Formation super-héroïque [Sentinel Prime]

Il y a encore quelques jours de ça, si on avait dit à Kara qu’elle s’amuserait à taper sur un punching ball pour doser sa force, elle aurait probablement trouvé l’idée absurde. Absurde, car totalement grotesque. Il lui suffisait de frôler de la main un punching ball pour qu’il soit arraché de ses supports, et s’écrase contre un mur. Pourtant, depuis plusieurs jours, Kara s’entraînait bel et bien à taper sur un punching ball. Il fallait dire que, il y a environ une semaine, elle avait rencontré une sévère mésaventure, qui l’avait envoyé à l’hôpital*. Suite à ce combat, qui avait tourné assez court, Supergirl avait décidé de suivre les conseils des individus qui l’avaient aidé, et qui était de s’entraîner, notamment en apprenant à contrôler sa force... Et, curieusement, quand on avait dans les poings la force de pulvériser un char d’assaut d’un coup de poing contrôler sa force était difficile. Kara alternait entre des séances d’entraînement dans les salles d’entraînements virtuels de Seikusu base Camp, où elle pouvait tout casser sans risque de recevoir une facture salée, et dans les salles de sport, où elle avait défoncé une trentaine de punching balls les premiers jours. Sa force était tellement grande qu’elle peinait à donner un simple coup, qui se contenterait tout simplement de heurter le punching ball, sans le crever.

Une autre partie de cet entraînement, plus agaçante, consistait à aller au lycée Mishima. Bien qu’elle ait techniquement la quarantaine, le métabolisme de la Kryptonienne était différent des humains, et elle avait toujours l’air de ressembler à une adolescente de vingt ans. Avec quelques vêtements adaptés, elle ressemblait à une adolescente. La raison réelle de son insertion au lycée était la volonté des agents chargés de l’entraîner de l’insérer dans la société, afin qu’elle arrive à mieux se contrôler. Elle craignait surtout que des lycéens ne la remarquent, et ne voient en elle la femme costumée qui se baladait dans les airs. Mais, après tout, personne n’avait jamais remarqué que son cousin était Superman, alors qu’il ne faisait que porter des lunettes.

Chez elle, elle s’entraînait sur un punching ball, et le frappa très légèrement. Le punching ball s’envola littéralement, heurta le plafond, mais ne fut pas arraché de la chaîne qui le retint, et se plaça devant Kara.

*Bon, on va dire que c’est assez...*

Elle récupéra le punching ball, l’immobilisant lentement, puis alla s’étirer, avant de réfléchir sur la suite du programme. Assez rapidement, la Kryptonienne décida d’aller faire un tour dehors. Elle ouvrit son placard, abritant sa garde-robe, et, après quelques hésitations, opta pour sa tenue classique. Elle s’habilla proprement, puis sortit par la fenêtre, s’envolant dans les airs. Son studio se situait du côté de la Toussaint, où les prix étaient les moins élevés, et où elle était proche des zones d’hostilité. Supergirl s’envola dans les airs, et ferma les yeux, avant de se concentrer.

Elle avait également du affiner ses autres sens, et s’empressa d’essayer son ouïe surdéveloppée. Pour la perfectionner, elle s’était forcée à écouter des émissions en branchant sur son oreille des écouteurs, avec de la musique forte. L’objectif était d’affuter suffisamment ses tympans pour pouvoir percevoir les ondes sonores de l’émission. Un exercice assez infructueux, mais qui marchait de mieux en mieux. Kara se concentra, essayant d’entendre des cris, des hurlements, des appels à l’aide, des menaces... Et, au bout de quelques minutes, elle finit par entendre des ondes sonores venant de loin.

« Sauvez-le !
 -  Il va sauter ! »

Kara rouvrit les yeux, et se dirigea vers les sons.

Ils venaient du centre-ville, où un petit attroupement s’était formé au niveau du sol, devant une terrasse se trouvant au sixième étage. Sur un parapet, un homme en costume se tenait debout, face au vide, bras écartés, hésitant visiblement à sauter dans le vide pour se rompre le cou.

Ce qu’il finit par faire, provoquant les hurlements de la foule.


* : Cf.RP « Rage Against The Machine »

- Le lectorat a toujours du mal à s'identifier à une femme super-héroïque, Kyle. T'es un yankee, tu devrais le savoir : l’intérêt qu'on leur porte est souvent plus esthétique et sexuel qu'autre chose. Ce qu'attendent les lecteurs, c'est de voir ta super meuf mise en scène de façon à ce que son cul ou ses seins soient bien mis en valeur. Et si possible avec une amie ou deux. Le scénario, tout ça... Ça passe après.

Devant l'écran de Skype, je soupirais. Mon contact américain dans une grande maison d'édition venait de passer une petite demie-heure à m'expliquer pour mon projet de comics était trop risqué pour un premier jet en solo. Et le pire, c'était qu'il savait se montrer plutôt convaincant ! J'avais pourtant voulu faire quelque chose d'assez classique, en commençant avec une femme plutôt qu'un homme. Une jolie fille aux cheveux argentés et à la combinaison argentée que j'avais d'abord nommée Arcana. Comme je l'avais expliqué à mon interlocuteur, Arcana serait en fait issue d'un monde parallèle à la Terre et soumis à une ère glaciaire perpétuelle. Elle viendrait dans notre réalité pour trouver un moyen d'aider la sienne, ce qui l'amènerait à utiliser ses pouvoirs pour combattre le crime. L'idée était de construire ce comics comme un manga japonais, mais force était de constater que se faire publier en Amérique comportait certains écueils comme l'hyper-sexualisation des personnages féminins. Je n'avais rien contre, mais j'avais établi tout une histoire à tiroirs pour Arcana et ça me déprimait de la voir reléguée au rang d'icône sensuelle sur papier glacé.

- Tu me démoralise, Jason. Ici au Japon, 90% des personnages féminins sont roulés comme des fantasmes masculins et s'intègrent pourtant très bien à l'univers dans lequel ils évoluent. Certaines filles sont meilleures que le rôle principal !

- Fais en un side-kick, alors ? L'idée est bonne, Kyle. Mais avec ton style de dessin, on va te demander toujours un peu plus de fesse et de nichon, t'es prévenu. A toi de voir.

- Mouais. Je te rappelle, je vais plancher sur ma copie.

Et je coupais la conversation sans trop attendre l'avis de Jason, quittant mon bureau pour me diriger vers la table à dessin qui ornait mon petit salon. Sur les planches crayonnées, les deux premiers chapitres des aventures d'Arcana s'étalaient. Alors que j'étais bien parti pour les terminer ce soir, ma discussion sur Skype m'avait coupé l'herbe sous le pied et je restais là un moment, pensif.
Il existait dans la vraie vie quelques super-héroïnes, nous le savions tous. Les journaux parlaient de Wonder Girl, de Batgirl et même d'une bonne femme en armure rouge et or. Etaient elles aussi "super-sexualisées", comme leurs équivalents de papier ? Prenaient elle des poses anatomiquement impossible pour ravir les spectateurs de leurs exploits ? Quand j'avais eu ma petite période super-héros au pays, je roulais un peu des mécaniques quand j'en avais l'occasion. Mais j'étais jeune et il ne s'agissait jamais que de filer des coups de main anodins, loin du sauvetage de l'humanité... Je ne pouvais donc pas être pris comme une référence.

Après avoir contemplé les lignes flatteuses d'Arcana, je me décidais à prendre l'air. Peut-être que je trouverais l'inspiration en flânant comme ça arrivait parfois ? A défaut, je retrouverais peut-être la motivation pour achever mes planches du moment. Une fois coloriées et encrées, je verrais possiblement le problème sous un jour nouveau. J'enfilais donc ma veste de cuir et mes pompes avant de sortir de l'immeuble de la Toussaint où j'avais élu domicile. Sans destination précise, je me mis à errer dans les quartiers avoisinant , la machine à idées tournant à plein régime.

- Sauvez-le !
-  Il va sauter !

Cela faisait une bonne demie-heure que je traînais en ville quand les cris me tirèrent de mes pensées, me faisait stopper en pleine rue pour découvrir l'attroupement massé sous un immeuble. Il suffisait de lever la tête pour découvrir l'objet de l'attention des badauds; un suicidé en devenir. Ce fou allait sauter du 6ème ! Un bref coup d'oeil me permis de comprendre que les secours n'étaient pas arrivés et que rien n'empêcherait la mort du malheureux. Il fallait donc intervenir. C'était un job pour un des super-types de Seikusu, non ? Les secondes s'égrainaient et personne ne semblait toutefois intervenir en descendant en flèche depuis le ciel. Soit, la providence viendrait du sol ! Rapidement, je rabattais sur ma tête la capuche du sweat que je portais sous mon cuir et chopais une paire de lunettes de soleil des mains d'une femme se trouvant à côté de moi. J'eu à peine le temps de l'entendre crier au voleur que l'assemblée cria d'horreur au saut du gars haut perché. Pas le temps de m'expliquer, je chaussais les lunettes fumées et décollais comme une balle pour intercepter l'homme en plein vol. Inutile de vous dire que je suscitais alors des cris d'un autre genre...
Le suicidé -enfin, pas tout à fait, du coup- me regarda avec un air ahuri tandis que je pris vivement de la distance en m'envolant tout en le gardant dans les bras. Normalement, personne ne pourrait nous suivre ni même nous voir atterir entre deux immeubles, cinq-cent mètres plus loin.

Plutôt que de m'assurer qu'il allait bien, je l'attrapais par les pans de sa veste pour le soulever un peu brutalement.

- Pauvre connard ! Si tu veux te tuer, évite de faire ça dans une rue passante où des gosses pourraient de voir ! Abruti !

Et vlam ! Sèchement, je l'envoyais contre le mur le plus proche et le choc lui fit perdre l'équilibre. Manquant de tomber, il se rattrapa aux poubelles avant de détaler en bafouillant un vague remerciement. Quant à moi, plus semblable à un voleur de sac à main qu'un héros, je me débarrassais des lunettes et du sweat en m'assurant de ne rien laisser dans mes poches puis je filais le plus discrètement possible dans la direction exactement opposée au lieu de mes exploits. Avec un peu de chance, je passerais inaperçu.

Le temps que Kara rejoigne l’origine des voix, il était déjà trop tard... Ou presque. Quand l’homme décida de sauter de son balcon, confirmant la logique des 3 « D » s’appliquant aux sociétés en faillite (« Dépôt de bilan », « Divorce », « Dépression »), Kara était encore à plusieurs centaines de mètres. Elle alla encore plus vite, atteignant une vitesse supersonique, provoquant un violent *BANG !* qui surprit les gens à côté, comme si un avion de chasse venait soudain d’enclencher Mach-5. Elle vit l’homme en train de descendre, mais, alors qu’elle allait fondre sur lui pour le récupérer, un individu avec une capuche et un sweat débarqua pour l’attraper. Kara s’arrêta dans sa course, surprise, et vit l’homme filer.

*Euh ? C’est qui, celui-là ?!*

Supergirl ne l’avait jamais vu auparavant ! Il s’envola à toute allure. Les badauds en contrebas parlaient bruyamment entre eux, lorsque certains aperçurent Supergirl.

« Supergirl ! C’est Supergirl !”

Kara regarda autour d’elle, puis alla à la suite de ce mystérieux sauveur, afin d’en savoir plus. Elle était sûre de ne l’avoir encore jamais vu à Seikusu Base Camp. Elle savait, grâce aux militaires, que Seikusu regorgeait de mutants. Il y en avait toujours plus, soit parce qu’ils venaient de Terra, soit parce qu’ils venaient d’autres recoins de la Terre. Sur Internet, Seikusu avait la réputation d’être une ville où des phénomènes inexplicables arrivait continuellement. Elle arriva rapidement, pour voir l’homme courir à toute allure. Mal rasé, il portait un costume débrayé, une cravate qui pendait le long de son torse, avec une chemise sortie de son pantalon. Un aspect négligé qui était impensable dans le monde des affaires. Supergirl estima qu’il allait plutôt bien, même si elle lui aurait recommandé d’aller suivre une thérapie. Pour l’heure, la superhéroïne était intéressée par autre chose, et se déplaça.

Flottant dans les airs, elle arriva au-dessus de l’homme en sweat, et vit qu’il portait des lunettes noires. Bras croisés, elle flottait dans les airs, et le vit se déshabiller. Il enleva son sweat, puis les lunettes noires, et, de haut, elle put voir une courte chevelure brune. Un homme musclé, plutôt bien bâti, avec une allure légèrement négligée qui lui donnait un air d’adolescent. Plutôt mignon, mais ce n’était évidemment pas ce qui intéressait Kara, en ce moment. Plutôt que de rejoindre la rue par laquelle l’homme d’affaires s’était mis à courir, il se retourna vers un ensemble de ruelles, permettant de s’éloigner de l’attroupement.

« Hum-hum ! »

Kara se racla la gorge. Elle était devant l’homme, à quelques mètres au-dessus de sa tête, le vent faisant flotter sa cape contre ses jambes.

« Il semblerait que vous ayez été plus rapide que moi à secourir ce pauvre hère. »

Kara s’abaissa lentement, jusqu’à se placer en face de l’homme, et décroisa les bras, les faisant pendre à gauche et à droite de son corps. Depuis sa récente mésaventure dans le bunker de recherche secret, elle était plus prudente, ce qui se remarqua par le fait qu’elle s’était placée à plusieurs mètres. L’homme était rapide, et, s’il tentait de l’attaquer, elle estimait avoir le temps de réagir. En effet, Supergirl ignorait qui était cet homme.

« Je suis Supergirl, se présenta-elle alors. Et je crois ne vous avoir jamais vu... Je m’en serais souvenue, autrement. »

Bon, j'avais visiblement réussi mon coup. Sauver ce pauvre type s'était fait en un éclair et la surprise m'avait permit de dégager le plancher sans qu'on ne pense visiblement à me suivre. Pour une fois, tout s'était donc passé comme prévu ! Débarrassé à contre-coeur de mon surplus d'attirail le plus reconnaissable (quoi qu'en y réfléchissant bien j'aurais peut-être pu tout garder pour rentrer vite fait me changer et éviter de perdre des éléments de ma pauvre garde-robe), je m'étais décidé à serpenter dans quelques ruelles de Seikusu. Si je me débrouillait bien, je rejoindrais aisément une des artères les plus populaires du centre-ville pour me fondre dans la masse et le tour serait joué ! Satisfait de ce plan qui me paraissait aussi réaliste que facile à accomplir, j'orientais donc mes pas dans la direction voulue. Mais bien sûr, j'oubliais que lorsqu'on était Kyle Macross les choses avaient toujours tendance à se compliquer un tantinet.

Le bruit guttural me fit sursauter. Il n'était pas anodin mais plutôt de ceux qui permettaient de s'annoncer poliment et je compris instinctivement qu'il m'était destiné. Écrasant un petit "merde !" entre mes dents, je cherchais à droite puis à gauche avant un léger claquement de tissu ne me fasse regarder devant moi, mais à quelques degrés au-dessus de mon champ de vision traditionnel.
Comme stalker, il y avait pire que cette jolie blonde cintrée dans un de ces improbables costumes ultra-moulant aux jambes interminables. Bien évidemment, je doutais qu'elle descende de son perchoir pour me draguer. Dommage.

- Il semblerait que vous ayez été plus rapide que moi à secourir ce pauvre hère.

Deux solutions s'offraient à moi à ce moment là : le mensonge ou la carte du franc-jeu. Le mensonge m'aurait fait gagné de précieuses secondes, mais qu'en aurai-je fais ? On prétendait Supergirl -je l'avais reconnue d'emblée- plus rapide que l'éclair et je doutais que ma propre vitesse puisse rivaliser ou seulement m'être utile. Quant à la cogner pour passer, euh... Non ? Soit, mes options se réduisaient donc drastiquement.

- C'est toute l'histoire de ma vie, ça. Ma copine se plaignait toujours que j'étais plus rapide qu'elle.

J'aurais voulu la réplique un peu sèche et hautaine, mais j'en avais finalement souris moi-même. Elle perdait donc un peu de son impact pour glisser dans l'auto-dérision gentillette, m'enfin tant pis. Me faire méchant n'était pas dans ma nature.

- Je sais qui vous êtes. Quand même, une gaijin blonde qui virevolte entre les buildings en maillot de bain blindé en plein Seikusu, on finit par au moins connaître son nom. D'ailleurs la jupette, c'est très très sexy. J'hochais la tête à mes propres mots. Ça donne envie de la relever et tout. Mais rassurez vous, le haut moule très bien vos seins et vous ne perdez rien de ce côté là. Bon, la cape, par contre...

J'haussais les épaules. Ne sachant pas trop moi-même si je voulais noyer le poisson ou essayer de voir si elle serait éventuellement partant pour un relevage de jupette coquin dans une des ruelles qui nous entouraient, je me décidais quand même à répondre à ses questions. Lui donner mon pseudonyme n'engageait à rien, normalement. Sauf à confirmer mon "ascendance héroïque", bien que c'était quelque chose que j'estimais loin derrière moi.

- Sentinel Prime. Vous pouvez m’appeler SP ou Prime comme les copains. Si vous le faîtes d'une voix sensuelle, je vous laisse me donner aussi du Chaton ou du Mon doudou. Et non, vous ne m'avez jamais vu. Sûrement parce que je n'ai pas le cul glissé dans un collant ultra moulant le plus clair de mon temps et que je ne sors pas beaucoup non plus, notez. Maintenant Girly -je peux vous appeler Girly ?- j'entends un appel de détresse, celui de mon anonymat. Je vais aller le sauver de ce pas, à moins que vous n'envisagiez de me barrer la route pour me casser la gueule. Ou de relever votre jupette.

Je la saluais d'un sourire et d'un mouvement de tête avant de la contourner. Voilà qui avait été une affaire rondement menée. Dommage qu'elle avait cette cape, je me serais bien volontiers retourner pour la mater. Ces super-héroïnes de la vraie vie, aucun sens de l'hyper-sexualisation !

Visiblement, ce type était un fieffé comique. Kara cligna des yeux, surprise devant la manière dont il lui parlait, un mélange d’humour, d’autodérision, et de remarque sexuelle. Quand il parla de « relever » sa minijupe, Kara baissa la tête, la fixant. Elle devait bien admettre que sa tenue faisait assez écolière. Elle l’avait remise par symbolisme. Après la raclée qu’elle avait reçu, elle trouvait plus logique de remettre l’ancien costume, comme pour se rappeler qu’elle n’était pas encore à la hauteur de la légende qu’elle prétendait être.

*Je devrais peut-être sortir ma tenue intégrale...*

Le truc, c’est qu’elle n’était pas vraiment convaincue que cette autre combinaison soit plus discrète que celle-ci, ou ne mette moins en valeur ses attributs. Le mieux aurait sans doute été de se battre en jean, mais Kara cherchait à incarner un symbole, une sorte d’icône, auxquels les gens pourraient s’identifier, et avoir la conviction qu’ils étaient vraiment protégés. Plus elle grandissait, et plus Supergirl réalisait que ce rôle était assez difficile à déterminer, et qu’il y avait ici des enjeux qui la dépassaient de beaucoup, et dont elle n’avait pas forcément pris conscience, quand elle avait décidé de seconder son cousin, et de casser à mains nues les armes des braqueurs de banque en recevant les ovations d’une foule en délire.

L’homme se présenta sous le sobriquet de Sentinel Prime, alias SP. Un tel nom ne lui disait absolument rien, et, dans sa tête de jeune Terrienne en apprentissage, la seule référence culturelle qui éclata dans son esprit fut ce film de Michael Bay, Transformers, avec Optimus Prime. Cependant, de ce qu’elle pouvait, ce Prime-là n’avait rien à voir avec l’autre. Il n’était pas un tas de ferraille, il ne faisait pas trente mètres de haut, il n’avait pas des pneus de voiture incrustés dans le corps... Et il était quand même plus mignon qu’un robot géant.

Cette désinvolture la surprenait, car elle n’était pas courante au Japon. Face à elle, les gens étaient, soit très heureux de la voir, multipliant les courbettes et les autographes, soit ils fuyaient à bride abattue en hurlant aux sorcières. Avec sa barbe mal rasée, cet air négligé, il avait tout de l’Américain de base... Mis à part l’absence d’un ventre proéminent. Il passa à côté d’une Kara un peu surprise, légèrement décontenancée. Cette dernière se retourna rapidement.

« Hey... Hey, mais attendez ! » s’exclama-t-elle en levant le bras et en l’agitant.

Elle s’avança un peu, avant de subitement s’arrêter, se pinça les lèvres. Elle avait l’air idiote, non ? Si ? Elle fronça les sourcils, et reprit sa position fétiche : croiser les bras.

« Est-ce que je vous fais peur ? J’ai l’impression que vous cherchez à fuir... Vous savez, ce n’est pas parce que je peux défoncer une maison avec un coup de poing que je suis dangereuse... Enfin... Si, mais... Euh... Vous comprenez, quoi... »

Kara soupira en fermant les yeux, et se massa l’arrière de la tête en baissant la tête, grommelant quelque chose d’inintelligible. Elle releva ensuite cette dernière, et fronça les sourcils.

« Bref ! Navrée de vous le dire, mais... Euh... Je n’ai jamais entendu parler de vous non plus. Vous avez sauvé le monde au moins une fois, non ? lâcha-t-elle, dans une piètre tentative de faire un peu d’humour. Ou... Je ne sais pas... Parce que, vu la manière dont vous avez sauvé ce brave type, j’en déduis que vous savez plutôt bien vous servir de vos pouvoirs, non ? »

Le social n’était pas vraiment le fort de Supergirl. Elle était plutôt habituée à ce qu’on lui saute dessus en la remerciant chaudement, et en lui proposant de lui baiser les pieds. Ça, elle savait gérer, car elle y était un peu plus habituée. Supergirl, ça impressionnait toujours, comme d’avoir le Président de la République au téléphone en revenant faire ses courses. Lui, en revanche, ne semblait pas plus surpris que ça.

C’était... Intriguant.

Si je n'avais pas crains de perdre ma couverture civile et donc ma tranquillité d'esprit en bavardant avec Supergirl,  j'aurais sûrement fait en sorte de baser des bases un peu plus agréables lors de cette impromptue première rencontrer. L'envoyer gentiment bouler ne faisait pas de moi un modèle de sympathie alors qu'elle m'avait abordé finalement assez tranquillement au vu des circonstances qui l'avaient poussée à me voler après. Seulement voilà, je m'inquiétais pour ma petite vie privée. Intervenir ainsi en pleine rue et en plein jour n'avait pas été des plus malins et le piètre déguisement improvisé n'avait eu d’intérêt que grâce à ma vitesse d'exécution de l'action. On avait tout à fait pu me voir atterrir et m'échapper, comme on pourrait tout à fait me voir à parler jupette et paire de seins avec la seule blonde volante de cette partie du Japon. Si Supergirl ne risquait peut-être pas grand'chose côté intimité, je n'étais pas dans son cas. Et puis, je n'avais pas réussi à conserver mon identité durant toutes ces années dans un petit bled comme mon île pour la mettre en péril dans une agglomération gigantesque à l'autre bout du monde !
Bref, la meilleure chose à faire avait encore été de la planter sur place. Seulement, la mignonne en bleu et rouge ne semblait pas décidée à me laisser filer.

Lorsqu'elle me héla, j'eus le choix de ne pas répondre et de continuer à filer. Pourquoi je m'arrêtais sur mes pas plutôt que de feindre l'ignorance ? Sûrement à cause de sa jupette. Ou de son joli petit minois. Ou encore, guimauve comme je l'étais, de son petit ton de voix presque implorant qui ne collait absolument pas avec celle que cette femme était sensée être. Je stoppais donc pour lever les yeux au ciel en soupirant contre ma propre décision et me retournais pour la regarder et sourire en coin. Super-puissante, mais super-à côté de la plaque aussi. Comme quoi, on ne pouvait pas tout avoir.

- Vous faites erreur, Girly : plutôt que de vous fuir, j'ai envie de vous payer un verre pour faire plus ample connaissance. Vous êtes une entreprise de démolition à vous toute seule mais également une très jolie femme et moi un homme libidineux. Je lui souriais, amusé. Il se trouve simplement que contrairement à vous, je ne suis pas en costume et que j'ai mes papiers d'identité sur moi. Et je ne veux pas qu'on associe mon nom de famille à celui d'un homme volant, tout simplement. La vie privée, tout ça.

A observer ses mimiques et son comportement, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que cette Supergirl était bien plus humaine que l'image iconique que les médias lui collaient. Je ne doutais pas qu'elle le mérite, considérant que Superman ne laisserait certainement pas une incompétente arborer ses couleurs et son symbole. En revanche, je commençais à me dire que la super-héroïne avait quelques problèmes avec la fille ordinaire sous le costume. Sa façon de me parler était un peu hésitante, comme si Girly était destabilisée face à moi. La légère gêne qu'il me semblait ressentir venant d'elle, pourtant, me la fit sembler en un instant ô combien plus sympathique que les images en papier glacé ne l'avait jamais fait.
Si je fis quelques pas, ce fut cette fois pour me rapprocher d'elle.

- L'astuce est là, je n'ai jamais voulu qu'on parle de moi. Je ne suis pas un héros, Girly, juste un type ordinaire avec des pouvoirs qui ne le sont franchement pas. Et le plus gros truc que je n'ai jamais sauvé, c'était un chalutier.

Ce qui m'intriguait, c'était cette curieuse allusion quant à ma façon d'utiliser mes pouvoirs. Elle avait peur que je ne sache pas le faire et que je finisse par déconner un jour ? C'était une inquiétude compréhensible, sûrement tout à fait le genre que les héros dits "réguliers" devaient entretenir vu le nombre de cinglés supranaturels qu'on voyait émerger depuis ces dernières années.

- Je sais me servir de mes pouvoirs, oui. Comme vous des vôtres. La différence entre nous, c'est un collant moulant. Maintenant si on se fout à poil tous les deux, on sera foutus pareils. J'veux dire, y'a rien qui nous différenciera. D'ailleurs je suis tout disposé à vous voir toute nue pour étayer ma théorie, parce que je suis un mec bien et parce qu'en plus si vous êtes une sorte de rouleau compresseur pendant la baise, je suis sûrement le seul mec à Seikusu dont vous ne briserez pas les os. Je suis en outre célibataire, nous sommes donc faits l'un pour l'autre et vous pouvez tomber amoureuse maintenant, ce qui doit être plus ou moins la meilleure nouvelle de votre journée. Sauf si vous avez un petit copain, mais quittez le, je suis mieux.

Le plus naturellement du monde, je vins lui coller une bise sonore sur la joue avant de me reculer pour lui faire un clin d'oeil. L'embrassant du regard un instant encore comme pour bien garder en mémoire son visage et l'harmonie de ses formes, je finis par me détourner pour de bon afin de retourner à ma fuite. Je regretterais sûrement plus tard de ne pas lui avoir proposé un rendez-vous... Et puis merde.

- Vous saviez qu'on a une jolie vue sur la ville et sa baie sur le temple du toit Shinto qui se trouve sur les hauteurs, au nord ? Surtout le soir, vers 21h.

Sans me retourner je lui adressais un petit signe de la main et disparaissais au premier coin de rue venu, me demandant si elle comprendrait le message.

Quand l’homme partit, Kara resta plantée au milieu de la ruelle, clignant des yeux, tout simplement abasourdie.

« Et ben ça alors... Les bras m’en tombent ! »

Qui était ce type qui sortait eu moyenne deux allusions sexuelles par phrase, de manière plus ou moins discrète ? Elle se faisait l’effet d’un type qui avait l’air de plutôt bien s’aimer. Son argument sur le respect de la vie privée... Kara ne savait pas comment l’interpréter. Pensait-il qu’il était une star ? D’un autre côté, c’était peut-être vraiment une star. Kara ne connaissait encore pas grand-chose de ce monde, et elle était originaire d’une autre dimension. Si ça se trouve, c’était une star de cinéma... Ou un auteur de série télévisée...

*Non, c’est idiot...*

Kara secoua lentement la tête, et s’envola lentement, comme pour éviter que des gens ne le surprennent. Ce Sentinel Prime avait disparu, et elle ne chercha pas à le retrouver. Il avait été jusqu’à l’embrasser, et elle était troublée. Peut-être devrait-elle aller demander au SHIELD s’ils avaient entendu parler d’un certain Sentinel Prime ? Kara rejeta assez rapidement cette idée. Elle passait trop de temps à la base américaine en ce moment. Elle resta dans les airs, croisant les bras, réfléchissant silencieusement, une main sur les lèvres. Ce type lui avait donné rendez-vous au temple Shinto, une belle pagode dans les hauteurs de la ville de plusieurs étages, qui permettait effectivement de voir le centre-ville, mais aussi la mer au loin. Kara regarda le ciel, et se dit que le soir allait bientôt tomber. Allait-elle y aller, ou pas ? Sa première intention fut de laisser là ce type. Qui qu’il soit, elle avait d’autres soucis en tête, d’autres problèmes, comme continuer à s’entraîner, à s’améliorer, afin de savoir mieux se battre. Cependant, d’un autre côté... Et bien, il fallait bien admettre que ce type l’intriguait.

Pendant les heures qui défilèrent, Kara pesait encore le pour et le contre. Elle rejoignit son appartement, se débarrassa de son costume, et alluma la télé. Elle s’assit sur un fauteuil, et bâilla aux corneilles, écoutant la télé, sans vraiment chercher à comprendre ce qu’elle réfléchissait. Son esprit continuait à tourbillonner, oscillant entre ses entraînements au SHIELD, sa raclée dans l’Armurerie, et ce mystérieux type qui avait sauvé le Japonais. Elle aurait normalement du sortir, mais elle préféra rester chez elle, continuant à réfléchir, à se poser des questions.

Observant à nouveau son punching ball, en culotte et en débardeur, elle alla donner quelques coups sur ce dernier, l’envoyant à nouveau heurter le plafond, faisant remuer des volutes de poussière.

*Calme-toi, Kara, calme-toi, je ne vais pas encore défoncer un punching ball !*

Supergirl continua à tourner en rond jusqu’à ce que l’heure approche. Bien malgré elle, elle regardait souvent son réveil, l’heure tournant. Le soleil décrut, et elle commença à faire des pompes, et des abdominaux. Elle n’avait jamais vu l’utilité de cet exercice, auparavant, mais, dans le cadre de son programme d’entraînement, il était précisé qu’elle devait s’entraîner à muscler son corps. Elle s’entraîna donc en écoutant la radio, laissant Daft Punk défiler entre quelques airs de J-Pop, de rock, et des publicités mielleuses pour des produits de beauté à destination des gyaru, des conventions de cosplays, et des informations sur les mangas et les jeux vidéos.

Quand vingt-et-une heures sonna, Supergirl avait remis son costume, et se tenait en hauteur. Il faisait nuit, et la ville brillait de mille feux, les hautes tours du quartier des affaires flamboyant joliment. Le temple Shinto était un bel ensemble comprenant plusieurs bâtiments religieux, à l’orée de la forêt entourant la ville. Kara y avait déjà été en simple touriste. Elle avait vu des pandas, des onsen, des armures, des types en robes avec de grands sourires, et des glaces à l’italienne fournies à l’entrée du temple... Ainsi qu’une touriste américaine avec un gros cul, et qui enfournait un Big Mac en avançant.

Elle se rapprocha du plus grand bâtiment, et se posa sur le toit de la pagode. Le temple était naturellement fermé aux visites, mais les moines qui s’y trouvaient se promenaient le long des cours internes et des bassins, allant dans les parties communes du temple.

Kara avait naturellement remis sa minijupe, et s’avança un peu, avant de profiter de la vue. Elle devait être un peu en avance... Ou alors, il l’avait tout simplement oublié.

« De toute façon, soupira-t-elle à haute voix, je ne sais même pas pourquoi je suis là... »

- Pour vous assurer que je suis bien l'homme de votre vie, non ?

La voix -ma voix- venait d'au-dessus de l'éclair en bleu et rouge. Je flottais à à peu près deux mètres au-dessus de cette Supergirl mais la tête à l'envers, mes pieds battants donc vers le ciel tandis que je devais tendre le cou pour regarder la blondinette en contre-bas. Tranquillement, je descendis à son niveau sans changer mon inclinaison et nous nous retrouvâmes pour un face-à-face assez curieux, comme dans un miroir déformant. Le haut était le bas et l'homme était femme, le tout sur le toit d'un temple qui révérait une religion à laquelle aucun de nous deux n'adhérait. Enfin, pas moi, déjà. Allez savoir ce qui pouvait se passer dans la tête d'une nana gaulée comme Doutzen Kroes et qui trimbalait le tout dans un ensemble flashy plus moulant que le boxer qui m'enserrait les burnes.
Je décidais de couper court à la double contemplation en tendant les bras, qui tenaient un petit sac en plastique où étaient enfermées quelques boîtes de sushis et de nouilles, ainsi que deux jus de litchi en canette. Et, une fois que Girly s'en fut saisie, je redressais l'assiette pour revenir à l'endroit du monde. Finalement, je vins me poser à côté d'elle sur le toit et lui adressais un sourire amusé.

- Pour m'excuser d'être en retard, j'ai apporté la bouffe. Bon, c'est aussi parce que j'attendais la bouffe que je suis en retard. Mais vous êtes une fille gentille et bien élevée, alors vous allez juste me dire que c'est sympa de ma part et que je suis un type adorable. J'espère que vous aimez la bouffe locale, quand même.

J'avais occupé le reste de la journée, après avoir abandonné lâchement Girly, à ne rien foutre. Rentré fissa à mon appart', j'avais planché sur les aventures de ma petite Arcana avant de me dire que je devrais peut-être entièrement revoir la formule. Au final, mon après-midi avait défilé sous mon crayon au fil de mes croquis de brouillon, qui devaient porter une nouvelle mouture d'héroïne. Mais, incapable de mettre au point un bon personnage, j'avais lâché l'affaire pour m'enfiler quelques épisodes de Game of Thrones avant d'aller prendre une douche et de me décider à ramener quelques sushis à la place des fleurs, pour mon rendez-vous du soir. Tous les mecs n'offraient pas du saumon à la place des roses, hm ? Et puis, je ne m'étais pas foutu de sa gueule ! J'avais été chercher tout ça au meilleur boui-boui de mon quartier et ça m'avait entâché le budget mensuel. Bah.
A vrai dire, j'avais une petite idée derrière la tête et mon intérêt pour Supergirl n'était pas tout à fait innocent. Comme elle tardait à déballer le repas, j'entrepris de l'aider et nous nous retrouvâmes bien vite prêts à bouffer, assis sur le toit du temple, face à Seikusu dont les lumières s'étalaient à nos pieds.
Y'avait un côté romantique, qui me rappelait qu'en plus de ne pas avoir de copine ma vie sexuelle était un désert du moyen-orient. Chose cruelle quand on dessinait des super bombasses comme d'autres vont pisser aux chiottes.

- Bon app' ! Alors, Girly, qu'est-ce que vous foutez à Seikusu ? Je veux dire, si on en croit les rumeurs, cette ville est en passe de devenir un nouveau NYC, avec tous les supers qui y virevoltent. Y'a une menace qui risque de tous nous engloutir, ou c'est juste que vous êtes organisés comme des pieds et que tout le monde débarque ici sans savoir que les copains y bossent déjà ? Hm ?

Alors qu’elle observait la forêt et les quelques touristes se promenant dans la cour du temple, peu avant sa fermeture, elle se demandait où était ce type... Jusqu’à ce qu’il manifeste, la surprenant. Distraite, la Kryptonienne leva la tête, et le vit descendre, la tête en bas, en amenant avec lui, outre ses vannes puériles, à manger. Plus elle le voyait, plus elle était troublée... Elle sut alors pourquoi elle l’avait suivi.

*Son visage... Il me rappelle Clark.*

Il n’avait pas l’infernale mèche de cheveux de son cousin, mais, mis à part ça, sa carrure et son physique lui ressemblaient. Supergirl savait qu’il était possible de rencontrer ses alter ego dans les autres dimensions parallèles, et elle se demandait si ce type ne venait pas de la planète Krypton, lui aussi... Malheureusement, mis à part la kryptonite, Kara n’avait aucun moyen de s’assurer de tomber sur un de ses congénères. Et, pour d’évidentes raisons, la jeune femme ne se promenait pas avec de la kryptonite sur elle.

L’homme lui expliqua qu’il était en retard parce qu’il attendait la « bouffe », amenant Kara à froncer les sourcils tandis qu’elle croisait les bras.

« Hum... C’est sympa, oui. Merci. »

C’est ainsi que les deux se mirent à manger des sushis sur le toit d’un temple, Kara avec son costume bleu et rouge moulant. Dans sa tête, elle se disait qu’il aurait été plus simple de l’inviter au restaurant, plutôt que de lui donner rendez-vous ici, mais elle conservait ses réflexions pour elle-même. Les humains étaient des individus bien curieux... Du moins, si on supposait que cet homme était un humain. Cependant, s’il était un Kryptonien, il aurait peut-être déjà identifié le symbole sur la poitrine de Supergirl... Ou alors, il ne le disait pas, afin de la mettre à l’épreuve... Peut-être que c’était pour ça qu’il avait choisi un temple shintoïste, afin d’inciter Supergirl à la réflexion, peut-être même que tout ce comportement insolent et insouciant cachait une sorte de tempérament mûr et réfléchi... Un peu comme son Flash à elle, qui passait son temps à mater les culs de ses collègues, mais qui... Non, c’était un mauvais exemple !

*Je m’embrouille ! Quelle merde !!*

Cogner Darkseid, c’était plus simple ! Pas de chance, il n’y avait jamais un seul super-vilain quand on avait besoin d’eux. Kara manipulait lentement les baguettes. Elle avait appris, après en avoir cassé une petite centaine, à les utiliser, dans un effort de sociabilisation avec la culture orientale. Maintenant, elle s’en sortait plutôt mal, et elle aimait bien la gastronomie japonaise. Son cerveau continuait à s’emballer, imaginant cinquante mille théories, toutes différentes les unes des autres, mais qui, globalement, tournaient autour de la même question : qu’est-ce qu’ils pouvaient bien faire sur le toit d’un foutu temple shintoïste à manger des sushis ?

L’homme finit par lui demander ce qu’elle fabriquait ici. Kara hésita un peu. Une menace qui risquait de les engloutir... Est-ce qu’il faisait référence à son cousin ? Il lui avait dit qu’il comptait venir ici, afin de protéger les autres dimensions, et qu’il voulait que Supergirl voit pourquoi il avait du prendre les choses en main sur son monde.

« Euh... » commença-t-elle par répondre.

Elle s’humecta les lèvres, et donna ensuite quelques éléments de réponse :

« C’est... Compliqué à expliquer. Vous allez me prendre pour une folle, mais... Disons que je viens... De très loin. Pour simplifier, il n’y a pas qu’un seul univers, il en existe... Une multitude. L’un de vos auteurs appelle ça le Multivers, et il a dit... Euh... Attendez que je retrouve la citation exacte en tête... ‘‘Certains univers ressemblent au nôtre, la plupart sont très différents’’. Ou un truc comme ça. »

Elle avait lu ce livre à la bibliothèque municipale de Seikusu. « Le Grand Dessein », de Stephen Hawking. Un livre écrit par un physicien britannique il y a quelques années, et qui avait fait grand bruit. Il y soutenait l’inutilité du concept de Dieu, ce qui avait rappelé à Kara que, dans le monde d’où elle venait, la plupart des religions avaient fini par être supprimées.

« Bref, j’ai été envoyée d’un autre univers ici, pour voir comment les choses se passaient... Mais, dans tous les cas, ça ne change rien au fait que je ne sois pas née sur Terre. Je suis née sur Krypton, une planète... Très éloignée... Et qui n’existe plus. »

Il n’y avait aucun mal à le dire, surtout si ça lui permettait de savoir si cet individu ne venait pas de leur propre Krypton. Kara avait pour l’heure été incapable de localiser Krypton. La Terre n’était pas assez avancée dans la conquête spatiale pour lui fournir des éléments de réponse, même si elle pensait que le SHIELD devait en savoir plus qu’il ne lui disait.

« Elle a été détruite quand j’étais jeune, et rares sont les Kryptoniens qui y ont survécu. En fait... Je vais vous paraître impolie, mais... »

Nouvelle hésitation. Nouveau mordillement de ses lèvres, alors qu’elle fixait l’homme.

« Vous me rappelez un peu mon cousin... Physiquement, je veux dire ! Alors, je me demandais... Il existe des différences entre les univers parallèles, mais aussi des ressemblances... »

Laissant planer quelques secondes supplémentaires, en sentant son cœur bondir dans sa poitrine.

« Est-ce que vous venez... D’une autre planète, vous aussi ? »

Pour tout dire, je n'aurai pas sû dire pourquoi je lui avais proposé ce rendez-vous. Supergirl n'était pas très communicative et me semblait bien trop coincée pour être une fille apte à rentrer dans mes délires et passer du temps avec elle me pousserait possiblement à faire une erreur qui dévoilerait mon identité. Bon, d'accord, je n'avais pas tant que ça à cacher non plus et qu'elle entre en possession de mon nom ne changerait pas vraiment la face du monde ni même celle de mes samedis soirs (désespérément mornes en tant que célibataire). Maintenant, restait le fait que mes parents pourraient être emmerdés et que cette perspective ne m'enchantait pas du tout. Notre rencontre impromptue aurait dut s'arrêter à notre séparation dans la ruelle après la tentative de suicide. Seulement voilà, elle était super-bonne, la Supergirl. Je l'avais sûrement invitée pour tenter ma chance -entre super gens qui volent et tout, genre nos pouvoirs nous rapprochent alors maintenant forniquons et sauvez moi de ma sempiternelle branlette- mais je me rendais doucement compte que si j'avais une ouverture, elle était probablement microscopique.
Mais bon au moins, les sushis étaient franchement délicieux.

Pendant que j'engloutissais un sushi généreusement imbibé de sauce sucrée, je regardais Girly se débattre avec ses propres explications. Le Multivers, sérieusement ? J'avalais et chassais un grain de riz de la jupette de Supergirl, malencontreusement tombé de ses lèvres, et lui répondis.

- Je suis un adepte de la thèse du Multivers, vous n'avez besoin ni de me convaincre ni de l'expliquer. C'est une vision de l'existence que j'ai toujours appréciée ! Je dois dire que je suis content de la voir étayée par... ben, par vous. Même si je serai bien curieux de savoir comment vous avez fait le voyage !

J'ignorais si la suite devait me mettre le doute où me paumer dans des théories fumeuses. Me parler de Krypton et du fait que la planète n'existait plus, tout ça... Si elle était issue d'un autre univers, elle devait bien se douter que c'était le genre de chose qu'on ignorait pas, même au sein de cet univers qui lui était étranger. Ou alors, Girly n'avait fait aucun recherche en débarquant parmi nous. Pour savoir un peu mieux dans quelles eaux nous nagions, je la laissais continuer à parler le temps que les choses soient un peu plus claires pour moi.

- Rassurez moi, Girly, vous savez que nous avons un Superman chez nous ? Son histoire est relativement connue. La destruction de Krypton, la fuite de Sup' bébé en navette... Il l'a racontée dans un interview donné au Daily Planet. J'veux dire, vous ne surprendrez personne en racontant tout ça.

Comme Girly ne l'ignorait sûrement pas, notre univers et particulièrement notre Terre étaient de fertiles viviers pour les "gens spéciaux". Superman avait une vie ici aussi, bien qu'il était resté à Metropolis, à la différence de beaucoup de super qui s'étaient installés au Japon. Sur le dark web, on racontait même que le SHIELD avait une base à Seikusu. A mon avis, cette partie là était complètement fumeuse. Néanmoins, les spéculations allaient bon train, comme pour la destruction de la villa Noventa par ce que des riverains avaient identifié comme des missiles. Des histoires de tarés, il y en avait tous les jours, à Seikusu.
J'avais entretemps sorti mon portable pour pianoter sur le Web, trouvant l'article du Planet. Je donnais l'appareil à Girly pour qu'elle se fasse son idée, pendant que je terminais mes sushis en réfléchissant à sa dernière question.

- J'n'en sais rien. Mes parents sont des gens tout à fait communs et n'ont aucun pouvoir. Ils ne m'ont jamais parlé d'adoption et tout non plus... Alors, qui sait ? Je me suis souvent demandé d'où mes pouvoirs venaient. Je marquais une pause, regardant au loin tout en faisant une petite moue. D'ailleurs, je me suis souvent demandé à quoi ils devaient me servir. Mes "exploits" sont loin d'être à la hauteur de ce qu'on peut lire dans les journaux. Et puis, c'est pas ça qui m'aide à payer mon loyer.

Je tournais la tête vers Girly en souriant, secouant légèrement la tête.

- Je ne crois pas que nous soyons de la même planète, même si je dois dire que ça m'aurait bien plu. Ca doit être génial de venir d'ailleurs qu'ici. Ceci dit, je ne pige pas trop pourquoi on vous a envoyée ici. "Voir comment les choses se passent", c'est quand même une raison à la con. Et, pardon, mais vous n'êtes peut-être pas très utile. Est-ce qu'on a besoin de vous avec tous les héros qu'on peut trouver chez nous à l'origine ?

Un Superman ici ?! Kara médita l’information. En fait...Elle ne s’était jamais posée la question ! Ou, plutôt, elle avait évité de se la poser. Sur une carte, elle avait vu que Metropolis existait, tout comme le Daily Bugle, Loïs Lane... Mais elle n’avait pas cherché à en savoir plus. Superman l’effrayait, par l’image qu’elle en avait de là où elle venait. Alors, inconsciemment, peut-être avait-elle espéré que cet homme puisse être l’alternative de Superman de cette dimension... Ce qui n’était visiblement pas le cas. Il y avait une étonnante ressemblance physique, mais il semblait n’être rien de plus qu’un Terrien. Au moins, il ne la trouvait pas folle quand elle disait venir d’une autre dimension. C’était toujours ça de pris ! Mais il ne venait pas de Krypton...

*Et il y a un autre Superman ici...*

Devait-elle aller le voir ? Avant que Lex Luthor ne devienne Président, et ne fasse sauter leur base, Clark avait toujours été quelqu’un d’adorable, de charitable, de généreux... L’homme parfait, le fantasme numéro 1 sur tous les magazines féminins. Un parangon de vertu et de blancheur, tellement proche du soleil moral qu’il s’en était brûlé les ailes. Peut-être pourrait-il l’aider... Kara était à nouveau plongée dans ses pensées, clairement plus ailleurs qu’ici, et à mille lieues de se douter que son mystérieux super-ami souhaitait juste se faire un plan cul. Elle s’était imaginée... Ah, de fait, maintenant qu’elle était face au fait accompli, elle ne savait plus trop ce qu’elle avait espéré.

Il lui balança alors qu’elle n’était « pas très utile », ce qui eut au moins le mérite de la ramener à ses pensées.

« Pardon ?! »

Sur le coup, elle crut que c’était parce qu’elle n’avait pas trop l’air dans la conversation, mais il précisa le fond de sa pensée, en disant que la ville abritait déjà un certain nombre de super-héros, et qu’elle faisait peut-être double emploi. Ceci amena Supergirl à soupirer, et à lever la tête, en observant les étoiles, d’un air évasif.

« Nous étions des centaines, là d’où je viens... Je les connaissais presque tous, et je ne compte plus le nombre de fois où nous avions sauvé le monde contre tout un tas de détraqués et d’envahisseurs extraterrestres. Darkseid, les Tanagariens, des espèces de saloperies avec des Tripodes qui avaient envahi Mars... Superman était notre mentor, notre exemple. Les gens nous aimaient tellement que nous avions notre propre station spatiale, la Watchtower, depuis laquelle nous protégions le monde, avec des relais secondaires sur le monde. Mais les choses... Les choses ont dégénéré. »

Elle repensa à ce que l’homme avait dit, sur la raison d’être de ces pouvoirs. C’était une question que Kara s’était toujours aussi posée, et à laquelle une réponse avait été donnée dans son monde d’origine. Elle sentait bien qu’elle en avait trop dit, qu’elle ne pouvait plus faire marche arrière, et, en un sens, le fait de ne pas connaître du tout cet homme, de savoir qu’il n’était pas lié au SHIELD, organisation dont elle continuait à se méfier, et qu’il ressemble à Clark, l’incitait à parler.

« Les choses ont dégénéré... L’un de nos pires ennemis est devenu le Président des Etats-Unis, en s’appuyant sur une campagne consistant à nous diaboliser. Nous avions sauvé le monde tellement de fois et nous étions totalement omniprésents que, pour les gens, il était presque normal de nous voir en permanence les secourir. Nous étions aveuglés depuis notre tour, incapables de voir que les gens nous jalousaient, et qu’ils s’étaient faits à nous, qu’ils ne voyaient plus en nous des héros exceptionnels venant les secourir parce que c’était notre devoir, mais parce que c’était notre responsabilité.Et, quand on commence à se dire qu’on est responsables envers quelqu’un, on se doit de rendre des comptes. Les gens pouvaient accepter que nous ravagions toute une ville si ça permettait de les sauver, mais, quand la même ville est rasée plus de quinze fois, et quand certains des nôtres commençaient à utiliser leur popularité pour faire des films, le ressentiment montait... Lex Luthor s’en est servi pour réussir sa campagne présidentielle, et il a commencé à envahir le monde. »

Elle soupira encore, et secoua la tête. Les souvenirs revenaient encore... Les interminables réunions, els discussions interminables sur ce qu’il fallait faire.

« Le gouvernement s’était doté de technologies capables de nous épauler contre des extraterrestres. Ils ont commencé à envahir le monde, à le ravager... Le monde s’est retrouvé au bord d’une guerre nucléaire entre ceux contestant le leadership agressif de Luthor, et les autres États. L’OTAN contre les autres puissances émergentes. Nous avons du intervenir pour empêcher l’irrémédiable, et nous sommes entrés en guerre contre Luthor... Et c’était exactement ce qu’il voulait. Dès la guerre lancée, une tête nucléaire a détruit notre base, tuant la plupart de mes amis. C’est là que Superman... Mon Superman... A changé. On le croyait mort, mais, quand il est revenu, il a décidé d’agir, et de neutraliser Luthor... Définitivement. »

Supergirl ignorait toujours ce qui avait bien pu lui arriver entre l’explosion et celui où il était revenu pour mener un assaut avec les ultimes super-héros restants contre la Maison Blanche. Il avait tué Lex Luthor, puis avait ensuite décrété la fin de toute forme de guerre, estimant que le sang versé avait été trop fort.

« Toutes les armées du monde ont été démantelées, et tous les stocks d’armes ont été mis entre les mains de mon cousin. Il... Je n’ai jamais partagé son idéologie. Il pensait... Avant, je veux dire... Il pensait qu’il avait des pouvoirs aussi forts pour protéger l’humanité, mais, quand ceux qu’il avait juré de protéger se sont retournés contre lui, et ont tué ses amis, il a compris qu’il était là pour protéger l’humanité contre ses ennemis, mais aussi contre elle-même. Il voulait mettre fin aux guerres, et, pour ça, il a mis fin aux États. Il a mis fin à toute grande division culturelle et idéologique. Les religions ont toutes été abolies. Oh, il y avait bien des révoltes, mais que faire contre un tel être ? Et puis... Dans un premier temps, la majorité des gens l’ont applaudi. Il a mis fin aux grandes injustices de mon monde. Il a brisé les multinationales, réparti l’argent, supprimé les bidonvilles... Pendant un temps, j’y a i cru, moi aussi... Mais... Ce monde est horrible. Toute association est interdite, tout regroupement de personne est interdit. Nos pensées sont contrôlées en permanence, tout est surveillé, et n’importe quelle incivilité vaut d’être enfermée. J’ai essayé de lui dire que ce n’était pas ça, être un héros... Et il m’a dit qu’il me montrerait à quoi ressemble un monde où les héros se content juste d’être des symboles pour se glorifier, et où ils ne font pas ce qu’ils sont censés réellement faire. Il m’a dit qu’il avait les pouvoirs d’un Dieu, parce qu’il devait être un Dieu. Il m’a envoyé ici en pensant que je me rallierai à sa cause... Et probablement aussi parce qu’il savait que, si je continuais à rester là-bas, à tenter de m’opposer à son régime, il aurait aussi du se débarrasser de moi. »

Pour le coup, elle avait longuement parlé. Kara se massa l’arrière de la tête.

« Enfin... Plus je reste ici, et moins j’ai envie de partir. Alors, je ne sais pas si je sers à quelque chose d’utile ici... Mais je m’y plais bien, en tout cas. Pas vous ? »