La Terre en automne. Un parc, ou plutôt un jardin botanique que la saison avait paré de mille et une couleurs chatoyantes. Le rouge, l'orangé, le jaune des feuilles brunissantes se mêlaient au violet, au rose et aux centaines de nuances des fleurs et des autres plantes exposées en ce lieux.
Cet étalage de couleurs éclatantes, l'air doux du début de soirée, le silence environnant parvenaient presque à faire oublier la sombre demeure qui se dressait un peu plus loin, un manoir gothique, comme le château de quelque vampire ou sombre sorcier qui dressait son ombre menaçante au-dessus de ce petit havre de paix.
En dépit de la bâtisse menaçante, c'était un lieu où Zorro aurait aimé être, se détendre et profiter d'une agréable compagnie. Malheureusement, l'ex-mercenaire n'était pas là pour le plaisir. Et fait de compagnie, c'était justement son manque qui le poussait à se trouver ici. La compagnie de celle qu'il aimait et qui, depuis plusieurs jours, avait disparu alors qu'elle travaillait dans les alentours du sinistre manoir.
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Cela faisait maintenant plusieurs années que Zorro était sur Terre. Combien exactement, il n'aurait su le dire ; il ne s'était jamais donné la peine de tenir un compte exact. Il faut dire qu'il était arrivé à cet âge où quelques dizaines d'années en plus ou en moins n'étaient guère importantes.
Avant cela, il avait erré longtemps sur Terra, un autre monde relié à celui-ci par des portails et autres failles dans la trame de l'Univers. Dans la trame du Multivers.
En pratiquement 200 années, il avait parcouru l'ensemble des continents de Terra, vu les changements qu'ils avaient subi, participé à bien des combats entrecoupés de brefs instants de paix. Il aussi avait fait d'innombrables rencontres, bonnes ou mauvaises, vécu mille aventures, affronté bien des périples. Lui qui venait encore d'un autre monde, arrivé faible, nu, perdu, il s'était adapté. Et il avait appris à mieux maîtriser son pouvoir, ce pouvoir si particulier, qui semblait magique sans l'être véritablement et qui lui avait valu de se retrouver dans cet univers.
Il avait survécu puis vécu, avait connu des amitiés nombreuses et des relations, certaines profondes et sincères, d'autres plus éphémères. Mais curieusement, en 200 ans, il n'avait jamais connu l'amour comme il l'avait connu auparavant, dans son monde d'origine. C'était ici, sur Terre, qu'il l'avait rencontré.
Son passage sur Terre ne s'était pas fait sans heurt. Certes, cette fois, il n'était pas arrivé dévêtu, il avait conservé toute sa force. Mais la violence des sons, la violence des odeurs l'avaient à demi assommé. Groggy, il n'avait dû qu'à ses réflexes de ne pas se faire renverser par un camion alors qu'il traversait la rue en se tenant le crâne.
Plus tard, lorsqu'on l'avait interrogé sur l'accident, le malheureux chauffeur routier avait raconté une invraisemblable histoire sur un homme au milieu de la route qui l'avait poussé à rentrer dans une boutique de porcelaine. Avec son camion.
-J'vous jure, j'ai vu un type sur la route ! Il était habillé bizarrement, un peu comme ces gens bizarres qui s'habillent comme des elfes et se tapent dessus avec des épées en mousse. Sauf qu'on était en pleine ville, au petit matin. Et quand j'ai regardé dans mon rétro, avant de sortir au milieu des vases éclatés, il n'y avait personne. Comme si j'avais vu un fantôme !L'histoire avait fait les choux gras de la presse locale et bien des années plus tard on utilisait encore l'expression "Entrer comme un camion hanté dans un magasin de porcelaine".
Zorro, de son côté, avait entreprit de faire ce qu'il savait le mieux faire : survivre. Les débuts avaient été très compliqués. Alors qu'en arrivant sur Terra il avait immédiatement compris la langue commune, à quelques mots près, sur Terre il n'en était rien. Il n'en comprit la raison que plus tard. En outre, les gens se méfiaient de lui : un homme plutôt grand, l'œil balafré, qui se baladait avec ce qui ressemblait à une armure, une épée dans le dos et deux pistolets d'aspect antique à la hanche. Au mieux, ils le prenaient pour un excentrique. Au pire pour une personne dangereuse, un fou psychopathe. Il avait plus d'une fois faillit se retrouver en prison.
Parfois, une personne semblait réussir à le comprendre, parlant une langue approximativement la même que la sienne. Parmi ces personnes, certaines acceptaient de l'aider, l'hébergeant le temps d'une soirée ou lui donnant de quoi se nourrir. D'autres l'embauchaient, essentiellement pour son physique et ses armes. Généralement Zorro quittait bien vite ces emplois-là, ne désirant nullement servir de gros bras ou d'exécuteur. Enfin, d'autres tentaient simplement de le détrousser, misant sur son visible égarement et souhaitant s'emparer de l'or qu'il montrait parfois pour essayer de s'acheter à manger. Ils en avaient à chaque fois payé le prix.
Plusieurs mois s'étaient ainsi écoulés, quand Zorro fit une rencontre qui allait changer sa vie.
Cela s'était passé dans un bar, un bar tout ce qu'il y a de plus classique aussi tard dans la soirée. Comme à son habitude, le mercenaire s'était installé à une table, dans un coin d'où il pouvait embrasser l'ensemble de la salle du regard. Plus loin, accoudée au comptoir, se trouvait une jeune femme aux cheveux bruns et aux surprenant yeux gris qui reflétait les lumières flashs des lieux. A côté d'elle se trouvait un homme à l'allure étrange, dérangeante aux yeux de l'hybride, bien qu'alors il n'aurait su expliquer exactement pourquoi. Penché sur la jeune femme, il lui parlait et tentait sans cesse de la toucher, malgré les refus de la demoiselle.
Alors Zorro, une fois de plus, s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas. Une désagréable manie qui lui avait déjà valu plusieurs déconvenues, mais c'était plus fort que lui. Sans surprise, l'homme l'avait extrêmement mal pris et, en quittant le bar, ses yeux avaient eu un éclat rougeoyant. Plus surprenant avait était le regard de la femme, manifestement contrariée, pour ne pas dire furieuse de l'intervention. Zorro s'était excusé, ses mots restants sans réponse, et était parti.
Plus tard, au détour d'une ruelle, l'homme du bar lui était tombé dessus. Littéralement.
Un simple humain n'aurait jamais pu atteindre le demi-elfe, fort de décennies d'expérience et de son hybridation. Le coup qu'il reçu par surprise manqua de lui fendre le crâne, des griffes effilées lui transpercèrent la poitrine et une vive douleur lui déchira le cou alors qu'une étrange léthargie s'emparait de lui.
Dans le brouillard de son regard, il vit une silhouette qui se tenait derrière son agresseur. Et soudain celui-ci se fit beaucoup plus lourd sur son corps.
Quand sa vision revint, devint lui se trouvait d'immenses yeux gris.
- あなたは何者ですか ?Il avait secoué la tête. Encore ce langage étrange qu'il ne comprenait pas.
Elle avait recommencé, différemment.
- Qu'est-ce que tu es ?- Je … Quoi ? Ce que, pas qui ?Il avait hésité, arguant que la réponse était compliquée. Elle avait soupiré puis avait pointé du doigt le corps qui disparaissait lentement.
-Cet homme était un Ténébreux. Moi je les chasse, entre autres choses, pour ma guilde. Et toi, tu devrais être mort, dans le meilleur des cas. Alors oui. Qu'est-ce que, pas qui.Finalement, le mercenaire lui avait expliqué. Tout expliqué, persuadé qu'elle ne le croirait pas. Elle l'avait cru. Et l'avait invité dans la guilde.
Dans les années qui suivirent, Zorro fut accepté et formé par la guilde, Urdd o'r Tywyll.
Mathilde, puisque tel était son nom, fut sa tutrice dans les premiers temps, lui apprenant les règles de la guilde, les règles de ce monde et l'art du combat contre les Ténébreux. Sur ce dernier point, il s'avéra vite que Zorro en savait bien plus qu'elle, et même bien plus que la plupart des vétérans de l'Ordre, ce qui lui permit de rapidement partir en missions d'abord avec Mathilde comme chaperon, puis comme partenaire et enfin, parfois puis de plus en plus souvent, seul.
A mesure qu'ils passaient du temps ensemble, dans les combats ou l'éducation, les périodes communes à tous ou leur temps privé, un sentiment commença à naitre au cœur des deux chasseurs. Un sentiment plus fort, plus profond que la reconnaissance, la confiance, l'amitié, ou même le simple désir.
Et après deux années à sentir ce sentiment gonfler, ils s'unirent, en dépit de la Guilde qui désapprouvait, sans interdire, ce genre de relation.
Une année passa encore. Suite à une explosion dans les manifestations des Ténébreux ou des gens affiliés, Zorro, comme Mathilde, étaient souvent envoyés en mission solo, parfois pendant plusieurs jours.
Même s'ils en comprenaient tout deux la nécessité et qu'elle avait comme point positif d'entretenir leur flamme, la situation pesait aux deux amants qui souffraient de l'éloignement.
Pour tenter de combler ce manque, Mathilde avait fabriqué un artefact, une bague, capable d'informer l'un de la santé de l'autre, en tout temps. Si la bague restait sans réaction, tout allait bien. Si elle pinçait, l'autre souffrait. Et si elle brillait, alors sa vie était en danger.
Et un soir, la bague de Zorro le pinça et brilla si fort qu'elle en aveugla le guerrier et le groupe de mages renégats qu'il affrontait.
Une heure plus tard, après avoir fini son travail et essayé en vain de joindre son amour, le téléporteur était de retour à la guilde, pourtant distante de plusieurs continents.
-Où est-elle !?Il avait débarqué en trombe dans la salle de réunion. Sa fureur, sa peur étaient si grandes qu'il semblait émaner de lui une aura rouge sang et que ses yeux, habituellement vert, s'étaient teintés d'une lueur fauve.
-Répondez ! Où est-elle !?!Quelques gardes présents tentèrent de l'arrêter, de le calmer. Ils n'eurent même pas le temps de le toucher. Ceux qui sortirent leurs armes en firent pour leurs frais, les os brisés. C'était la deuxième fois de sa vie qu'il était pris d'une telle rage et dans cet état, il semblait invincible.
Cinq minutes après son coup d'éclat, il était chez Mathilde et lui, paquetant quelques affaires après avoir envoyé chier la Guilde qui avait essayé de le retenir et de le dissuader d'aller seul sur le terrain.
Mathilde devait se charger d'un mage usant et abusant de sa magie. Elle était seule et, même si son anneau ne donnait plus de signes particuliers, il savait qu'elle était en danger. Blessée, sans doute prisonnière. Peut-être même … Non, il refusait d'y croire. Pas elle. Pas déjà…
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Un souffle de vent balaya sa crinière de cheveux sombre et ses joues mal rasées, ramenant Zorro à l'instant présent.
Cela faisait déjà quelques jours qu'il était dans cette ville. Il avait trouvé sans difficulté la demeure du sorcier - ce manoir gothique surmontant la ville était un véritable cliché de mage noir plein aux as – mais il s'était bien vite heurté à un problème. Que ce soit parce qu'il était parti trop vite ou parce que la Guilde elle-même n'en savait pas plus, mais le mercenaire ne savait absolument rien de son adversaire, si ce n'était qu'il s'agissait probablement d'un homme, un mage qui se livrait à diverses expérimentations et tentatives d'union de la magie et de la technologie terrienne. En bref, aucune information réellement utile.
Il avait alors commencé son enquête, remarquant rapidement le champ de force qui entourait le château et ses environs, et s'était débrouillé pour trouver un logement avec vu sur la bâtisse. Ledit logement, un meublé de deux pièces au sommet d'un immeuble qu'il louait à la semaine, se trouvait à plusieurs minutes de marche du repère du sorcier, mais cela n'était pas un problème pour le téléporteur.
Plus problématique était ce fameux champ de force, qu'il percevait comme une délimitation à l'odeur piquante, et qui allait sans doute l'empêcher de se rendre directement dans le manoir ou d'y transporter ses armes. Il allait devoir se contenter de sa dague runique et d'un petit pistolet, faciles à dissimuler, en délaissant son épée favorite, et y entrer à pieds. En outre, quand le lendemain il avait essayé de pénétrer à l'intérieur de la zone, il s'était senti étrangement faible. Il supposait que cela était dû à son hybridation, qui faisait de lui une créature magique, la zone annulant justement la magie, mais il n'en savait rien.
Il était retourné encore plusieurs fois sur les lieux dans les jours qui avaient suivi, repérant les différentes entrées, cherchant des points faibles dans le dôme anti-magie, notant les éventuels passages, plongeant pendant des heures dans les plans et cadastres de la ville pour finalement parvenir à une conclusion : seul, ses chances de ramener Mathilde étaient particulièrement faibles. Et même s'il avait demandé de l'aide à la Guilde, chose qu'il se refusait encore à faire, il savait que celle-ci n'interviendrait pas, du moins pas avant encore plusieurs semaines. Soit beaucoup trop de temps.
Le chasseur en était là de ses réflexions alors qu'il déambulait dans ce parc, lorsqu'une main vint s'abattre sur son bras.
Il avait entendu la personne arriver d'un pas déterminé, et elle n'avait pas insisté. Aussi Zorro s'était-il maitrisé, malgré ses nerfs à fleur de peau et son malaise dans cette foutue zone, et n'avait pas cherché à neutraliser instantanément l'inconnu. Ou plutôt l'inconnue.
Alors qu'elle reculait de quelques pas, il se retourna vivement, la détaillant rapidement avec, dans son regard d'émeraude, la même rage et la même douleur qu'il avait manifesté à la Guilde.
La jeune femme que venait de l'abordait semblait manifestement prête pour la guerre. Néanmoins, ce ne fut pas son équipement singulier et martial, ni ses yeux d'or sombre ou sa silhouette digne d'un Michel-Ange qui le frappa, mais bien les mots qu'elle venait de prononcer.
En un éclair il lui saisit fermement le poignet, brutalement même dans son état, et la traîna à demi derrière lui.
-Suis-moi.Sa voix était dure, l'ordre absolu, lui qui normalement avait une voix plutôt douce et préférait suggérer plutôt qu'ordonner, et il marcha à grand pas jusqu'à un banc, ses forces revenant immédiatement après avoir franchi la zone "morte", et incita fortement la femme à s'assoir, lui-même ne faisant pas le moindre geste en ce sens, restant face à elle, bras croisés sur sa poitrine, prêt à se défendre au cas où et la dominant d'un bon vingt centimètres en dépit de la haute taille de l'inconnue.
-Donc tu crois que nous cherchons la même chose. Explique.A nouveau ce ton vindicatif, qui cachait mal sa douleur et le chaos qui régnait dans sa tête et son cœur et ce regard froid, fixé sombrement sur son interlocutrice.