Mélinda était venue en cours ce matin. Elle n’avait pas dormi de la nuit, et avait préféré, comme à son habitude, faire l’amour. Comme elle n’était pas fatiguée, elle avait décidé d’aller au lycée. Tant qu’à faire... Elle aimait bien le lycée, après tout. Les élèves étaient plutôt beaux, et sa réputation de garce commençait à lui valoir quelques admirateurs, outre que ses protégées. Cette réputation l’avait en effet conduite à remettre à sa place des petits caïds, des pétasses, mais aussi les souffre-douleurs. Quand elle avait vu un sportif racketter un petit gros avec des lunettes, elle avait boxé le premier, mais aussi le second. Mélinda ne comprenait pas cette logique terrienne à s’écraser, et à ne jamais faire face à l’adversité. Les humains lui apparaissaient toujours comme des soumis naturels, des insectes, des proies qui se prenaient pour des seigneurs. C’était risible.
Elle avait un cours d’Histoire s’étalant sur deux heures aujourd’hui. Le senseï visait une thématique assez large, inscrite au programme : le monde au 19ème siècle. Le premier cours avait été une longue introduction dans laquelle l’homme avait essayé d’expliquer que les changements politiques, économiques, et sociaux du 19ème siècle avaient façonné le 20ème, et étaient « absolument indispensables pour appréhender les grands enjeux qui ont déchiré notre précédent siècle ». Le premier chapitre de cette thématique s’était naturellement concentrée sur l’Asie, notamment sur le Japon et la Chine. Le premier entrait dans le commerce international avec l’ère Meiji, et le second commençait à s’effondrer et à être grignoté par les Occidentaux sous la chute de la dynastie des Qing. Cette première partie terminée, le prof’ s’était attaquée à la plus longue, le plus gros morceau : l’Europe, où le chapitre avait été divisé pour chacune des plus importantes nations européennes de l’époque : la Russie, symbole par excellence de la dictature, la Prusse, la France, et l’Angleterre. Les autres nations, comme l’Espagne, ou l’Italie, ne seraient, faute de temps, qu’évoqués brièvement.
C’était donc un vaste programme, qui amenait Mélinda à se rappeler que, de tous les cours, elle préférait indéniablement l’Histoire. L’Histoire de Terra n’était pas bien compliquée. Trois surpuissantes nations, et tout un tas de péquenauds. On en faisait le tour en une heure, mais la Terre... Seigneur... Dès qu’on laissait les humains seuls, ils nous sortaient quelque chose de fabuleux ! L’Histoire de la Terre méritait bien sa majuscule, tant elle était fascinante et riche. Surtout celle de l’Europe, puisque chaque pays avait suivi un développement différent, que ce soit la France, une espèce de république monarchiste centralisatrice, la Prusse, l’éternelle conquérante, les éternels Teutons qui rêvaient de cette période lointaine où le Saint-Empire romain germanique dominait l’Europe, l’Angleterre, avec cette opposition ancestrale entre le Roi et les parlementaires, entre les Anglais, les Écossais, et les Irlandais, la Russie, qui avait, sous l’influence de tsars, réussi à créer un modèle parfait d’autoritarisme, le tsarisme. Il y avait donc beaucoup de choses à dire sur l’Europe.
« Comme nous l’avons vu la dernière fois, c’est en 1815 que l’Empire napoléonien s’écroule totalement. Ou presque... Car il ne fallait pas croire que les idées révolutionnaires propagées par la France n’ont pas trouvé d’échos dans les pays victorieux. C’est sur cette optique que les monarchies victorieuses ont décidé de former entre elles une alliance ayant pour but de maintenir la paix dans l’Europe, et d’éviter de nouvelles révolutions. C’était la Sainte-Alliance. Notez, notez... Elle a été signée à Vienne en Septembre 1815, et, disons que, pour résumer son but, on peut la comparer à une espèce d’assistance de secours mutuelle entre monarques absolus. Hum ? Oui, Takeshi ?
- Un genre de ‘‘3615 SOS monarque absolu en détresse’’, non ? »
Il y eut quelques rires étouffés, et le professeur sourit.
« C’est une belle image, mais évitez de la mettre dans les copies. Au début, il n’y avait donc que trois pays, qui étaient... »
Ce fut à ce moment qu’on frappa à la porte. Plutôt cool, le prof’ avait les pieds sur le bureau, la chaise basculée en arrière, et fronça soudain les sourcils, agacé.
« Entrez ! »
Mélinda releva la tête. Elle n’avait noté que très partiellement. Elle connaissait l’histoire dans les grandes lignes, et elle était plutôt surprise d’apprendre quelque chose. Ce fut donc avec une pointe d’agacement qu’elle vit une espèce de grand con aux cheveux bleus débarquer. Le prof’ s’énerva devant ce retard.
« Je veux pas de vos excuses ! Et on s’étonne que la jeunesse aille aussi mal, avec des tire-au-flancs pareils ! Vous voulez finir chômeur, c’est ça, hein ? Faire partie de ces comiques qui se plaignent de ne trouver aucun boulot ? Normal, quand on en fiche pas une à l’école ! Si on a pas de diplôme, c’est qu’on travaille pas. Et, si on travaille pas, et ben, c’est pas le travail qui va venir à vous. Allez, filez vous asseoir, et tenez-vous à carreaux ! »
Ça, c’était du prof’. Il y eut surtout des rires sous cape, et le grand dadais alla s’asseoir à côté de Mélinda, qui ne lui accorda même pas un regard. Le senseï ne tarda pas à reprendre :
« Pour bien comprendre ce qui s’est passé après la chute de l’Empire napoléonien, il faut bien avoir en tête que l’Empire a instauré de profonds changements dans l’Europe. Et il faut surtout bien comprendre à quel point les monarchies avaient peur de la Révolution à la Française, cette révolution où on guillotine à tour de bras. L’Autriche, la Prusse, et la Russie, furent donc les moteurs de la réorganisation de l’Europe, avec pour idée fédératrice celle de préserver la paix, la justice, la monarchie, et la religion chrétienne. Les piliers de l’Europe, en quelque sorte. Dans cette optique, il y a un nom qui symbolise bien cette ancienne Europe, conservatrice et monarchiste. Quelqu’un qui avait vu en Napoléon un fou furieux, un Robespierre à cheval. Il s’agissait, je vous le donne en mille, de Metternich, et... »
On frappa à nouveau à la porte, et le prof pesta, avant de se lever, et d’aller ouvrir en personne. Le grand dadais en profita alors pour parler à Mélinda, qui tourna la tête vers lui.
« Tu avait l'air plutôt contente de me voir arriver en retard, Mélinda. Toujours aussi heureuse du malheure des autres ?
- Hein ? »
Mélinda cligna des yeux, le temps de comprendre ce que ce grand type disait, et répliqua rapidement, laissant parler son inspiration :
« D’où tu crois pouvoir m’adresser la parole comme ça, toi, face de cul de poubelle ? Avec moi, c’est ‘‘Oui, Madame’’, et ‘‘Merci, Madame’’. Quand je t’ai vu, j’ai cru voir un gorille débarquer. T’en as la coupe, la taille, le poids... Et visiblement aussi le mental. Alors ouais, ça m’a bien fait rire... Euh... Comment tu t’appelles, déjà, machin ? »
Elle répondit rapidement à sa question :
« Nichon, ou quelque chose comme ça ? »