Les contrées du chaos ne sont pas sûre pour une jeune fille seule. Surtout seule, blessée et fatiguée. Or, Caelina était fourbue à un point inimaginable. Elle avait mal partout. Mais surtout au mental. La pensée de ses compagnons se faisant tuer un à un hantait son esprit. De même que la vision des mercenaires usant et abusant des esclaves femmes libérées lors de la révolte. Et ce n'est pas parce que c'est une jeune patricienne que la jeune femme avait échappé à la règle. Elle aussi avait été victime de la brutalité des hommes envoyés pour mater la révolte.
C'est en titubant que la jeune romaine s'approche d'une caravane d'homme. Elle a le regard vague, embrumé de fatigue. Elle ne voit pas les chaînes qui entravent la majorité d'entre eux. Elle ne voit pas les sourires malsains de ceux qui n'en ont pas. Elle a juste la force d'émettre un faible :
- Aidez-moi.. S'il vous plaît...
Et Aelia s'effondra, telle une poupée de chiffon, aux pieds de l'un de ceux qui s'était avancée. Elle dormit d'un profond sommeil, sans sentir qu'on bandait sommairement ses plaies, ni qu'on lui entravait les membres avec des chaînes. Elle dormi deux jours durant. Lorsqu'elle se réveilla, elle se cru en plein cauchemar. L'un des hommes non-enchaîné venait de lui balancer un seau d'eau fraîche.
- Debout ! Faut qu'tu manges un peu avant d'être livrée aux lions. Ils n'auront rien à manger sinon.
Déboussolée, elle accepta de manger les quelques bouts de viandes séchées données par l'homme, comme un automatisme, et ne réagit qu'à peine lorsqu'on la prit par le bras pour l'emmener avec une file d'esclave.
- Ecoutez-moi vous tous. Vous allez distraire le bon peuple dans un spectacle au Colisée avec des lions. Tâchez d'vous faire aimer de la foule et de résister un maximum si vous voulez survivre. .. Oh et puis de toutes façon, au bout du compte, vous finirez par mourir. Alors débrouillez-vous. Nous, on a fait notre boulot, et vous nous rapportez un bon paquet d'or. Une fois que vous aurez passer ces portes, on en aura plus rien à carrer de vous.
Dans un mouvement de panique, Aelia se jeta aux pieds du marchand.
- Je ne suis pas une esclave ! Je suis une patricienne, de haute naissance ! Mon père tenait le Ludus...
L'esclavagiste s'esclaffa.
- Peu importe. Tout c'que j'vois, c'est une gamine débraillée qui ressemble plus à une vagabonde qu'à une patricienne. Et dans l'coin où on t'a pêchée, le seul Ludus qu'il y ait a connu une révolte. Aucuns survivants poulette. Même ceux qui se sont révoltés ont été butés. Alors j'doute sérieusement de tes dires.
Il l'empoigna par le bras et la remit dans la file, ignorant ses suppliques qui se transformèrent en jurons et malédiction.
- Puisse Mars vous foudroyer sur le champ de bataille ! Monstre sans coeur !
Mais, peu importait ses jurons. Irrémédiablement, les portes se rapprochaient. Elle entendait déjà les rugissements des lions qui tournaient en rond dans l'arène après avoir massacré le précédent arrivage.
Trop vite, ce fut son tour, avec un petit groupe d'esclave constitué de quatre personnes en plus d'elle. Ils furent propulsés dans l'arène. Le sable crissa sous ses pieds. Elle resta immobile, figée par la surprise, devant les trois bêtes affamées. D'abord, c'est la peur qui l'envahit, surtout quand les deux plus téméraires du petit groupe tentèrent de se jeter sur les fauves. Ils furent stoppés au vol, déchiquetés par les mâchoires puissantes des bestioles. Puis elle ressentit de la pitié, se rappelant de ce que disait son père sur le Colisée. Les pauvres bêtes étaient affamées pour être sans pitié dans l'arène.
Les deux autres, effrayés, tentèrent de s'enfuir par les grilles qui venaient de se refermer. Peine perdue. Aelia, elle, ramassa un glaive tâché de sang qui était à demi enfoui sous le sable. Les pauvres bêtes étaient exploitées pour le plaisir de la foule. Ce n'était pas de leur faute. Elle avait en tête de mettre fin à leur souffrances. Elle s'éloigna des portes, entraînant les lions au centre de la piste. Ou du moins, en ayant l'intention. Seul un la suivit. Elle se rappela les leçons de son ami, et fléchit les jambes. Alléché par le sang qui coulait encore de quelques blessures, le fauve bondit. Sautant sur le côté, la jeune femme abattit de toutes ses forces le lourd glaive sur la nuque de l'animal, la brisant d'un coup sec. Agenouillée près de la dépouille, elle passa une main dans la crinière en murmurant une prière aux dieux romains pour le salut de ce courageux animal.
C'est pas un coup de chance qu'elle esquiva l'attaque d'un autre fauve, s'écartant de la dépouille juste à temps pour ne pas se retrouver écrasée sous le poids de la bête. Elle récolta une sévère blessure à l'épaule, mais tendit le bras et le glaive perça le coeur du second lion. Quant au dernier, ce fut un gladiateur qui l'acheva, les deux autres esclaves étant morts. Aelia ne s'en était pas rendue compte, mais pendant qu'elle distrayait le premier fauve, trois gladiateurs étaient entrés.
La fatigue aidant, et ce n'est pas les trois bouts de viande avalés qui allaient aider, Caelina s'effondra au sol. Perte de connaissance, rideau. A la merci du bon vouloir de la foule, des gladiateurs.