Cette fois j'ai prévenu Gabriel, je lui ai dit que ce ne serait pas la peine de compter sur moi, pas avant samedi soir, au moins. Je lui ai dit ça il y a déjà quelques jours, et s'il n'a pas compris il a bien fait semblant. Je lui ai aussi promis de revenir. Je pensais savoir comment, je n'avais pas de doutes. Il ne pouvait pas y avoir de doutes, les masques étaient tombés pour de bons. À quelques jours, à quelques mètres, il a fallu qu'on se ramasse. Je l'ai peut-être cherché, d'un autre côté il restait du temps pour tout remettre en question. Je ne pensais pas qu'il tomberait dans le panneau, pourtant il a sauté à pieds joints, ou il joue un jeu plus cruel que moi. Et même après ce que je lui ai fait, ce qu'on s'est fait tous les deux, je ne veux pas imaginer qu'il soit devenu cruel.
Alors il a douté, ou au moins sauté sur l'occasion. Ce n'est pas plus mal, c'est pour ça que j'avais fixé l'échéance. Je ne voulais pas entendre sonner à ma porte, et le découvrir avec un bouquet de fleur. Maintenant je regrette. Au matin, quand j'ai lu son message, il avait peut-être déjà perdu l'envie de me retrouver. Alors quoi ? Comment je pouvais lui répondre une fois que les jeux étaient faits ? Est-ce que j'aurais dû lui demander s'il avait toujours envie, juste pour annuler l'interview au dernier moment ? Est-ce que je devais lui refaire la lecture intégrale de ce qui s'était passé ? Lui dire que j'ai fait cent pas vers lui, mais sans me faire voir ?
Non, trop tard. Brigit n'existe déjà plus, et je n'ai plus rien à dire à Kysemapri. J'espère que Kyle est au clair avec lui-même. Moi je doute. On a échangé plus de mots par mail après notre rupture que de vive voix quand on était ensemble. On ne s'est jamais mieux livrés l'un à l'autre qu'en se cachant. On s'est poussés l'un vers l'autre. Mais au dernier moment il m'a échappé des mains, trop rassuré de croire que l'histoire était finie et qu'il n'y avait jamais eu lieu de se battre. Et je ne peux m'empêcher de me demander qui il était avant de me rencontrer. Dès l'instant où je suis tombée amoureuse de lui j'ai changé du tout au tout, en mal. Et lui ? A-t-il changé aussi à ce moment-là ? Avait-il commencé à se perdre bien avant de me perdre ? Je ne m'étais jamais posé ces questions avant ce matin, et il n'a jamais été temps de trouver des réponses. Ce n'est pas à moi de les demander, c'est à lui. Et il l'a fait, hier.
Je reste seule sur le balcon, face à la nuit. Je ne pourrais pas dormir, et je n'ai plus rien à faire. J'ai fait tout ce que je pouvais, pour le meilleur ou pour le pire, il n'est plus temps. Je ne vais pas à l'autel, où Dieu et les hommes me donneront une dernière chance de reculer. Je vais affronter le verdict. Et j'ai peur de devoir accepter en sachant qu'il se trompe. Il m'a reconnue à travers les mots de Birigit, il ne peut pas avoir ignoré toutes les choses que je lui ai dites sur nous. Je n'ai eu qu'à floué une vérité que je trouvais trop nette pour qu'il s'en détourne. J'ai beau l'aimer encore, je ne peux pas m'empêcher de me demander si je veux vraiment faire ma vie avec lui. Avec un homme qui a si peu confiance en lui-même, en moi et en nous. Un homme qui n'y a pas cru autant que moi.
Je ne répondrai pas son mail, pas plus qu'à son SMS, et je ne l'appellerai pas. Je veux pouvoir lire toutes les réponses dans son regard quand il le posera sur moi. Et j'aurais au moins un bout de lui-même à lui rendre. Quoi de mieux qu'un salon littéraire pour clore un chapitre et en ouvrir un autre ? Et quelle meilleure ville que Seikusu pour une femme comme moi ? Seikusu avec sa faune bordélique de simples mortels et de créatures extraordinaire. Où d'autre aurais-je pu faire de telles rencontres, et avoir droit à toutes ces secondes chances ? La nuit sera encore longue, je ne pourrais espérer meilleur endroit pour attendre l'aube.
SAMEDI - 00H01
JOUR-J