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« le: lundi 25 février 2013, 03:51:22 »
Ça faisait longtemps que je n'avais pas été autant pris par quelque-chose ! Si je remonte dans ma mémoire, je dirais au moins depuis la dernière conférence de mécanique quantique à laquelle j'ai assisté. Cette exploitation de l'effet tunnel avait vraiment été passionnante : il existe, dans ce modèle physique, une chance, assez infime, qu'une particule puisse franchir une barrière de potentiel sans pour autant disposer de l'énergie nécessaire. Dans l'absolu, on pourrait même conjecturer qu'il existe une très petite probabilité qu'un humain traverse spontanément un mur, pour faire simple. Mais je crains que ça n'est pas beaucoup à voir avec la situation.
Bon, sans trop faiblir, je continue à la suivre. Elle me lance un tabouret, par une méthode assez habile. Cela ne représente pour moi aucun danger, même s'il avait été lancé dans mon dos. Je n'en fais pas beaucoup de cas : je l'intercepte au vol, et je prends même la peine de le faire atterrir sur ses pieds. Je la sens qui panique. L'appréhension commence à la gagner, elle se rend compte qu'elle ne va sans doute pas réussir à me distancer. Elle va finir par faire une erreur, et je me mets à espérer qu'elle ne va pas trop se blesser. De fait, je gagne encore du terrain, sans vraiment me presser. J'essaie de repousser un peu l'échéance, le moment où je la stopperai totalement. Je pense qu'en l'état, que je suis en mesure de stopper sa course, mais je n'en fais rien. La voir courir, l'observer perdre peu à peu ses forces est un spectacle presque aussi intéressant que d'assister à sa voltige. Il y a quelque-chose de fascinant là-dedans, enfin, je ne suis pas sûr que ce soit très sain.
Nous parcourons encore la large pièce pendant un moment : elle prend tous les risques, n'hésitant pas à se suspendre à des lustres pour tenter de me fuir. Une partie de moi me dit que la laisser s'épuiser, la pousser dans ses derniers retranchements serait objectivement intéressant. Cependant, quand je sens que dans son esprit la douleur émerge, je choisis de couper court à la course-poursuite. D'autant que moi-même, je commence à fatiguer. Les plaques de métal qui parcourent ma colonne vertébrale sont brûlantes, ma tête me fait un peu mal, mon cœur frappe violemment ma poitrine sous l'effort continu. J'ai rarement autant poussé mes capacités à bout : j'ai un peu peur que cela m'entraîne vers une crise. Mes implants ne sont pas toujours très stables lorsqu'ils sont utilisés trop intensivement, et j'en perds parfois le contrôle (encore que parfois, cela survient sans raison immédiatement identifiable).
Je l'arrête donc lorsqu'elle s'élance de nouveau sur un balcon. Je l'enveloppe totalement dans un champ télékinésique, puis je la rapproche aussitôt de moi. Un colosse aurait eu toutes les peines du monde à résister à mon pouvoir, alors elle n'avait pas de grande chance de m'échapper. Surtout que la force n'offre aucune réelle prise physique : le cerveau a généralement l'impression que l'air devient partout et soudainement solide. Le phénomène, pour ceux qui n'étaient pas habitués, était assez étrange, tous les muscles ou presque étant paralysés. Je la laisse dans une position un peu absurde. Elle flotte à presque un mètre du sol. Quant à moi, je me pose sans heurt.
-Vincente Valentyne, connue sous le surnom de Double V. Coupable de plusieurs vols à la tir, cambriolages, coups et blessures sur des gardes en exercice. Recherchée pour 3500 pièces d'or. Une jolie somme, qu'est-ce que tu en dis ?
Elle ne répond pas, je suis un peu perplexe : l'avis disait pourtant qu'elle était assez irritante, je m'étais donc attendu à une réplique cinglante. Puis, je constate que son visage rougit assez vite. Je penche la tête sur le côté, et sonde ses pensées.
-Ah, désolé. Un oubli...
Je desserre l'étreinte au niveau de sa cage thoracique et de sa gorge, la laissant de nouveau respirer. Je n'ai pas très envie de rapporter un cadavre à la garde, principalement parce qu'il n'est pas précisé si la cible doit être rapportée morte, vive, ou si cela n'a pas d'importance. Je préfère ne pas prendre de risque.
-C'était bien, cette poursuite. Tu es la personne la plus agile que j'ai jamais rencontrée. Je plains les pauvres gardes qui ont du essayer de te suivre, quelques fois. Désolé, je sais, ce n'est pas très juste de te faire prendre comme ça. Mais ça serait plus injuste si tu ne t'étais pas faite prendre tout court, pas vrai ? La loi, c'est un peu la justice.
La maintenir comme ça me demande beaucoup d'énergie : je cherche la manière optimale de la tenir en place. Finalement, je relâche en grande partie ma télékinésie, ne gardant qu'une contrainte au niveau des chevilles, que je garde collées entre-elles. Pour que la manœuvre soit efficace, je la retourne, tête en bas. Cela ne doit pas être très agréable pour elle, mais c'est le moins fatigant et le plus sûr pour moi. Les pans de son long manteau blanc, sa capuche, ses cheveux courts et gris, pendent. C'est assez amusant, mais je ne souris pas. Comme elle a les mains libres, je juge plus prudent de lui enlever toute réserve de projectiles éventuelle. Me tenant toujours à deux bons mètres d'elle, je dénoue alors sans la toucher sa ceinture, probablement encore pleine de divers fumigènes ou objets pointus et tranchant. J'amène l'étoffe rouge jusqu'à moi, et l'enroule autour de mon épaule. Après une hésitation, je fais de même avec le manteau, qui prend la voie des airs et termine en tas derrière moi.
-Tu caches quelque-chose de potentiellement létal, dans tes bottes, ailleurs ?
Encore une fois, la question n'a qu'un but : amener le sujet dans ses pensées immédiates. Je la regarde. Sans tout son attirail, elle est beaucoup moins impressionnante. Elle fait à peine plus vieille que moi. Quelle est la loi exacte dans cette ville de Nexus ? Dans beaucoup de pays, elle n'aurait jamais été condamné aussi durement, mais je doute qu'ici, les législations soient aussi conciliantes. Allait-on lui couper la main, ou juste la jeter en prison ? Je me souviens que l'affiche parlait d'un ''visage relativement standard''... Je le trouve plutôt beau, je crois. Ses yeux verts sont presque aussi captivants que les cabrioles que quelques minutes plus tôt, elle exécutait encore. Je ne me suis jamais trop posé de questions sur ce que je considérais comme mes canons de beauté : ce n'est pas le sujet que je parcours avec le plus de facilité, tant il est subjectif. Néanmoins je pense qu'ils ne s'éloigneraient pas beaucoup de la silhouette suspendue que j'ai devant moi. Je l'observe, la détaille, sans chercher à cacher mon regard.