Le môme ne l'avait pas quittée des yeux un seul instant, mais avait progressivement senti son ventre se nouer tandis qu'il se mettait en alerte sans comprendre pourquoi. La nuit était belle et l'endroit plutôt tranquille - ce n'était finalement qu'un coin de campagne reculée - mais Orphéo se sentait menacé, oppressé. Peut-être était-ce la faute de l'inconnue ? Oui... Oui, sûrement. Quel que fût son état de faiblesse et d'inconscience, la pseudo-noyée gravitait clairement dans un monde bien éloigné de celui du gamin. Ses ornements de peau la rendaient belle et attiraient agréablement l'oeil, ses tatouages lui donnaient un air un peu sauvage. Son visage était délicat et son corps était sans nul doute une des plus jolies choses qu'il avait jamais été donné de voir à Oro', mais quelque chose chez elle le mettait profondément mal à l'aise.
L'étrangère était inquiétante. L'aventurier en herbe ne connaissait que bien peu de choses à propos de la vie en général et des femmes en particulier mais n'était pas assez bête pour ne pas saisir qu'elle était dangereuse. Ces décorations de métal sur la pointe de ses seins, son nombril et son dos... Il fallait aimer avoir mal pour se faire poser ce genre de choses, non ? Et puis, ces tatouages qu'elle arborait avaient dans leurs arabesques quelque chose de sinistre. Son corps était taillé avec soin (Orphéo était peut-être pur mais n'en restait pas moins un homme et ses yeux avaient "malencontreusement" glissé quand il la séchait) mais lui évoquait furieusement celui d'Eydonna, la guerrière héroïne d'une série de romans qu'il avait dévoré plusieurs fois.
Et surtout, surtout... Elle lui était apparue nimbée de ténèbres, drapée dans un tissu aussi sombre que la nuit. L'image ne le quitterait jamais. Parce qu'elle lui avait évoqué la Mort en personne, aussi désirable que définitive.
De telles dames n'avaient jamais fait partie de l'univers d'Oro, sinon en tant que personnages imaginaires. Pourtant, l'inconnue était réelle, tangible.
Attirante.
Quand elle s'éveilla, le modeste gardien déglutit avec difficulté et tourna la tête quand elle dévoila sa poitrine. Rougissant, Orphéo garda le nez en l'air mais se mit à sourire doucement à la petite exclamation qu'elle poussa avant de jouer avec le tissu qu'elle réajusta certainement sur sa poitrine délicate.
Le gamin ne ramena sa tête vers elle que lorsqu'elle l'apostropha, veillant à bien regarder ses yeux tandis qu'il lui répondait après quelques bafouillements.
- O-oui, c'est moi qui vous ai ram'née ici, ma dame. Vous êtiez mal en point dans la rivière alors je m'suis dis que je n'allais pas vous laisser dans l'eau, alors je vous ai sortie puis j'vous ai séchée, pis j'vous ai couverte, pis j'ai attendu maintenant qu' vous vous réveilliez.
Son phrasé était inélégant, découpé par un peu de peur. Lui était persuadé d'avoir bien fait, mais la demoiselle n'en avait pas l'air convaincue et semblait méfiante. Comme prête à bondir sur lui au premier faux pas, comme si elle n'avait attendu qu'une excuse pour lui trancher la gorge. Orphéo considérait donc marcher sur des oeufs et l'observait avec prudence, regrettant que Béatrice soit plantée à une distance tout à fait égale entre eux deux. Si il cherchait à s'en saisir maintenant, il était certain que l'inconnue se sentirait agressée.... Mais il était aussi certain qu'elle pourrait la retourner contre lui si elle se montrait plus vive.
C'était une drôle de sensation que de se sentir comme une petite souris face à un si joli chat.
- J'suis Orphéo, ma dame. Je passais juste la nuit ici... Je ne vous veux pas de mal, vraiment. Il la regarda et passa volontairement deux doigts sur une de ses joues. Ce... C'est de l'onguent de Kamz que je vous ai mis. C'est à base d'orange et ça sent bon... Ca évite les bleus et r'ferme les petites plaies.
Lui offrant un sourire gêné, Oro' se massa la nuque. La situation était lourde de tension et il ne savait pas comment gérer tout ça, alors il décida de le faire simplement : en parlant. Peut-être que l'inconnue avait juste besoin qu'on lui prouve qu'elle n'était pas en danger ? La nuit serait longue si tout les deux devaient la passer à se regarder en chiens de faïence, après tout.
- Je viens d'un petit village d'pêcheur et je suis un explorateur... Je...euh...cherche des trésors et tout. Là en fait, j'me suis perdu en voulant aller à Nexus et du coup, j'ai fais une halte pour la nuit ! Y'a pas trop trop de monstres dans le coin alors j'pensais dormir tranquille mais z'êtes arrivée et... Badaboum ! J'crois qu'on va plus trop dormir, là.
La fin de sa phrase aurait pû être pétrie de sous-entendus graveleux, mais Orphéo ne maîtrisait pas ce genre d'allusion - pas plus qu'il ne les comprenait. Et son sourire était désarmant de sincérité, d'innocence. Il sembla plus détendu jusqu'à ce qu'il recommence à la fixer, se penchant un peu dans sa direction comme pour lui livrer un secret.
- Dites...euh...vous êtes la Mort, ma dame ?
A ses yeux, la belle avait tout de la Faucheuse, l'ustensile tranchant en moins. Et la question lui paraissait donc tout à fait justifiée, d'autant qu'il avait prononcé les mots d'une voix mêlant la crainte, le respect et l'excitation. Le tout en parts égales.
Orphéo prenait l'interrogation très au sérieux et le regard qu'il lui assénait achevait de le certifier.