Dans un soubresaut, Amy se retourna dans son lit. La pièce était plongée dans une parfaite obscurité, comme si la lune elle-même avait daigné s'inviter dans la chambre de l'avocate . À tâtons, la jeune femme chercha son mobile. L'heure. 18h27. Un soupir, et elle s'enfonça davantage dans les couvertures.
Elle était revenue de France le matin même. Une échappée très belle, qui lui avait permis de parfaire son français. Et ses goûts en vin, par la même occasion. Amy cultivait un certain raffinement qui l'obligeait à fréquenter les lieux les plus en vues. Paris en faisait, bien évidemment, partie. Aussi s'était-elle offerte, après une affaire brodée d'or et de magouilles, ce voyage de deux semaines. Grâce à cela, elle s'était souvenue de pourquoi elle aimait tant cette contrée. Écumant les boutiques de haute-couture pour s'offrir des tenues toujours plus élégantes, se ruinant presque dans de fabuleuses caves à vins, et dégustant la gastronomie française sans jamais s'en lasser, Amy avait bien profité de ce tendre pays.
C'est de revenir au Japon qui l'avait épuisé. Retrouver toutes ces affaires, tout ce mauvais vin, toutes ces choses qui ne lui manquait guère lui avait coupé l'appétit, et avait fait redescendre d'un cran son sourire rêveur. Au point qu'elle avait ingurgitée deux antidouleurs pour s'endormir comme une masse, après avoir vu l'espace autour d'elle trouble pendant quelques minutes, ayant la sensation que le cosmos l'avalait toute crue tandis que les étoiles lui picoraient le corps. L'avocate adorait les effets secondaires, en général. Ils étaient toujours surprenants. Loin d'être une de ces junkies qu'elle méprisait sans s'en cacher, la jeune femme se plaisait, parfois, à prendre quelques médicaments susceptibles de la faire planer. Certains diront que c'est pire que tout, mais elle, elle s'en calait pas mal. Des leçons, elle n'avait à en recevoir de personne. Bref, elle venait de se réveiller après un lourd sommeil de huit heures, durant lequel elle n'avait pas rêvé. Son esprit s'était offert une nuit sans songes, comme pour se reposer lui aussi. Il y avait bien droit. Dés que tout recommencerait, elle savait pertinemment qu'elle n'aurait plus aucune minute à elle.
Un nouveau grognement, et Amy appuya sur l'interrupteur, laissant une lumière tamisée lécher les murs, tandis qu'une
douce musique enflait dans l'air. Elle chassa bien vite un sentiment nauséeux qui la prenait d'assaut, pour s'appuyer contre le mur, encore emmitouflée dans sa couette. Et elle s'alluma une cigarette. La saveur piquante du tabac la fit grimacer, tandis qu'elle sommait, via une sonnette, une de ses domestiques de venir. Depuis son retour, l'avocate vivait dans la demeure familiale des Beckett, avec ses parents, ses cousins et quelques amis proches de celle qu'elle nommait ironiquement « sa tribu ». Les Beckett étaient des gens aussi dangereux qu'influents. Et leur fortune, bâtie sur des années de magouilles et d'expériences politiques plutôt bien réussie, n'était pas à remettre en question. Dans cette demeure aux allures de Maison Blanche du crime, Amy avait conservée sa chambre d'adolescente. Celle dans laquelle, actuellement, elle fumait, tout en comptant le nombre de valises et de sacs qui jonchaient le sol de sa chambre. Se déplacer en jet privé avait ses avantages. D'une main, elle ouvrit sa serviette, posée sur le bord de son lit, pour en extraire de la paperasse. Désormais, le japonais lui abîmait les yeux. Elle grimaça, et posa le dossier « Voile de la Nuit » à côté d'elle, sur ce lit deux places bien confortable.
La domestiques déboula silencieusement, un plateau dans les mains.
- John (un des cousins d'Amy) a pensé que vous auriez faim. Et, suite à la conversation que vous avez eu sur le chemin du retour, il m'a demandé de vous donner cela.
La trentenaire européenne aux visage rond qui servait de domestique aux Beckett depuis leur arrivée au Japon tendit à Amy une enveloppe, qu'elle s'empressa d'ouvrir.
-
Je vous remercie, Marthe. Ce sera tout.Dés qu'elle quitta la pièce, l'avocate extirpa de l'enveloppe une carte de visite, et un mot griffonné par son frère.
« Tu disais qu'il n'y avait pas de bon vin au Japon, hier, pendant le vol … Et j'ai envie de te faire mentir. Rendez-vous à 19h30 là-bas. »
La carte de visite, aussi soignée de mystérieuse, dévoilait une adresse. La jeune femme laissa un sourire amusé éclore sur ses lèvres roses, et s'extirpa immédiatement de son lit. Le temps de se doucher, d'enfiler une tenue digne de ce nom –
un élégant tailleur YSL et une paire de talons noirs vernis – et elle rejoignit sa voiture, une berline noire qui semblait inaccessible à la moindre trace de saleté ou d'usure. Elle indiqua à son chauffeur le lieu du rendez-vous, tout en ajustant sa tenue. Le décalage horaire semblait s'afficher sur son visage, aussi prit-elle soin de se remaquiller pour s'offrir une figure humaine. Un rouge à lèvres pimpant, du font de teint pour masquer deux légères cernes qu'elle jugeait aussi grosses que ses joues, et elle se sentit bien mieux. Après dix minutes de route, elle sortit enfin du véhicule, se tenant face à ce lieu aux allures de club privé. Sa tenue, dont le prix ferait rougir n'importe qui de bien portant, et son nom lui permirent d'entrer sans souci dans le lieu, appréciant l'endroit. C'était bien tenu, élégant, aux allures d'un bar chic des années Charleston. Il y avait une cave, où dormaient paisiblement des bouteilles de vins – dont la plupart venait de France – et on proposait même des cigares. Qu'Amy refusa poliment. La première fois qu'elle avait fumée un cigare, elle avait cru décéder. Si elle recommençait, aucun doute que ses poumons ne le lui pardonnerait jamais.
Un rapide coup d’œil à sa montre lui indiqua qu'il était 19h50, et que John n'était pas là. Dans le lieu, elle discernait quelques silhouettes silencieuses. Un instant, elle songea à un guet-apens, et sa main vint se plaquer, comme par réflexe, contre sa taille. Un Beretta 9 mm s'y reposait, près à servir. Elle avait reçu ce pistolet, et un autre Beretta silencieux pour ses 20 ans. Après un lent soupir, Amy se posa à une table, s'enfonçant dans un fauteuil très confortable, attendant qu'on lui offre la carte des vins. John ne viendrait pas. Elle en avait l'habitude, désormais. L'avocate tritura le nœud autour de son col, avant de pousser un nouveau soupir, mais relativement discret cette fois. Son cousin passait son temps à l'inviter à des rendez-vous auxquels il ne venait pas, lui assurant qu'elle y ferait une rencontre du destin. Ce à quoi elle ne croyait guère. Et puis, elle devait discuter avec John de cette organisation, ce
Voile de la Nuit sur lequel elle enquêtait. Lui seul était au courant. La musique qu'elle avait entendu, dans sa chambre, plus tôt, lui trottait dans la tête.
- "
La vie c'est comme une overdose
Tu prends tout tout de suite
Tu en crèves et vite ♫ "
Chantonna t'elle, tout en s'installant mieux dans son fauteuil, à l'instant même où un homme lui offrait la carte des vins, avec un sourire simple qu'elle apprécia.