Bien au-dessus de l’arène, au-dessus des cimes et des montagnes, flottant parmi les nuages, le puissant Léviathan veillait. Ailes tendues, le redoutable dragon doré surveillait son territoire. Il était depuis des siècles le dragon attitré des Rois et des Reines de Sylvandell. Tywill le chevauchait, et, un jour, ce serait au tour d’Alice (ce qui n’était pas sans terroriser cette dernière). Léviathan était investie d’une mission divine, voulue par le Dragon Primordial de Sylvandell : guider ces « Deux-Pattes » dont les dragons avaient besoin contre leurs ennemis. Léviathan était un dragon d’une puissance terrifiante. Il était rapide, vif, résistant, et disposait surtout, comme quelques rares dragons, de la maîtrise du Thu’um. Il disposait de nombreux Cris, et ses Cris étaient particulièrement puissants. Léviathan était un dragon très sensible à la magie, et particulièrement vigilant.
Si les Deux-Pattes ne sentirent pas l’aura malfaisante que Chipp dégagea en se soignant, Léviathan, lui, la perçut. Son vol, très légèrement, s’infléchit, le dragon étant surpris, et il se laissa descendre, fendant les nuages en filant droit vers Sylvandell. Une menace, un danger rôdait près du Territoire, et il comptait régler le problème au plus vite.
Dans l’arène, Alice était folle de joie (et de nervosité) de retrouver Ciri’. Sa brave Ciri’, sa tête brûlée, cette petite sauvage qui avait failli se faire décapiter à Sylvandell au moins quinze fois. Elle avait tué des Sylvandins, et, même si c’était plus ou moins une situation de légitime défense, vu que les gardes avaient voulu la violer, il n’empêche que, pour sa réputation, ça passait assez mal. Ciri’ avait eu bien de mal à échapper à la potence, et, même si elle ne le disait pas, Alice savait que, au fond de son cœur, la redoutable rouquine lui en était reconnaissante. Alice avait contribué à lui sauver la vie, et Ciri’ l’avait aidé à grandir, à lui montrer des plaisirs dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence, et même à se battre. Alice n’avait pas été très performante dans ce domaine, et elle espérait que la guerrière ne lui en voudrait pas.
Elles n’eurent pas le temps d’approfondir la question que Chipp se rapprocha d’elles. Le jeune homme était perturbé, hagard, et une profonde détresse se lisait dans ses yeux... Si bien que, pendant un bref moment, Alice en oublia ses retrouvailles avec Cirillia. Il se présenta comme un « voyageur égaré », et Ciri’ fronça les sourcils. Il y avait quelque chose d’anormal chez ce type, qui n’en faisait pas un simple « voyageur ». Il avait réussi à lui tenir tête, et même à la blesser. Or, Ciri’ était améliorée. Le sang de dragon qu’elle avait bu lui conférait des réflexes hors-du-commun. La blesser nécessitait donc d’avoir des capacités paranormales, ce qui était le cas des Commandeurs, dont les herbes mutagènes rendaient bien plus forts. En définitive, ce type n’était pas un simple humain, et cette lueur d’ombres qu’elle avait perçue autour de lui... Le brave Chipp était complètement désemparé, et, en bafouillant lentement, commença à se retirer. Alice aurait bien été tentée de el retenir, mais Ciri’, alors que l’homme commençait à descendre, lâcha :
« Ce gars est tordu... Tu t’attires vraiment de drôles d’amis, petite Princesse... »
Alice rougit légèrement, et secoua la tête :
« Et c’est toi qui dis ça... »
Ciri’ tourna la tête.
« Qu’est-ce que c’est censée vouloir dire ? fit-elle, un brin soupçonneuse.
- Rien, laisse tomber... fit Alice, évasive. Et Chipp n’est pas vraiment un ami, c’est... C’est un individu que des patrouilles ont trouvé errant dans le Territoire des Dragons.
- Et je suis sûre qu’eux n’ont pas tenté de le violer... ironisa Ciri’.
- Lui n’a pas tenté de tuer un dragon ! protesta Alice, sentant le rouge lui monter au nez.
- Je ne lui avais fait qu’une légère égratignure... »
La « légère égratignure » avait nécessité des soins de magie blanche urgents, mais, aujourd’hui, le dragon était pleinement remis. Tant mieux ; si Cirillia avait réellement été jusqu’à tuer la bête, rien n’aurait pu la sauver. Ses prouesses guerrières avaient joué en sa faveur, car, à Sylvandell, on appréciait les guerriers. Ceci avait ainsi permis à la jeune femme de survivre. Chipp se mélangeait dans la foule, et sortit.
« Je suis heureuse de te revoir, Ciri’... Même si tu avais promis de ne plus jamais revenir...
- Notre hospitalité est-elle donc si inhospitalière que cela ? demanda alors Oberyn.
- J’évite généralement de retourner dans des endroits où j’ai failli mourir... »
Le Commandeur et la femme se regardaient, probablement avec une envie mutuelle d’aller se battre. Oberyn, toutefois, était moins vindicatif que d’autres Commandeurs. Cirillia avait fréquemment combattu ces derniers, et, si elle avait été une adversaire de valeur, l’équipement des Commandeurs leur avait toujours donné l’avantage au bout d’un moment. Oberyn ne se permettrait toutefois pas de remettre en cause les talents de Cirillia.
« Sachez que l’offre de la Commanderie en votre faveur n’a pas encore été prescrite...
- J’ai toujours eu une âme de solitaire, et je ne suis pas revenue pour souscrire à votre engagement. »
Pourquoi diable était-elle revenue ? Alice savait que ce n’était pas que pour la Princesse ; Cirillia ne donnait pas dans ce sentimentalisme primaire. Elle reporta son attention sur Alice.
« Et, au fait... Mes félicitations pour ton mariage. »
Alice rougit à nouveau, et se sermonna.
*Arrête donc de rougir, pauvre idiote ! On dirait une gamine attardée !*
La Princesse releva la tête, tentant de reprendre son aplomb :
« Tu... Tu es au courant ?
- La nouvelle s’est répandue jusque dans les tavernes putrides de Nexus, bouton d’or. »
Ah ? Surprenant... Alice ne pensait pas être aussi célèbre. Sylvandell était un petit royaume, après tout.
« C’est un bon choix... Même si ta femme est plate comme un tronc d’arbre. »
Alice s’empourpra à nouveau, et protesta :
« Elle n’est pas plate !
- Bien sûr que si…
- C’est faux ! »
Oberyn se racla alors la gorge, comme pour rappeler la Princesse à l’ordre. Cette dernière croisa les bras, bougonne. Sa petite Sakura portait juste des robes qui dissimulaient ses formes, voilà tout. Mais elle savait mieux que personne que sa femme avait deux belles bosses... Ses seins étaient peut-être un peu moins prononcés que ceux de la Princesse ou ceux de Cirillia, mais... Mais pourquoi elel pensait à ça, au fait ?!
*Ne la laisse pas te perturber, Alice !*
Ça, c’était trop tard... Elle releva la tête vers Cirillia...
...Et ce fut à ce moment que Léviathan rugit en s’écrasant pile devant Chipp, au milieu de l’arène, dans un rugissement tonitruant. Cirillia porta immédiatement la main vers la garde de son épée, Alice sursauta, et de nombreux badauds tombèrent à terre, avant que Léviathan ne regarde Chipp, tombé à terre sous la surprise.
« Léviathan ?! »
Le dragon rugit devant Chipp, et sa queue se leva, fendant l’air en deux pour plonger sur Chipp. Elle avait la force de trancher n’importe quoi. Alice se mit à courir. Léviathan étant le dragon des Rois, la Princesse pouvait communiquer avec lui. Pourquoi attaquait-il Chipp ? Il tenta de lui arracher un bras, ses dents claquant dans le vide.
*Léviathan ! Que signifie ceci ? C’est un invité !
Ton ‘‘invité’’ porte en lui un sceau démoniaque malfaisant.*
Hein ?! Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Non, Léviathan devait se tromper ! Cette idée ressortit immédiatement de l’esprit d’Alice après y être rentré. Léviathan ne pouvait pas se tromper. Le dragon s’envola au-dessus de Chipp, et cracha son souffle de feu mortel. Les chances de Chipp contre Léviathan étaient nulles, et Alice s emit à courir. La queue de Léviathan claqua à nouveau dans l’air, frôlant l’une de sjambes de Chipp, le couchant au sol, et le dragon plongea droit sur lui... Avant qu’Alice, malgré Cirillia et Oberyn, ne s’interpose entre lui et Chipp. Surpris, Léviathan dévia de sa trajectoire, et ses pattes arrière se reçurent sur les gradins, son poids massif pulvérisant plusieurs estrades. Il s’élança à nouveau dans les airs, et se posa pile devant Alice.
*Que fais-tu ?!
J’ai confiance en lui !
Pas moi, il porte en lui une menace…
Je ne te laisserai pas lui faire de mal, Léviathan !*
La Princesse pensait sincèrement avoir pété les plombs. S’opposer ainsi à Léviathan était du suicide, le dragon n’en faisant qu’à sa tête. Léviathan hésita, gronda, et poussa un rugissement de rage et de frustration devant Alice, en tendant ses ailes... Mais la Princesse ne bougea pas. Léviathan grogna, et s’écarta alors. Alice se retourna vers Chipp.
« Je crois que vous nous cachez des choses, Chipp... Léviathan ne s’en prend pas à un inconnu sans raison. »
Il y eut un nouveau rugissement du dragon. Il avançait le long de l’arène, ses pas faisant trembler le sol.