Sillus, grand homme avançait doucement, son vol était lent et mesuré. Il se contentait de planer dans les airs, essayant de ne pas devancer l'armée, qui progressait en dessous de lui comme un long ruban où brillaient les éclats des armes et des armures. Il observait la progression des étendards colorées qui précédaient la troupe, langues multicolores qui flottaient au vent. La longue procession des archers, leurs grands arcs posés sur l'épaule et leurs carquois remplis de flèches, derrière eux les soldats de l'infanterie recouverts de cuirasses brillantes, leurs longues épées passées dans leurs ceinturons. Les soldats à pied finissaient l’impressionnant cortège militaire. Un incroyable amas disparate de tout ce qui pouvait porter une arme à Fanellons ! Sillus scruta le ciel. À ses côtés, volaient les dragons guerriers, fine fleur de l'armée de Fanellons, juchés sur leurs dos, revêtus d'armures finement ouvragées, se trouvaient des chevaliers choisis parmi les meilleurs, les plus braves et les plus justes des guerriers de la ville. Un peu au-dessus d'eux, se trouvaient les archers volants, montés sur leurs petits dragons, avançant en formation serrée ; c'est leur œil aiguisé qui scrutait le lointain pour prévenir le danger. Pourtant Sillus savait qu'ils ne risquaient rien. Ils avançaient sur les Terres sombres, l'armée silencieuse et résolue foulait la terre de leur ennemi, peut être un millier de combattants quand tous les rapports estimaient l'armée d’Iseldra à plus de trois milles guerriers, assoiffés de sang et de mort.
Les hautes murailles de la
forteresse se dressaient devant eux. Ils venaient de déboucher à la lisière des bois et un spectacle de désolation absolue s'offrait à leurs yeux. Sur plusieurs lieues, nul arbre, pas la moindre végétation, une plaine de roches arides et brûlées s'étendait devant eux. Au bout de ces terres mortes, le tumulte d'un torrent, aussi large qu’infranchissable mais qu'enjambait un impressionnant pont. Plus loin encore, les murailles de la forteresse et les lourdes portes d'acier qui en interdisaient l'accès. La forteresse s'élevait, taillée dans la montagne, sertie de tours, de remparts, de chausses trappes. Derrière on pouvait apercevoir le château de la souveraine de la cité, autant majestueux qu’effrayant. Une brume sombre enveloppait la ville, comme si elle allait être avalée par celle-ci.
Ils fixaient cette masse sombre avec appréhension, tandis qu'ils s'alignaient en formation d'attaque dans la plaine. Les plus aguerris quêtaient sur le visage du seigneur Sillus un signe qui leur eut permis de comprendre ce qu'il attendait d'eux. Mais rien ne transparaissait. Posté au milieu des portes étendards, entouré par les soieries flamboyantes qui flottaient au vent, il se tenait, silencieux, les yeux rivés à la forteresse. C'était folie de s'avancer ainsi sur la plaine, tous étaient unanimes sur ce point au moins. Ils étaient à découverts, sans machine de guerre, pas la moindre tour d'assaut, pas de baliste, pas même un bélier pour attaquer la porte. Ils s'étaient mis en formation, rangés en bataillon, armes au poing et avançaient sur le sol calciné, le couvert des arbres s'éloignant de plus en plus : ils seraient bientôt à la merci des assauts des Morts-Vivants. L'évocation de ces monstres faisait passer des frissons dans le dos des soldats. Les guerriers de Fanellons avançaient néanmoins vers la forteresse, suivant Sillus, le guide et le plus sage des guerriers que la Cité Blanche n'eut jamais connu. Ils le suivraient, même s'il devait les emmener à la mort. À ses côtés, ce serait une mort honorable. Nul ne connaissait son plan. Au dernier moment, il envoyait des messages auprès des chefs de troupes, pour donner ses ordres.
Iseldra se tenait sur le premier rempart et observait la ligne que formait l'armée dans la plaine. Qu'espérait donc cet imbécile ? L'impressionner avec l'étalage de son armée ? Lui faire peur ? La pousser à se rendre pour éviter la confrontation ? Ses yeux se portèrent sur la grande cour intérieure du château où ses nécromanciens trépignaient d'impatience. Plusieurs milliers de fanatiques assoiffés de sang se préparaient à jaillir des sous-sols pour se lancer sur les pathétiques guerriers de la terre des Fanellons. Elle sourit doucement. Peut-être n'auraient-ils pas même besoin de se battre. Elle fit un signe de la tête à son bras droit, Cydalyse, qui agita un étendard noir. Un grondement sourd se fit entendre alors que les premiers guerriers s’élançaient. Ils étaient impressionnants, noirs comme l'enfer, cuirassés et grondants. Leurs pas étaient rapides et majestueux tandis qu'ils avançaient vers l'armée ennemie. Ces derniers n'auraient pas le temps de rejoindre le couvert des arbres avant que les nécromanciens ne soient sur eux. Ce soir, la plaine sentirait la chair rôtie.
Iseldra déchanta rapidement. Une seconde bande de guerriers vint rejoindre celle qui se positionnait déjà devant son territoire. A vue de nez, elle devait compter près de quatre milles combattants. Parmi eux, de nombreux paladins de l’Ordre Immaculé, des prêtres sachant manier la magie blanche et des anges. Ce qui perturba les sens de la Déesse fut de sentir l’aura d’un autre Dieu. Elle ne le voyait pas, elle ne connaissait même pas son emprunte, pourtant, il était là, cherchant à détruire sa ville, détruire ses fidèles. Elle ne pouvait permettre ça.
Dehors la mêlée était à son comble. Les troupes semblaient danser une danse de mort. Une foule de corps enchevêtrés qui s'embrassaient dans un dernier baiser glacé. Les lames continuaient à s'abattre, les piques à s'enfoncer. Les flèches tombaient du ciel, pénétrant les gorges. Ils tombaient, sacrifiant leurs derniers cris à l'horreur de la guerre. Les armées de la Déesse reculaient, cédaient, pliaient sous l'assaut. Les hommes avaient atteint la grande porte et actionnaient le mécanisme d'ouverture. L'armée de Fanellons pénétrait la forteresse. La bataille s’achevait. Dans un sursaut de clairvoyance, Iseldra utilisa sa puissance divine et fit reculer l’opposant en lui assenant ondes sur ondes avant de créer un bouclier infranchissable.
Cydalyse comprit elle aussi que la cité allait être perdue. Bien que la Déesse puisse contrecarrer un moment, elle ne tiendrait pas indéfiniment.
- Maîtresse…il nous faut de l’aide…vous n’êtes pas encore en mesure de résister. Pas seule.
- Je sais, c’est pourquoi je veux que tu ailles voir Sha. C’est la seule qui puisse mettre fin à ce chaos.
- Et si elle ne veut pas ?Iseldra ne répondit pas, si l’inverse s’était présenté, elle n’aurait pas hésité un seul instant. N’avaient-elles pas été liées ? Etaient-elles toujours amies ? L’émergence des Dieux de l’Olympe les avait séparées et chacune avait dû faire pour le mieux pour protéger leur vie et leurs fidèles.
Cydalyse salua le Déesse, la laissant à regret. Il ne fut pas difficile pour elle de partir, après Iseldra, c’était la plus puissante et la plus rusée. Elle se rendit donc là où Iseldra avait perçu la présence de Sha. C’était d’ailleurs la seule présence que la divinité ressentait d’aussi loin. Cydalyse se retrouva donc devant ce qui semblait être l’entrée du royaume de Sha. Elle avait deux solutions : entrer en force afin de réduire le temps au risque de perdre sa crédibilité ou faire amende honorable devant les gardes. Sachant pertinemment que sa Déesse n’aimerait pas que son bras droit cause du grabuge, elle s’inclina devant les gardiennes.
- Je me nomme Cydalyse et je suis au service de la Déesse Iseldra. J’ai besoin de voir Sha de toute urgence !
Cydalyse, belle vampire de son état, était aussi une ancienne fidèle de Sha qui se partageait entre Sorcellerie et Nécromancie avant de choisir de servir Iseldra pour qui le cœur n’avait cessé de battre. Cydalyse espérait ne pas avoir à forcer le passage, ce qu’elle ferait sans hésiter.