Les flammes avaient brûlé pendant toute la nuit, dansant dans le ciel enneigé. Les hommes étaient trop fatigués pour continuer à poursuivre la horde démoniaque, et le Colonel, sagement, avait décidé de dormir ici, en profitant pour s’enquérir auprès d’un nécromancien de l’état des âmes en présence. Le nécromancien s’appelait
Mordin, et, d’après ce que Cahir savait, il avait été chassé de la ville où il officiait après avoir mené des expériences sur un cimetière qui avait réveillé les morts, et déclenché une épidémie de peste. Cahir avait du mal à saisir en quoi le fait de réveiller des squelettes pouvait déclencher une épidémie de peste, mais il savait que les magiciens, surtout les nécromanciens, et surtout ceux avec la gueule de Mordin, n’étaient pas très réputés. Les épidémies de peste apparaissaient toujours comme des fléaux par excellence, donnant lieu à la recherche de bouc-émissaires idéaux. Mordin vivait constamment sous une espèce de masque en fer d’où on pouvait voir de longs cheveux blanchâtres et cadavériques, et dans une longue armure noirâtre. Il avait donné pour explication qu’une expérience nécromancienne avait détruit son corps. Il devait constamment vivre sous cette armure, sous peine de voir son corps se déphaser complètement.
«
Les âmes des défunts sont-elles en paix ? s’enquit le Colonel en regardant les flammes danser.
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Oui… Les âmes sont apaisées, le trépas assuré. Nous n’aurons pas de problèmes cette nuit, si ce n’est avec les goules » dit le nécromancien de sa voix égrenée et rocailleuse.
Satisfait, le Colonel hocha la tête. Cahir, de son côté, était assis dans un coin, regardant cette petite bande hétéroclite. La chasseresse de l’équipe,
Key’Ria se promenait dans la forêt, chassant sans doute avec son arc des bêtes sauvages. Solitaire, Cahir se demandait si sa vie, maintenant, ne se résumait pas à être avec ces gens. Des mercenaires, des lâches, des déserteurs… Il ne pouvait le nier ; c’était son univers. Dans un coin, le
Fauconnier était avec son faucon, adossé contre un arbre. Tout brûlait dans un coin. Un charnier géant, à ciel ouvert, avait été creusé, et on y brûlait les cadavres qui avaient été regroupés là. Les recherches du Colonel l’avaient amené à comprendre qu’il y avait derrière ces attaques un autre problème. Les traces suggéraient la présence de plusieurs monstres qui, en temps normal, se dévoraient entre eux. Il fallait donc supposer la présence d’un puissant mage, probablement un Archimage. Rien qui ne soit susceptible d’effrayer le Colonel.
Cahir avait passé une nuit assez silencieuse, se réveillant pour son tour de garde. L’ancien apatride était assez refermé et solitaire, ne se liant pas beaucoup. Les autres respectaient ce choix, et ils savaient que Cahir, même s’il n’avait aucun pouvoir magique, n’en était pas moins un excellent combattant. Il s’endormit ensuite dans un coin. Aucune tente n’avait été dressée, et il n’avait pas de sacs de couchage. Pour quelqu’un qui avait connu les conditions spartiates de certaines campagnes militaires, ce n’était pas bien grave. Il s’endormit tranquillement.
Au petit matin, le Colonel s’entretenait avec Key’Ria, qui avait aperçu à quelques kilomètres une cité aux murs et aux maisons dorées. Le Colonel avait compris qu’il s’agissait d’une citadelle religieuse et marchande qu’on surnommait la «
Cité d’Or », et qui était vouée à Zeus. Une citadelle faiblement défendue. Qui oserait attaquer un sanctuaire religieux ? Surtout quand le Dieu vénéré était Zeus. Néanmoins, Key’Ria était formelle ; la horde marchait sur la Cité d’Or, et Mordin ne tarda pas à le confirmer.
«
Je sens la Mort frapper, les âmes s’envoler, les corps hurler… La danse de la lame et du sang… En provenance de cette cité dont vous parlez, je suppose. Nous n’en sommes pas trop éloignés. Si nous nous dépêchons, nous devrions être en mesure de les rejoindre avant que la danse ne se termine. -
Très bien. Les gars, en marche ! »
Cahir n’était pas spécialement inquiet. Il en avait vu d’autres, et la troupe se mit rapidement en marche. Il n’y avait pas de tentes, et il ne fut donc pas difficile de repartir, et de marcher vers la Cité d’Or. Pour ne pas rater les hordes de monstres, le Colonel décida de laisser les mammouths en arrière. S’ils étaient certes efficaces au combat, leur fonction première était de transporter tout l’équipement de la bande. En délaissant les mammouths, les membres de la Légion parvinrent à rejoindre bien plus rapidement la Cité d’Or.
Ils n’étaient pas bien nombreux. Tout au plus une vingtaine d’hommes, mais Cahir ne doutait pas de leur efficacité au combat. La Cité d’Or allait justement le leur prouver. Cette dernière était dans un piètre état. De la fumée noirâtre s’échappait un peu partout, et les quelques garnisons qui défendaient la citadelle étaient mises en pièce. Plusieurs statues avaient été renversées, et on pouvait entendre les hurlements des villageois.
«
Soldats, lâcha le Colonel,
vous connaissez vos ordres et vos affectations. Dans al mesure du possible, essayez de trouver des survivants. Nous pourrons gagner quelques primes en les revendant à des marchands d’esclaves. Pour le reste, n’oubliez pas que le butin de guerre doit être partagé. J’en appelle à votre sens de l’honneur et du devoir, soldats. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, le premier tir est pour moi. »
Le Colonel sortit une espèce de long fusil tekhan amélioré, avec un viseur de précision, et trouva le premier monstre qu’il voyait. Une espèce d’harpie qui avait enfoncé ses serres dans les bras d’un prêtre, le soulevant dans les airs. Il appuya sur la gâchette, et la balle fila à travers les airs, coupant le vent, et explosa la tête de l’harpie. Le prêtre s’écrasa sur des marches.
«
La chasse est ouverte, gentlemen ! » tonna le Colonel.
Les mercenaires s’élancèrent alors. Mordin fut le premier à arriver sur les lieux, car il se téléporta. Il arriva sur une plate-forme avec de nombreux cadavres, et étendit ses mains griffues. Des ombres violettes en jaillirent, s’emparant des cadavres, fonçant vers les monstres. Cahir, de son côté, avait brandi son épée. Il y avait des dragons qui crachaient sur les toits, attrapant des soldats terrorisés entre leurs griffes. Il vit ainsi un dragon aux écailles rouges s’emparer d’un soldat entre sa patte, et pencher sa gueule pour lui arracher la tête et une partie du torse.
*
Autant commencer par les plus gros… Après tout, plus le monstre tué est gros, plus la prime est importante. Et, si je veux pouvoir librement me déplacer dans Terra, j’ai besoin de liquidités.*
Il passa par une muraille détruite, et tomba sur deux satyres en train de violer une femme. Cahir leur sourit, faisant racler son épée sur le sol. Toute cette citadelle était étrange. Bâtie au milieu de la neige, elle se composait de maisons suspendues au-dessus de la neige, et tout était dallé en or massif. Les satyres se retournèrent en voyant Cahir marcher vers eux, et ce dernier plongea sur eux. Sa lame égorgea celui qui prenait la femme, et il frappa avec son gantelet l’autre satyre, avant de lui planter sa lame dans le ventre. Distraitement, l’apatride nota que la jeune femme était morte. Des créatures répugnantes, indiscutablement…
Les autres mercenaires affrontaient également les monstres. La plupart ces derniers s’acharnaient sur les portes du grand temple central, où la plupart des civils et des prêtres s’étaient réfugiés, avec les derniers gardes, qui décochaient des flèches et des carreaux d’arbalétriers depuis des fenêtres, touchant de gros cyclopes et d’immondes géants. Le Fauconnier se trouva de son côté face à une Lamia, avec son faucon accroché dans le dos. La Lamia émit un long sifflement en le voyant, et frappa avec sa queue, renversant le Fauconnier, qui en lâcha son épée. La Lamia fondit alors sur sa proie, et le Fauconnier l’évita en sautant en arrière, évitant un nouveau coup de queue. La Lamia se permit un sifflement sinistre, équivalent à un rire, et le Fauconnier tenta d’attraper son épée, qui se trouvait devant la Lamia.
«
Créature pathétique… » nota la Lamia en plongeant vers sa gorge.
Elle nota trop tard le faucon qui s’était appuyé sur le dos du Fauconnier, et, quand ce dernier heurta le sol, lui montrant son dos, l’oiseau de chasse fondit sur la Lamia. Lamia, cyclope, dragon, géants, Dieux, peu importe qui on était, il y avait une faiblesse commune propre à toutes les espèces. Les serres du faucon s’enfoncèrent avec force dans les yeux de la Lamia, qui en poussa un hurlement de douleur, se tordant sur place. Rattrapant son épée, le Fauconnier se retrouva dos à elle, et envoya sa lame en arrière, transperçant le corps de la Lamia. Il se retourna, et la décapita. Son faucon alla se poser sur son épaule.
Notant cela d’un œil lointain, Cahir s’était élancé à la poursuite d’un dragon, courant le long d’un escalier en l’observant. Le dragon volait à basse altitude, essayant de tuer Mordin. Ce dernier utilisait les monstres tués contre les ennemis. Il avait pris possession du corps de la Lamia que le Fauconnier venait de tuer, et l’envoyait attaquer d’autres créatures. Son bouclier le protégeait du feu du dragon, et Cahir courait le long d’un escalier menant à une plate-forme d’observation surplombant la place. Le dragon volait juste en-dessous.
*
Je suis sûr que c’est une mauvaise idée…*
N’écoutant que son courage, ou sa folie, Cahir bondit dans les airs, et s’écrasa sur le dragon. Des excroissances osseuses sortaient de sa colonne vertébrale, filant le long de sa queue, et Cahir rebondit sur le corps du dragon. Pour ne pas tomber, il enfonça sa lame en verredragon dans la peau du dragon. Ce dernier poussa un hurlement de douleur, son sang se mettant à couler de sa plaie. Cahir s’accrocha à sa lame, parvenant à rester dessus. Touché au flanc, le dragon peina à conserver son allure, et heurta violemment avec l’aide droite la façade d’un immeuble doré, Cahir étant sur la gauche. Déstabilisé, le dragon se retourna dans les airs, et s’écrasa sur le sol, relâchant Cahir, qui roula sur le sol enneigé. Il se releva, et entendit le grognement furieux du dragon.
Suivant son instinct, Cahir fit une roulade sur le sol, évitant une colonne de feu émanant de la gueule du dragon. Furieux, ce dernier le regardait avec des yeux injectés de sang. La chute avait fait mal à Cahir au niveau de ses cotes droites, et il se redressa, seul et désarmé, face au dragon. Un sourire amusé se contentait toutefois d’éclairer les lèvres de l’apatride.
*
Viens par là, mon mignon, je vais te refaire le portrait !*
Les civils, quant à eux, continuaient à rester terrés dans le temple, et, dans leur désespoir, voyaient en ces sauveurs inopportuns des envoyés de Zeus.
«
Zeus nous est venu en aide ! pouvait-on entendre.
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Tuez ces monstres ! »