Otto Von Schirach à Seikusu. Quand Hanna, sa collègue, lui en avait parlé, Kina avait eu peine à y croire. Lui, cette fièvre ambulante, cette électricité statique éternelle, ces basses dévastatrices, était au Japon ? Grands dieux. Elle avait cru entendre son palpitant se fissurer, en entendant la nouvelle. Elle avait loupée Gesaffelstein de peu, la semaine passée. Et voilà qu'une nuit de folie et de perte de toute conscience s'offrait à elle. Aussitôt, elle se fit porter pâle pour le lendemain, et s’éclipsa de son bureau. Prétendre être enceinte, c'était la première fois qu'elle le faisait. Le culot n'était plus qu'une formalité pour la jeune femme. Et puis, il suffisait qu'elle s'abaisse un peu devant son directeur pour qu'il lui pardonne toute erreur. A l'occasion, elle irait remercier Dieu de lui avoir offert une telle poitrine. Nul doute que cela l'aiderait toute sa vie.
S'allumant une cigarette, elle envoya un message rapide à Hanna, la sommant de la retrouver dans la "salle de concert". Une grange abandonnée, en bordure de Seikusu, qui servait à des rassemblements de festivals et autres joyeusetés. Elle sortit une flasque de son sac, grogna en constatant qu'elle était vide, et grimpa dans sa voiture. Une Dacia noire, superbe. Il ne lui fallut qu'une petite dizaine de minutes,
la musique hurlant à pleines basses, pour rejoindre sa demeure. Un appartement
posey, où elle se changea. Dehors, la tenue de secrétaire parfaite ! Soucieuse de plaire à son idole du moment, elle enfila un bustier de cuir noir, qui dévoilait complètement son ventre, surmonté d'une chemise blanche très longue et transparente, qu'elle laissa ouverte. Un short de jean de la même couleur suivit, et une paire de bas ajoutée à l'ensemble. Du whisky dans la flasque, du rhum au fond du sac, de la verte dans un pacson, des cigarettes dans la poche de son long manteau en cuir, et elle était fin prête. Certes, elle faisait peur - surtout qu'elle s'était dessinée une large ligne noire au milieu du visage, qui englobait ses deux yeux - mais elle s'en moquait pas mal. Ce soir, elle irait voir
Otto von Schirach. Le concert débutait dans deux heures.
Et ce n'est qu'une fois en route qu'elle réalisa que tout ne se passerait pas comme prévu. Sur la route qui menait hors de Seikusu, il y avait un pont. Un pont que l'on devait traverser pour aller hors de cette ville, donc. Et à ce point là précis de la ville se trouvait ... une multitude de voitures arrêtées.
Un putain de bouchon. La petite brune s'alluma une cigarette, sortit de sa bagnole, les poings serrés. Beaucoup se retournèrent sur son passage, tandis qu'elle se rapprochait au mieux des policiers qui dressaient une barricade.
- Qu'est ce qu'il se passe ?- Madame, vous ...
- Ma-de-moi-selle, articula t'elle, agacée
. Que se passe t'il ?- Pour votre sécurité, nous ...
- Putain ! Vous vous foutez de moi ?- Calmez-vous, ou ...
- Vous allez m'embarquez, c'est cela ? Pour la dernière fois : que se passe t'il ?C'est une adolescente habillée de rose qui lui répondit, sur le ton de la confidence.
- Y'a Nessie.
Kina cligna des yeux, prise d'un hoquet de surprise. Nessie ?
Ils déconnent, là ? La jeune brune tira une large bouffée de tabac, avant d'expirer violemment.
-
Attendez, dit-elle en s'adressant à nouveau au policier.
Vous êtes en train de me dire que vous avez bloqué l'accés au pont parce que le monstre du Loch Ness a décidé de venir à Seikusu ?- Ecoutez ... Des gens l'ont vu. Il a des photographies, et ...
- C'est la meilleure ! s'exclama t'elle.
- Regagnez votre véhicule.
Elle voulut répliquer, mais ne trouva même pas quoi dire. L'agacement, l'énervement l'empêchaient de s'exprimer correctement. La patience de Kina, c'est comme les crocodiles dans le métro parisien : une légende. Elle tapa du poing contre le capot d'une voiture, et revint s'adosser contre la sienne, sa clope à la main, hésitant pour s'envoyer sa flasque de whisky.
Sois sage. En attendant, elle était bloquée.
Putain, quelle vie. Elle avait beaucoup de mal à croire que, pour une raison aussi saugrenue, l’accès au pont était bloqué. Nessie avait la même valeur que le Père Noël, à ses yeux. Et cela ne méritait aucunement qu'elle loupe le concert d'Otto Von Schirach.