rêver ? J'essaie tant bien que mal à me redresser, grimaçant à la douleur qui me lancine le corps.
J'ai l'impression d'être plongée en plein brouillard. Le peu de formes que j'arrive à distinguer sont comme vaporeuses, pour le peu que je puisse voir. C'est...Cette sensation ne m'est pas agréable DU TOUT ! Je dois être plongée dans un songe. J'ai comme un nœud dans la gorge, comme si les mots ne voulaient pas que je les prononce. Cette interdiction m'indique-t-elle qu'on m'a arrachée la langue ? Ou alors, suis-je beaucoup trop faible pour dire le moindre mot ?
Un souvenir vient me faire grimacer, un peu comme si un rayon de soleil m'aveuglait, à l'instant. Ah oui, c'est vrai...J'étais en plein combat et j'ai perdu connaissance. Hin...Je crois qu'il me prend de sourire, à moins que ce ne soit une grimace. Je ne saurai dire. Cette sensation que mon corps ne m'appartient plus, putain, que j'la déteste !
Cette ombre qui s'approche, est-ce Zorro ou bien un ennemi ? Je prends le temps de réfléchir deux secondes, et ne sentant pas un coup de dague dans ma gorge, mon flanc, ou mon cœur, c'est qu'il s'agit de cet idiot. Un grondement rauque fait vibrer ma langue contre mon palais, essayant de retrouver ne serait-ce qu'un peu de parole. Je dois lui répondre. Il m'a appelée « belle demoiselle », après tout !
- Bâ...tard..Tu p...p-perds rien p...pour at-attendre...Bordel, c'que ça a été compliqué ! Un léger rire me secoue un peu, mais j'ai sacrément mal, putain. Je suis lessivée ! Comme si je m'étais faite piétiner par une horde de chevaux sauvages. Au moins, je suis avec quelqu'un que je connais un peu. Bon, depuis deux jours mais ce n'est pas un total inconnu ! Ce n'est pas un ami mais je suis encore en vie ici, c'est bien grâce à lui. Je devrais le remercier...Mes sourcils se froncent légèrement, accompagnant mes dires.
- M...Grmph...M-merci...Argh, ma gorge, bordel de merde ! J'ai avalé du sable ou quoi ? À moins que ce ne soit des cendres...Cela n'en reste pas moins dégueulasse. J'essaie de lever un peu mon tronc, d'appuyer sur mes bras, mais je n'ai pas de force...J'dois tirer une de ces gueules...En même temps, avec la douleur pulsante dans ma tête, y'a peu de moyen pour que je sois divine. Et puis en fait, qu'est-ce que je m'en tamponne le coquillard, moi ? Depuis quand je pense à ça ? C'est le malaise qui m'a fait perdre la ciboulette ? Mh. Mh ? Y'a quelque chose qui me gêne...Baissant ma tête, toujours les yeux dans la brume, j'observe mon corps, recouvert d'une sorte de chemise, en peu trempée, et des bandages. Où est mon armure ? Attends, ça veut dire que...Je grogne un peu plus, sentant que je m'enflamme, mais mon état général me rappelle vite à la réalité, soufflant de douleur au moindre soubresaut de colère.
- J'espère pour toi que t'en as pas profité ! Putain...Un frisson de gêne me parcourt l'échine alors que je jetais un regard confus autour de moi. Dans la précipitation, je croise le regard de Zorro puis grimace une nouvelle fois, ressentant comme de la confusion...Mêlée à de l'inconfort. Argh, il a dû voir tout ce que je cache...À quand remonte le dernier homme qui m'a vue ainsi ? Sans compter Miuggrayd, bien sûr...La honte, putain. Est-ce que je rougis ? Je n'espère pas. Putain, faites que non.
La nunaat se sentait encore engourdie et désorientée. Faible et honteuse.- Q-qu'est-ce qu'il...s'est p-passé ?Bordel, on dirait une vierge, gênée de faire sa première fois ! Je le vois bien qu'il est conscient de la situation délicate dans laquelle on se trouve, mais il ne prend aucun détour pour m'expliquer tout ce qu'il s'est passé depuis que je suis tombée dans les pommes. Elle est belle, la guerrière nunaat, n'est-ce pas ? PUTAIN ! J'enrage ! Même si je lui en suis très reconnaissante d'avoir pris soin de moi alors qu'il aurait pu me laisser pourrir sur le champ de bataille et me faire dévorer par les flammes, je me sens trop vulnérable. C'est désagréable d'être autant exposée à une personne qu'on apprécie, même si on vient de la rencontrer...Je me retrouve dans une situation inhabituelle qui me perturbe au plus haut point. C'est comme si...Comme si on m'avait mis du poil à gratter sur tout le corps et je n'avais aucune possibilité de pouvoir me soulager. C'est très TRÈS frustrant !
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Il m'a fallu quelques heures de plus pour me remettre un peu plus sur pieds. Nous avons décidé de partir du lendemain, malgré les légères remontrances de Zorro par rapport à mon état. Je crois m'être suffisamment reposée pour reprendre la route vers l'académie. Un long voyage nous attend. Il nous faudra probablement plus d'une semaine pour atteindre les sommets enneigés de Lenwë, dans mon état. Je ne suis pas totalement requinquée mais on s'en suffira.
Forêts de conifères et chemins rocheux ont été sur notre trajet pendant un bon moment, avant de finalement s'engouffrer dans les hauteurs enneigées. C'est au bout d'un long périple, un peu sur les rotules, que Lenwë se dessine enfin devant nous. L'Académie est une école de magie trônant majestueusement sur des sommets presque inaccessibles pour ceux qui manquaient de courage. C'est en quelque sorte un rite de passage pour pouvoir bénéficier du droit à l'étude de la magie.
L'Académie était facilement dissimulée par le blizzard balayant la montagne. Il servait généralement de barrière naturel la cachant des yeux d'autrui. Il pouvait arriver qu'un sort d'illusion ou d'invisibilité soit déployé pour masquer sa présence en cas de problème. Les tours élancées et les murs en pierres blanchâtres semblaient fusionner harmonieusement avec la nature environnante, créant une certaine atmosphère mystique autour d'elle. Les toits pointus des bâtiments étaient perpétuellement couverts de neige fraîche, reflétant les différentes lumières, solaires comme lunaires. Quelques sculptures telles que des gargouilles ou visages de grands mages prônaient sur le haut des tours et de l'entrée de l'école. Des fenêtres étroites et élégamment habillées de vitraux très clairs parsemaient les façades, émettant une lueur chaleureuse et discrète. D'ici, le jardin de l'Académie n'était pas visible mais il offrait un spectacle des plus bluffants, démontrant une nature figée dans le temps. L'ensemble créait une sensation de sûreté et de mystère bluffant, où le savoir mystique et les arts occultes sont enseignés et préservés dans un lieu d'une beauté enchanteresse.
Une fois à l'intérieur de Lenwë, l'atmosphère y était tout aussi envoûtante que son extérieur majestueux. Les vastes corridors en pierre sont éclairés par des chandeliers magiques qui projettent une lumière douce et vacillante, créant des ombres dansantes le long des murs ornés de tapisseries aux couleurs et symboles de différentes enseignements prodigués en ces lieux. Elle regorgeait d'un nombre incalculable de salles, aussi bien de cours, de bibliothèques, que de chambres pour les étudiants et professeurs. - Bienvenue chez moi. Mais on attendra pour la visite complète. J'aimerais prendre un bain chaud et m'écrouler dans le lit. Et manger aussi. Enfin...Peut-être pas dans ce sens-là.C'est au fin fond d'un couloir tranquille que je l'emmène. Et non, je ne vais pas le coincer contre le mur et...Bon, vous avez compris. J'ai besoin de cette paix propre à moi-même, y compris dans cette « maison ». Je m'arrête devant une lourde porte en bois sculpté. Certains ont dû nous voir sur le chemin jusqu'à ma chambre : ils vont sûrement parler de mon retour à Miuggrayd. Ouvrant ma main gauche, j'y condense de la glace pour former la clé de mon habitation, celle-ci disparaissant dans la serrure une fois la porte ouverte. Ma chambre me paraît basique...Enfin, je crois. La simplicité, c'est ce que je préfère.
La chambre de l'herboriste est un lieu aux multiples essences. Elle ressemblait à un sanctuaire mystique où quiconque passait le pas de la porte était accueilli par une explosion de couleurs et d'arômes envoûtants. Qui aurait pu croire que la propriétaire était une Nunaat belliqueuse et grognon ? L'habitation restait assez spacieuse. Des fioles scellées contenant des extraits de plantes rares reposent soigneusement sur des étagères spéciales, chacune étiquetée avec une écriture calligraphique. Des livres étaient éparpillés un peu partout, aussi bien dans les bibliothèques que par terre, sur les tables que sur le lit, certains encore ouverts sur les recherches de Yukka.
Au fond de la chambre se trouvait la seule fenêtre, dont les boiseries se voilaient de plantes au feuillage chatoyant. Des rideaux en soie fluide teintée de vert foncé encadrent la fenêtre, permettant à la lumière naturelle de filtrer délicatement à travers les feuilles des plantes magiques qui ornent le rebord. Des lampes aux teintes chaudes, semblables à des lucioles capturées, planent au-dessus du bureau se situant sous la fenêtre, créant une lueur douce qui accentue le caractère mystique de l'endroit. Le bureau est ce que l'on pourrait dire...en bordel monstrueux. Le bois foncé de celui-ci n'était visible que sur les pieds, le reste étant presque entièrement couvert par des grimoires anciens, fermés ou non, des mortiers en pierre, certains mêmes en marbre, accompagnés d'autres instruments d'alchimie et d'extraction.
Il faut dire que le vieux parquet était usé à certains endroits de la chambre, notamment autour du bureau et des étagères. Sûrement que les sabots de l'Edelweiss n'avait fait que maltraiter ce pauvre sol. Seul un tapis de fourrure reposait devant le lit. Celui-ci était assez grand pour y accueillir deux personnes massives. La Nunaat n'avait pas la folie des grandeurs, mais le confort, lorsqu'elle prenait le temps, ça lui faisait du bien.Je dépose mon sac à dos non loin de mon bureau, en bordel comme je l'avais laissé. Malgré tout, la poussière n'avait pas pris place dans ma chambre. Je suis sûre que Miuggrayd y passait pour l'enlever et que celle-ci reste propre jusqu'à mon retour. Soupirant de fatigue, je me tourne vers Zorro.
- C'est pas l'grand luxe, mais voilà. S'tu veux, j'peux aller chercher de quoi grailler pendant que tu enlèves toute cette crasse accumulée.Je pointe d'un doigt une porte entre deux étagères pleines, celle-ci menant vers un coin hygiène, idéal pour les petits besoins et les bains.
- Et j't'assure que toi comme moi, on en a besoin. Ou si tu veux, on prend un bain et on repart ensemble chercher d'la bouffe. Ça t'fera faire un p'tit tour du proprio, en plus d'être l'occas' pour demander une chambre pour toi.Je baille un grand coup, soufflant ensuite fortement par mes narines. Et l'estomac chante...Ta gueule, deux minutes, ça va venir.