La petite ange ne prit pas peur quand elle fut surprise par le démon, après tout, il ne pouvait pas lui faire grand-chose : si jamais il devenait agressif ou qu'elle ne s'en sortait pas, elle pouvait toujours se téléporter hors de la pièce pour demander une annulation de la mission, ça vaudrait de la paperasse et beaucoup de cris là-haut, mais elle saurait assez convaincante pour faire comprendre qu'il n'y avait pas beaucoup de choix.
En revanche, c'était la première fois que ses objectifs premiers la menaient à un démon et il fallait avouer que Paula appréhendait la suite à cause de ça. Les démons et les anges possédaient à peu près force égale depuis des siècles et des siècles (amen !) mais on ne lui avait jamais rien dit au sujet des effets secondaires. Ça allait peut-être le tuer ? Devait-elle s'en réjouir ? Mais elle n'était pas une angelotte qui suivait aveuglement les commandements du Seigneur, faire perdre la vie à quoique ce soit n'était pas dans ses cordes. Se connaissant, elle s'en voudrait, comme la dernière fois avec cette pauvre andouille qui était partie s'empaler sur des pics en se croyant poursuivi par un hélicoptère cannibale. Elle était bonne pour déprimer sous un arbre pendant une semaine.
En revanche, Sébastien n'était sûrement pas aussi sensible. Cette dernière idée lui fit augmenter sous le coup de l'émotion la puissance des spores et le jeune homme put sentir une paralysie s'étaler dans ses mains, rendre ses jambes impuissantes et faire tomber le couteau sur les couvertures avec un bruit mou. Paula l'observa, le menton dans ses petites mains dodues, et lorsque son cou fut devenu raide, elle s'approcha et le poussa doucement sur son lit pour qu'il reste allongé.
Elle ne prononça aucun mot, ce n'était pas autorisé lorsqu'elle était si près de sa cible et elle savait que dans ce monde-là, la propriété de Dieu après tout, on pouvait observer ses faits et gestes avec plus de facilité que sur Terra. Ses doigts baissèrent les paupières du brun qui pouvait se sentir partir dans un sommeil qui n'avait rien de naturel...
***
Une étendue noire, froide, c'était tout ce que Sébastien pouvait voir. Son corps avait été libéré de la paralysie générale, mais il n'était plus dans sa chambre. Était-il encore à Seikusu ? Plus ou moins. Mais il allait vite se rendre compte que s'occuper du lieu n'allait pas être sa préoccupation première.
Le sol était lisse, plat et son reflet était celui d'un miroir sombre. Le démon pouvait se voir dedans, et se rendre compte que quelque chose avait changé. Sa taille, son visage, sa voix s'il se décidait à parler. Il avait perdu de nombreuses années, de nombreux siècles en fin de compte, redevenant un petit garçon qui avoisinait les douze ans. Sa peau avait plus de couleurs, ses cheveux étaient toujours en bataille, mais il n'avait plus non plus cette aura glacée qui enveloppait les démons et autres créatures de la nuit. Il était redevenu humain.
Ou peut-être pas.
Des bruits de talons commençaient à résonner dans son dos. Si il se retournait, il apercevrait quelque chose bouger, ou peut-être quelqu'un. A chaque pas, l'apparition semblait se brouiller, comme si elle provenait d'un écran de télé capricieux. La silhouette était celle d'une femme, avec d'épais cheveux bruns, un maquillage concentré et une courte robe verte un peu trop moulante. A chaque pas se rapprochaient aussi les détails, et si le jeune garçon posait ses yeux sur les jambes de la ravissante créature, il s'apercevrait que du sang semblait couler le long de la peau. En quantité moindre, cependant.
Il y eut un moment où elle ne bougea plus. S'aurait été préférable, car l'impression de brouille s'accentua au moment où elle s'arrêta. Le silence revint, et quand elle fit un sourire, le jeune démon put entendre l'ombre d'un cri, aigu, voilé, à glacer le sang d'un mort. Étrangement, ce cri semblait être passé à l'envers, comme une cassette que l'on rembobine, ce qui ne le rendait pas plus rassurant.
Puis le silence revint.